Les dépenses militaires des pays de l’Union européenne ont atteint un niveau « record » en 2022

Quel est le périmètre exact des dépenses militaires? Englobe-t-il les pensions? Les budgets des forces de gendarmerie et des Anciens combattants? Le soutien aux industries de l’armement? En tout cas, la question se pose au regard de la disparité des chiffres communiqués par les États, l’Otan ou bien encore l’Union européenne [via l’AED, l’Agence européenne de défense]…

Ainsi, s’agissant de la France, la loi de finances 2022 prévoyait de porter le montant du budget de la mission « Défense » de 39,2 à 40,9 milliards d’euros, ce qui représentait une hausse de plus de 4%. En outre, le ministère des Armées bénéficia d’un « coup de pouce » d’environ 1,4 milliard d’euros d’ouvertures de crédits supplémentaires en fin de gestion.

Or, selon les données de l’Otan, les dépenses militaires de la France se sont élevées à 49,6 milliards d’euros en 2022, en hausse de 4% par rapport à l’exercice précédent… Ce qui correspond, au-delà du périmètre retenu, à l’ordre de grandeur avancé par le ministère des Armées lors de la présentation du projet de finances 2022.

Seulement, dans le rapport qu’elle vient de publier ce 30 novembre, l’AED n’est pas arrivée au même résultat… En effet, si l’on en croit les données qu’elle a avancées, les dépenses militaires françaises n’auraient augmenté que de 0,7% entre 2021 et 2022. L’explication est qu’elle a effectué ses calculs avec des montants exprimés en prix constants de 2022, afin de tenir compte de l’inflation.

Quoi qu’il en soit, d’après ce rapport de l’AED, jamais les pays membres de l’UE n’ont autant dépensé pour leur défense, la somme des budgets militaires des Vingt-Sept ayant atteint 240 milliards d’euros en 2022. Si Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a parlé d’un « montant record », il n’en reste pas moins que ce total est trois à quatre fois moins élevé que le budget du Pentagone…

« Nous avons d’importantes lacunes et restons à la traîne des autres acteurs mondiaux en matière de dépenses [militaires]. C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de dépenser plus dans la défense, mais aussi de dépenser mieux et ensemble », a cependant souligné M. Borrell.

La Suède est le pays membre de l’UE qui a augmenté le plus fortement ses dépenses militaires en 2022, avec une hausse de 30,1%. Viennent ensuite le Luxembourg [+27,9%], l’Espagne [+19,3%], la Belgique [+14,8%] et la Grèce [+13,3%]. En revanche, sept autres ont réduit leur effort, parfois significativement. C’est notamment le cas des Pays-Bas [-16,6%] et ceux, dans une moindre mesure, de la Finlande [-3,3%], de la Roumanie [-2,6%], de la République tchèque [-2%] et de la Hongrie [-1,8%].

Cependant, ces chiffres sont à prendre avec précaution car certains de ces pays, en particulier la Hongrie et la Finlande, ont dans le même temps augmenté leurs investissements de défense. Ce qui suggère qu’ils ont réduit les dépenses de fonctionnement de leurs forces armées au profit de l’équipement.

Dans l’ensemble, les pays de l’UE ont consacré l’équivalent de 1,5% de leur PIB à leur défense, ce qui est encore largement en deçà de l’objectif des 2% fixé par l’Otan. Quant aux dépenses d’investissement [comme, par exemple, l’achat d’équipements], elles ont atteint le total de 58 milliards d’euros en 2022.

« L’année dernière, un quart des dépenses totales de défense – soit près de 60 milliards d’euros – a été alloué aux investissements de défense. Cela signifie que nous pouvons investir au moins 600 milliards d’euros dans les 10 prochaines années. Avec 600 milliards d’euros, on peut faire de grandes choses. Cela pourrait être un moment décisif », a fait valoir Charles Michel, le président du Conseil européen, lors la conférence annuelle de l’AED, ce 30 novembre.

Pour l’ancien Premier ministre belge, une telle manne devrait être investie de façon « plus efficace ». Aussi a-t-il proposé de mettre en place un « marché unique de la Défense » et de faire de l’AED un « puissant département [ou ministère] européen de la Défense », placé sous la coupe du Haut représentant, sous la « direction centrale du Conseil européen ». Ainsi, par le « regroupement de l’expertise et des instruments militaires », une telle structure constituerait une « force motrice » pour « coordonner » les « achats conjoints et leur financement ».

Seulement, M. Michel passe outre le fait que la défense est une prérogative nationale… Et que sa proposition exigerait, a minima, une révision des traités européens… et, évidemment, l’accord des pays membres. Ce qui est loin d’être gagné.

Quoi qu’il en soit, les 60 milliards d’euros investis par les pays membres ont surtout servi à acquérir des équipements produits aux États-Unis, en Corée du Sud et en Israël.

« 78% des 100 milliards de commandes d’équipements passées par des États membres de l’Union européenne [UE] depuis février 2022 ont été conclues auprès de pays tiers à l’UE » et « 63% des commandes européennes ont été passées au bénéfice des seuls États-Unis », a récemment souligné l’Institut des relations internationales et stratégiques [IRIS].

Il est probable qu’il en aille de même à l’avenir car, selon le rapport de l’AED, si les pays de l’UE n’ont jamais autant dépensé pour leur défense, ils ont, dans le même temps, réduit leurs investissements dédiés à la recherche et à la technologie [R&T]…