Le développement du futur missile intercontinental américain fait face à des difficultés imprévues

En ces temps marqués par des tensions internationales exacerbées, il y a des choses qu’il vaut sans doute mieux ne pas évoquer… Comme tout ce qui a trait à la dissuasion nucléaire [sauf s’il s’agit d’une affaire de signalement stratégique].

Alors que la Russie a annoncé la mise en service de son nouveau missile balistique intercontinental RS-28 Sarmat [code Otan : SS-X-30] et que la Chine a mis les bouchées doubles pour augmenter significativement son arsenal nucléaire, le secrétaire à l’Air Force, Frank Kendall, s’est dit de « plus en plus anxieux » au sujet du programme Sentinel, lequel fait face à des difficultés imprévues alors que son échec est « interdit ».

Ironie de l’histoire, M. Kendall n’est pas autorisé à le gérer – comme, du reste, celui du futur bombardier stratégique B-21 Raider – en raison de ses liens passés avec Northrop Grumman, qui les dirige tous les deux. Il n’en reste pas moins que, lors d’un évènement organisé le 13 novembre par le Center for a New American Security, il s’est exprimé sur le programme LGM-135 Sentinel, qui vise à développer un nouveau missile intercontinental afin de remplacer les LGM-30 Minuteman III de l’Air Force Global Strike Command [AFGSC] d’ici la fin de cette décennie.

Pour rappel, ce programme, autrefois appelé GBSD [pour Ground Based Strategic Deterrent], a été notifié à Northrop Grumman en septembre 2020, Boeing ayant été écarté à l’issue d’une phase de levée de risque et de maturation technologique [TMRR – Technology maturation and risk reduction] lancée trois ans plus tôt.

D’un montant initial de 13,3 milliards de dollars [mais son coût total est estimé à 100 milliards, ndlr], ce programme concerne également Aerojet Rocketdyne, Bechtel, Clark Construction, Collins Aerospace, General Dynamics, HDT Global, Honeywell, Kratos Defence and Security Solutions, L3Harris, Lockheed Martin et Textron Systems.

Outre le développement d’un nouveau missile, Sentinel suppose la conception d’un véhicule de rentrée [le « MK21A »] devant porter l’ogive nucléaire W87-1, la construction d’installations souterraines [silos] et la mise au point d’un nouveau système de commandement et de contrôle [C2].

C’est « l’un des programmes les plus vastes et les plus complexes que j’aie jamais vu » et il est « probablement le plus important, à certains égards, que l’Air Force ait entrepris », a confié M. Kendall. Comme souvent, la complexité engendre des difficultés à surmonter et donc des surcoûts. Et Sentinel n’y échappe donc pas.

« Au fur et à mesure que nous avançons dans ce programme, nous comprenons ce que nous allons réellement devoir faire et découvrons ‘certaines choses’ qui vont coûter de l’argent », a dit le sécrétaire à l’Air Force, qui n’a pas pu donner plus de détails, en raison de sa mise en retrait sur ce dossier.

Cela étant, en juin, le Government Accountability Office [GAO, l’équivalent américain de la Cour des comptes, ndlr] avait estimé que les difficultés du programme Sentinel allaient retarder la capacité opérationnelle initiale du nouveau missile d’au moins un an. Et cela en raison d’une pénurie « persistante » de personnel, de soucis au niveau de la chaîne d’approvisionnement et de « défis logiciels ».

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32 contributions

  1. Bastan dit :

    La Pologne et la Roumanie vont en commander. L’Allemagne hésite..

  2. john dit :

    Dans les éléments du programme qui changent par rapport à ce qui existe maintenant?
    – nouveau système de réentrée. Probablement une volonté d’être très manoeuvrable pour éviter les interceptions, d’autant qu’il est sensé rester en service jusqu’en 2075 sur le papier, potentiellement plus longtemps. Et comme les trajectoires sont prévisibles contrairement aux sous-marins qui peuvent attaquer depuis partout, cette nécessité d’être manoeuvrable est importante.
    – ce qui ne fait pas partie du missile mais qui fait partie du système, ce sont les nouveaux locaux de lancement. Ils vont devoir être conçus avec un niveau de sécurité aux attaques cyber total. Il est possible / probable que le système d’approbation d’un lancement du président soit encore plus sécurisé. Et évidemment, il n’y a aucune information à ce sujet.

