L’aviation de combat canadienne est « en crise », prévient une étude du RUSI

En 2010, le gouvernement canadien, alors dirigé par le conservateur Stephen Harper, fit part de son intention de commander 65 chasseurs-bombardiers F-35A auprès de Lockheed-Martin, afin de remplacer les CF-188 Hornet de l’Aviation royale canadienne [ARC].

Même si les capacités de cet appareil pouvaient être discutées [et elles le furent], cette décision semblait logique au regard de l’implication de l’industrie aéronautique locale dans le programme Joint Strike Fighter, dont est issu le F-35. Seulement, elle fut vivement contestée, le gouvernement Harper ayant été mis sur la sellette pour avoir minimisé les coûts de cette acquisition.

Cette affaire devint un enjeu électoral, Justin Trudeau, alors chef de file de l’opposition libérale, ayant promis qu’il annulerait cette commande et qu’il lancerait un appel d’offres « transparent » pour remplacer les CF-188 en cas de victoire aux élections législatives de 2015. Et d’assurer que jamais, au grand jamais, le Canada n’achèterait de F-35A.

Devenu Premier ministre, M. Trudeau tint sa parole. Du moins en partie. Un appel d’offres fut effectivement lancé. Mais afin d’éviter une rupture capacitaire à l’ARC, une commande de 18 F/A-18 Super Hornet auprès de Boeing fut annoncée. Ce qui n’était pas forcément judicieux, l’entretien d’une micro-flotte d’avions de combat [le Super Hornet est différent du CF-188, ndlr] étant coûteux.

Plus tard, un différend commercial entre Boeing et Bombardier incita le ministère canadien de la Défense à renoncer aux F/A-18 Super Hornet, au profit de F/A-18 Hornet de seconde main, acquis en Australie. En outre, il lança le programme HEP [Hornet Extension Program] afin de prolonger le potentiel de certains CF-188.

Et, finalement, en janvier dernier, le F-35A dont M. Trudeau ne voulait pas a été commandé à 88 exemplaires à l’issue d’un appel d’offres qui, bien que devant être « transparent », n’aura pas échappé aux critiques du suédois Saab, dont le JAS-39 Gripen E/F était arrivé en finale. Tout ça pour ça…

Seulement, ces treize années de tergiversations ne sont pas sans conséquences. En 2019, un rapport parlementaire avait estimé que l’ARC était sur la « corde raide », avec des doutes sur sa capacité à honorer ses engagements à l’égard du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord [NORAD] et de l’Otan. En outre, il avait relevé le manque de pilotes et de techniciens qualifiés…

Quatre ans plus tard, le gouvernement canadien a mandé le Royal United Services Institute [RUSI] britannique pour faire une étude sur l’état de son aviation de combat. S’attendait-il à un miracle? Toujours est-il que le rapport qui vient de lui être remis décrit une situation qui ne s’est évidemment pas améliorée…

Ainsi, rapporte The Globe and Mail, le RUSI a pointé un « processus d’approvisionnement en pièces de rechange très inefficace », ce qui conduit à une disponilité des avions en service d’autant plus mauvaise que ceux-ci sont anciens [et exigent donc plus de maintenance]. Il évoque aussi une « charge de travail insoutenable des pilotes », par ailleurs de moins en moins nombreux, ainsi qu’un « déficit de confiance » à l’égard du commandement.

Selon cette étude, l’aviation de combat canadienne est « en crise » et « souffre d’un moral bas, d’un taux de départ élevé parmi les pilotes instructeurs et d’une pénurie de techniciens de maintenance, ce qui nuit à sa capacité à remplir ses obligations en matière de défense ».

L’ARC est entrée dans un cercle vicieux : plus les contraintes et la charge de travail sont lourdes, plus les taux de démission – des pilotes et des techniciens qualifiés – augmentent, ce qui alourdit encore la tâche de ceux qui restent, au point d’être à leur tour tentés par une carrière dans le civil.

« Des mesures urgentes doivent être prises maintenant, avant que le déclin ne devienne complètement irréversible », en conclut le RUSI. Faute de quoi, l’ARC n’aura « pas suffisamment de pilotes expérimentés pour assurer efficacement la transition vers le F-35 tout en maintenant des capacités de combat significatives dans les deux escadrons restants de CF-188 HEP II jusqu’en 2032 », prévient-il.

Par ailleurs, la dégradation du moral des pilotes canadiens, en particulier celui des instructeurs expérimentés, peut aussi s’expliquer par le fait qu’ils « ne se considèrent pas comme étant suffisamment formés et équipés pour bon nombre de missions qu’ils pourraient être amenés à effectuer ». L’étude précise que les instructeurs « estiment qu’ils ne peuvent pas former » les élèves pilotes « selon les normes qu’ils savent nécessaires » et que, par conséquent, ils sont de « plus en plus frustrés et inquiets à l’idée de ce qui se passera s’ils doivent aller au combat en étant mal préparés », note le RUSI.

Aussi, le rapport estime que la flotte de CF-188 « n’est pas crédible, dans le contexte de l’Otan, à faire face à bon nombre de missions dites ‘haut de gamme' ». Aussi préconise-t-il de la limiter à des tâches « simples », comme la police du ciel pour le compte du NORAD et de l’Otan.

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33 contributions

  1. Maya dit :

    Le Canada n’étant qu’une province des Etats-Unis , il n’a pas à s’inquiéter de l’état de son armée et c’est très économique en plus.

  2. Le Breton dit :

    Si il n’y avait que leur aviation qui va mal…la flotte ne se porte pas mieux non plus.

  3. Catoneo dit :

    Je ne vois pas Justin Trudeau relever ce défi, sauf à en parler longtemps…
    Huit ans d’itérations pour en arriver là ? C’est tout lui ça !

