Berlin pourrait consacrer bien plus de 2% de son PIB à ses dépenses militaires pour « dissuader la Russie »

Lors du sommet de l’Otan organisé à Newport, en 2014, les Alliés s’etaient mis d’accord pour porter le niveau de leurs dépenses militaires à 2 % du PIB et de consacrer 20 % de celles-ci aux investissements d’ici dix ans. Or, en Allemagne, malgré la dégradation de l’environnement sécuritaire en Europe, avec le retour de la « menace de la force » et la remise en cause des traités de désarmement, cet objectif fut longtemps contesté… et donna lieu à des tensions au sein de la coalition gouvernementale, dominée par les chrétiens démocrates de la CDU/CSU et les sociaux-démocrates du SPD.

Réaffirmée dans le Livre blanc sur la défense publié par Berlin en 2016, la hausse du budget de la Bundeswehr [forces fédérales allemandes] fut clairement refusée, à l’époque, par les principaux dirigeants du SPD, dont son président, Martin Schulz, et le chef de file de ses députés au Bundestag, Thomas Oppermann.

Des dépenses militaires équivalentes à 2 % du PIB « feraient de l’Allemagne la première puissance militaire en Europe », avec une enveloppe alors estimée à 60 milliards d’euros. C’est « un objectif dont personne ne veut en Europe étant donné le poids de l’Histoire », firent-ils valoir.

Par la suite, un bras de fer s’engagea entre les ministres de la Défense [Ursula von der Leyen, puis Annegret Kramp-Karrenbauer] et des Finances, à savoir Olaf Scholz, du SPD. Finalement, il fut convenu que le budget de la Bundeswehr atteindrait 1,5 % du PIB en 2024… et 2 % du PIB en 2031.

Les élections législatives de septembre 2021 ayant porté M. Scholz à la tête de la coalition gouvernementale dite des « feux tricolores », il n’y avait aucune raison de penser que cette trajectoire allait être remise en question.

Seulement, la guerre en Ukraine a changé la donne, alors que, de rapports en rapports, il apparaissait que la Bundeswehr ne pourrait soutenir l’Otan que d’une façon « extrêmement limitée ». Aussi, Olaf Scholz a dû manger son chapeau… Après avoir lancé un « fonds spécial » de 100 milliards d’euros pour « réparer » les capacitaires militaires allemandes, il a fixé l’objectif de porter les dépenses de défense à 2 % du PIB. Ce seuil sera franchi dès cette année, ce qui ne s’était plus vu depuis 1992.

En effet, en 2024, la Bundeswehr disposera d’une enveloppe de 71,8 milliards d’euros [soit 2,1 % du PIB]. À son budget ordinaire [porté à 52 milliards grâce à une hausse de 1,7 milliard] s’ajoutent 19,8 milliards provenant du fonds spécial.

Cependant, il n’est pas certain que cet effort soit encore suffisant. Depuis maintenant des semaines, le ministre de la Défense, Boris Pistorius [SPD], martèle sur toutes les ondes que l’Allemagne doit se préparer à une éventuelle guerre en Europe, estimant possible une confrontation avec la Russie d’ici cinq ans.

« Sur la base des différentes analyses et quand je vois la menace potentielle que représente la Russie, cela signifie pour nous cinq à huit années de préparation. […] Cela ne veut pas dire qu’il y aura alors une guerre. Mais elle est possible. Parce que je suis militaire, je dis : dans cinq ans, nous devons être aptes à la guerre », a d’ailleurs récemment affirmé le général Carsten Breuer, le chef de la Bundeswehr, dans les pages du quotidien Die Welt, la semaine passée.

« Outre la disponibilité personnelle et matérielle, il s’agit également du changement de mentalité nécessaire auquel nous devons nous soumettre », a-t-il continué, avant d’appeler à un « changement de mentalité, aussi bien dans la société que, et surtout, dans la Bundeswehr ». Et d’ajouter : Il s’agit « de placer le risque d’une attaque pour un adversaire à un niveau si élevé qu’il décide de ne pas la lancer. C’est cela la dissuasion ».

Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, le 16 février, M. Pistorius n’a pas dit autre chose… Mais il a précisé ce qu’il entendait par « dissuasion ». Ainsi, celle-ci passe par une « industrie de défense forte » ainsi que par une « préparation opérationnelle » efficace… Le nerf de la guerre étant l’argent, cela suppose d’augmenter encore les dépenses miltaires.

« L’Allemagne devra peut-être consacrer plus de 2 % de son produit intérieur brut à la défense pour dissuader la Russie dans les années à venir », a ainsi estimé M. Pistorius.

Mais cette déclaration vise probablement à préparer les esprits… étant donné qu’il faudra trouver 54 milliards d’euros à l’horizon 2028 pour financer tout ce qui ne l’a pas encore été jusqu’à présent.. alors que le fonds spécial de la Bundeswehr sera épuisé.

Étant donné que celui-ci n’est pas soumis aux règles budgétaires relatives au « frein à l’endettement », le député Roderich Kiesewetter [CDU] a récemment proposé de tripler sa dotation. Seulement, M. Pistorius ne souhaite pas une telle solution, estimant qu’il faudrait « augmenter plutôt le budget ordinaire de la Bundeswehr. »