    A noter que 13.3 milliards c’est le coût de développement / production du missile.
    Les 100 milliards, ce ne sont pas les dépassements de budget, mais tout le reste sur l’ensemble du cycle de vie du missile !
    Donc dans le développement, il y a les systèmes de communication, de commandement, les processus de lancement, d’introduction des données, les sécurité en place, etc…
    Il y a la géologie, ingénierie géotechnique, génie civil, l’acquisition de propriétés pour y installer les lanceurs, les travaux de production, mais cela comprend également le contrôle de tous les ouvriers qui pourraient travailler sur un tel chantier.
    Il y a la maintenance des missiles sur l’ensemble du cycle de vie, la maintenance des têtes nucléaires, les transports ultra-sécurisés, etc… Bref, pas étonnant que le coût soit aussi important.

    simplement les coûts prévus de développement de l’ensemble du système, trouver tous les sites de lancement, les recherches géologiques, les processus d’acquisition,

    • S&C dit :

      Un missile n’est pas doué de raison et ne peut donc pas être qualifié de sensé (ou d’insensé).
      Concernant ce qu’il est supposé faire, on pourra écrire qu’il est censé rester en service jusqu’en 2075.

    • Marti dit :

      Information trouvé dans la presse spécialisée E-U.et au Ministère de la Défense E-U.
      Voici quelques-unes des raisons du retard du projet LGM-35A :
      1. Les États-Unis n’ont pas fait de puits de plutonium depuis 1989. Les bâtiments pour abriter la manufacture ont un retard de 2 ans.
      2. La fabrication d’une quantité suffisante de plutonium se fera entre 2035 et 2040, avec un retard de six ans
      3.L’ogive nucléaire W87-1 sera montée sur le véhicule de rentrée d’orbite Mk21A actuellement mis au point par Lockheed Martin dans le cadre d’un contrat non concurrentiel de 2019 – délai annoncé mais aucune date
      4. L’essai de missile a explosé 11 s après le décollage, mais les raisons de l’échec ne sont pas encore connues du fait de l’insuffisance des capteurs.
      5.Demande de renseignements tardive (2023) pour un véhicule de réentrer de nouvelle génération plus avancé que ce qui avait été demandé au départ….mais tjr pas d’information, pas de budget, pas d’échéancier, pas de contrat octroyé…
      7. Problème de supply chain
      8. Problème de ressources humaines (savoir faire, expériences)
      9. Retard dans l’approvisionnement des matériaux parfois dû aux manque d’expérience des équipes.
      10. Secret Défense – ralentissement du projet dû aux « need to know » non défini

      • Liberté (de parole), égalité, fraternité dit :

        Les USA ont une politique de « transparence » que peu de pays ont. Évidemment, cette transparence n’est pas absolue…

        • Pascal, (l'autre) dit :

          « Évidemment, cette transparence n’est pas absolue… » Surtout quand il y a de la……………………brume! Nessspas?

          • Liberté (de parole), égalité, fraternité dit :

            Sous le missile? Pas du tout, ce sont les gaz d’échappement. A côté, ce n’est pas non plus la condensation d’un cumulus …

    • jejeje dit :

      « Les 100 milliards, ce ne sont pas les dépassements de budget, mais tout le reste sur l’ensemble du cycle de vie du missile ! »
      « In the past, the projected cost to operate and maintain the Sentinels through to the end of the system’s expected lifecycle in the 2070s has also been pegged at $264 billion.  »
      https://www.thedrive.com/the-war-zone/sentinel-icbm-struggling-keeping-on-track-will-come-at-a-cost

  3. farragut dit :

    Pour ce qui concerne le réapprentissage de la conception ou de la réalisation de systèmes qui étaient « facilement » conçus et réalisés dans les années 70, Northrop Grumman devrait demander de l’aide à EDF et à Bouygues qui ont « redécouvert » l’activité de fabrication et de bétonnage pour le chantier de l’EPR de Flamanville !
    https://www.lemonde.fr/energies/article/2022/12/16/nucleaire-l-epr-de-flamanville-accuse-un-nouveau-retard-de-six-mois-et-500-millions-d-euros-de-surcout-a-annonce-edf_6154771_1653054.html
    https://www.bouygues-construction.com/nos-realisations/epr-de-flamanville
    https://www.youtube.com/watch?v=uw8BLFzrodQ

    L’Amiral Rickover avait pourtant déjà théorisé l’écart entre la brochure marketing de présentation d’un projet et la réalité :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyman_Rickover

    Extrait:
    « Dans The Journal of Reactor Science and Engineering de juin 1953, et alors qu’il s’opposait aux réalisations de son temps, Rickover rédigea une sorte de credo scientifique dans un article titré La centrale nucléaire idéale […]. Selon lui, elle a presque toujours les caractéristiques suivantes :
    – elle est simple ;
    – elle est petite ;
    – elle est bon marché ;
    – elle est légère ;
    – elle peut être construite rapidement ;
    – elle est évolutive ;
    – très peu de développements sont nécessaires : elle utilisera principalement des composants sur étagère ;
    cette centrale est à l’étude, elle n’est pas encore construite.

    À l’opposé, une centrale nucléaire réelle peut se distinguer par les caractéristiques suivantes :
    – elle est compliquée ;
    – elle est grande ;
    – elle est très chère ;
    – elle est lourde ;
    – elle prend beaucoup de temps à construire à cause de problèmes techniques ;
    – elle est en retard sur l’emploi du temps ;
    – elle a demandé un énorme volume de développements sur des sujets apparemment triviaux ; la corrosion en particulier est un problème ;
    – elle est déjà construite. »
    ____
    A noter que l’Amiral Rickover est cité dans un des 3 tomes de la série « Les Décisions Absurdes : comment les éviter » de Christian Morel, comme exemple de stratégie de prise de décision, avec l’introduction systématique d’un « avocat du diable » pour présenter la contradiction aux affirmations péremptoires des promoteurs d’un projet…
    https://www.amazon.fr/s?k=les+d%C3%A9cisions+absurdes+de+christian+morel&crid=2Q2GDK37G2GP5&sprefix=Les+D%C3%A9cisions+Absurdes+%2Caps%2C206&ref=nb_sb_ss_ts-doa-p_2_23

  4. KOUDLANSKI dit :

    Les Américains ont vraiment du mal, avec leurs programmes d’armements .

    • Thierry le plus ancien dit :

      Entre choisir un missile russe ou américain, en ce qui me concerne le choix est vite fait, la Russie ne s’embarrasse jamais de test et leurs poubelles volante hypersonique ne fonctionnent pas, l’Ukraine en est la preuve vivante.

      Quand un programme d’armement rencontre des difficultés ça ne veut pas dire que ça ne marche pas, mais du fait de l’emploi de nouvelles technologie, ça demande du temps et des essais pour les maitriser parfaitement, et la Russie fait l’impasse là dessus. Y’a qu’à voir son SU57, Tank Armata T_14 et toute sa gamme de missiles sur lesquels leurs ingénieurs revoient leur copie à la lueur de l’expérience pratique et sur des choses qu’ils n’ont pas anticipés!

      Quand la Russie sort un missile hypersonique ça marche un coup sur 10, quand les USA sortent le missile Patriot pour intercepter un missile baliste russe hypersonique ça marche du premier coup parce que l’expérience au combat, la technologie a été éprouvé et amélioré à al lueur des tests en condition réel.

      La Russie devrait se contenter de sortir des jeux vidéos, ou de rester dans le virtuel de leurs hackers, elle est très mauvaise dans le monde réel.

    • PK dit :

      Mais non : vous êtes un complotiste !

      En tout cas, Poutine leur a proposé d’envoyer des machines à laver russes pour améliorer leurs missiles intercontinentaux. Biden se tâte, car il pense que cela pourrait faire mauvais genre et il a peur de la transition… On attend son coming-out avec impatience !

      • Eric dit :

        Les russes n’ont guère de leçons à donner à qui que ce soit : ils ont mis plus de vingt ans à développer leur SLBM type RSM-56 Bulava qui doit équiper leurs SNLE classe Borei. Vingt ans et six échecs sur treize tirs d’essai. Pour les américains, il faut juste se souvenir que le dernier ICBM développé par leur industrie était le LGM-118 Peacekeeper au tout début des années quatre-vingt. Là aussi, c’est toute une expérience et un savoir-faire qui s’est perdu et qui ne se retrouve pas comme ça.

        • PK dit :

          C’est comme tout : très facile de défaire, beaucoup plus difficile de reconstruire…

          EDF en sait quelque chose avec les centrales nucléaires…

          • Le Chouan dit :

            Les problèmes d’EDF ne datent pas d’aujourd’hui, il y a un peu plus de 30 ans, je me souviens qu’un formateur en nucléaire nous avait sorti ceci: « Là où nous avons été les pionniers en la matière, nous risquons un jour de devenir les derniers ».
            Nous connaissons le suite et la dégringolade du nucléaire civil et l’affaire GE sous Hollande et Macron (et ce n’est pas fini), même si ce dernier se défend d’en être responsable, alors qu’il était aux affaires, durant 2 ans comme Secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République, puis 2 ans comme Ministre des finances sous Hollande et bientôt 7 ans comme Président ?? 🙂 🙂 🙂

  5. Pascal, (l'autre) dit :

    C’est aussi l’Amiral Hyman Rickover qui a son époque avait promu le réacteur nucléaire à fission fonctionnant au thorium.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyman_Rickover
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_du_combustible_nucl%C3%A9aire_au_thorium

    • précision dit :

      Rickover a conduit les principaux projets de réacteurs nucléaires de l’époque, et a été un acteur du transfert de la propulsion nucléaire vers la production d’énergie civile, en effet. Et parmi les projets qu’il a conduit à Shippingport le 3e utilisait bien du thorium comme combustible. Mais il a surtout promu les réacteurs utilisant l’eau légère pressurisée comme modérateur, ce qui permettait de produire du plutonium pour les applications militaires.
      Si je ne me trompe pas, c’est au laboratoire national d’Oak Ridge qu’on a expérimenté avec les sels fondus alimentés par le thorium, même si le prototype a utilisé l’uranium 233 produit par du thorium… ailleurs.

  6. Lingénieur dit :

    Hé oui, le niveau d’éducation scientifique des USA est devenu catastrophique. De plus, les ingénieurs sont d’abord diplômés et ensuite embauchés non pas selon leurs aptitudes professionnelles mais selon d’autres critères : cela apporte des conséquences qui vont devenir de plus en plus visibles.
    Les USA n’arrivent pas à mettre au point de missiles hypersoniques, ni le F-35, ni maintenant leurs missiles nucléaires. Contrairement à la Russie… entre autres…

    • ji_louis dit :

      Mon beau-père qui est à l’université de Yekaterinbourg (https://www.researchgate.net/scientific-contributions/N-A-Lookin-2166848389) est beaucoup plus pessimiste que vous concernant le niveau (et la motivation) des étudiants russes. Il se plaignait (avant 2022) de leur départ massif vers les universités occidentales.

      • Lingénieur dit :

        Vous n’allez quand même pas nier que leur niveau en math et sciences est supérieur à celui des américains ?

    • C'est cela, oui dit :

      Les Russes ne sont pas meilleurs que les Américains. Seulement, quand les Américains rencontrent des problèmes de mise au point, ils le disent, alors que les Russes le taisent.

    • Pascal, (l'autre) dit :

      @ l’ingé « Les USA n’arrivent pas à mettre au point de missiles hypersoniques, ni le F-35, ni maintenant leurs missiles nucléaires. Contrairement à la Russie… entre autres… » Constatation où plus certainement l’expression d’un « sourd » désir? Parce que les missiles hypersoniques………………..je ne comprends qu’avec un tel « game changer » aussi redoutable et efficace les Russes ne l’aient pas davantage utilisé pour en finir avec « l’opération spéciale »! Idem pour leurs avions de combat nouvelle génération, il se dit que l’on ne voit pas beaucoup de SU 57 dans le ciel ukrainien! Quant aux missiles nucléaires balistiques selon la version officielle à chaque fois qu’il y a un essai c’est un grand succès, comme…………………….l’opération spéciale?

      • rainbowknight dit :

        Le SU57 ne peut être vu et décelé car sa furtivité est si aboutie qu’un esprit occidental n’ose imaginer sa sophistication… idem pour les T14 qui se soustraient aux observateurs les plus aguerris.
        Quant aux armes « miraculeuses » même au Kamtchatka nul ne s’avise d’évoquer celles-ci tant elles sont secrètes..
        Les russes sont maîtres es « esbroufe » mais le mur de la réalité leur est fatal..

  7. Alfred dit :

    La plupart des pays récoltent aujourd’hui ce qu’ils ont semé en privilégiant les têtes bien pleines à l’expérience. La transmission des savoirs acquis au fil du temps s’est arrêtée, et la reflexion a cédé le pas au rabachage et au calcul informatisé réputé infaillible. Seulement, on butte désormais sur des questions que les sans grades contribuaient à maitriser. Et ceux qui pourraient aujourd’hui contribuer à les resoudre mais n’ont pas les bons diplômes, se contentent de faire le minimum syndical pour toucher leur pognon, pendant que les têtes bien pleines enchainent les réunions. Pas étonnant donc que les délais s’allongent et que les essais foirent dans ces conditions