  4. Anonyme dit :

    Libéraux au pouvoir, armée au bazard…

  5. Rakam dit :

    Ah oui quand même…bon en même temps les menaces sur le Canada a part les ballons sonde chinois je vois pas… 88 F35 ,Justin se lâche..

    • La Terre est ronde dit :

      Si vous ne voyez pas d’où peut venir la menace, regardez un globe terrestre : La Russie est de l’autre côté du pôle Nord.

    • Marine dit :

      l’Arctique, ça vous parle ? En cas de conflit Russie-OTAN, le Canada serait en première ligne face aux bombardiers russes qui viseraient l’Amérique du Nord et le Nord de l’océan Atlantique.

    • SimLabeng dit :

      Les menaces terrestres sont quasi inexistante. Avec les États-Unis, nous sommes tranquille. Il reste que dans le domaines aérien, la menace des violations de l’espace aérien est important. En autre par les bombardiers russe. L’espace aérien canadien est très important, avec l’arctique, l’ARC est très mal équiper pour se protéger. Avec le NORAD, nous avons les lignes de surveillance radar que nous devons s’occuper et remplacer, choses qui doit être fait impérativement.

      La souveraineté de l’espace maritime est aussi plutôt importante. Du côté atlantique et arctique nous avons un très grand passage vers le pôle Nord et le passage de Nord-Ouest qui s’ouvre petit à petit avec les changement climatique commence à être populaire pour certain passage, mais pas encore rentable à court terme.

      Quant au force terrestre, nous sommes membre de l’OTAN… On doit faire acte de présence dans le Grand Nord et l’armée est toujours d’utilité publique lors de catastrophe naturel.

  6. Jean-Michel dit :

    La Cour des Comptes canadiennes (PBO) estime à 74 milliards de dollars canadiens (53 millirads USD) le coût des 88 F35 sur 45 ans.
    https://www.cbc.ca/news/politics/f35-pbo-74-billion-1.7016178

    • Etienne Hannosset dit :

      Les Canadiens peuvent donc être rassurés. Si je ne me trompe pas, 53 milliards USD, c’est 50 milliards € soit 1 milliards par an. Dans 3.000 ans, le Canada aura 3.000 milliards de dette publique. Comme la France…

    • flightcombat dit :

      le cout semble astronomique mais il n’en est rien. Il faut prendre en compte l’inflation sur 45 ans qui, sur une moyenne de 2,5%/an, peu quadruplé (voir probablement plus) le cout annuel entre 2030 (entrée en service) et 2075 (fin de service). 53 mds sur 45 ans donne en moyenne environ 1,2 mds par an de cout de maintien en condition, ca semble pas déconnant. Rappel, en équivalence, l’AAE investit environ 350 millions/an pour un meme nombre d’appareil.

      • Avekoucenzeh dit :

        Pour exprimer « et même », usons de l’adverbe voire (dont c’est le sens) mais pas du verbe voir (qui a une signification bien différente).

        L’inflation sur 45 ans qui, sur une moyenne de 2,5 %/an, peut quadrupler (voire probablement plus) le coût annuel.

  7. Le Terrible dit :

    c’est un mouvement global et la France n’est pas mieux lotie. Des décennies de réduction budgétaire, de non investissement dans les matériels, les infrastructures, le soutien, l’entraînement, … L’exemple de la France est similaire avec un effondrement sur les 25 dernières années des effectifs -55000, du budget jusqu’en 2018 passage de 2,5% PIB à 1,5%, et des équipements 1200 à 200 chars, 540 à 230 chasseurs, 20 à 12 frégate de 1er rang, … On paye aujourd’hui le même prix que les Canadiens avec une démotivation et une charge portée par trop peu d’effectifs. Les politiques publiques ont détruit l’élan d’une institution millénaire nécessaire pour la cohésion et la solidité de notre République issue de la révolution.

  8. Navion dit :

    Ils n’ont qu’à tirer Dan Cooper de sa retraite !

  9. U corsu stragnu dit :

    bonjour à tous.
    je ne m explique pas pourquoi les coms sont désactivés sur l article traitant de la contre offensive ukrainienne.
    libé à supprimé tout ses coms en raison du trop grand nombres de textes contraires à l esprit du journal et sa ligne idéologique.
    je n imagine pas opex et mr L’agneau agir ainsi.
    bonjour chez vous.

    • Sillons dit :

      Ça vous amuse, de devoir subir l’offensive permanente des trolls télécommandés par les Russes ?
      Je doute que M. Lagneau approuve que des services étrangers essayent d’instrumentaliser son site pour manipuler l’opinion française.

    • Xos dit :

      Pour éviter un débat enflammé. Certains ici aiment jouer les commissaires politiques et s’amusent à lyncher des commentateurs qui ne suivent pas à la lettre la ligne Bfm/Lci en les désignants de troll, complotiste, poutiniste, communiste etc. Il y a pourtant des pro Ukraine et des pro Russe qui arrive à s’exprimer avec une certaine modération et intelligence, en parlant tactique/geostrategie/armement tranquillement, chacun à le droit d’avoir une opinion. Mais il y a quelques extrêmes des deux camps qui ont le cerveau completement caramelisé et s’amusent à mettre de l’huile sur le feux. Ca part vite en couille ensuite. Le responsable de ce site doit aussi en avoir marre de se taper ces guignols, et dans l’intérêt général il ferme les commentaires. C’est dommage mais tant que certain continueront a faire preuve d’immaturité et d’égo il en sera ainsi je pense.

      • rainbowknight dit :

        Certains ici sont attachés à la Liberté quand d’autres préfèrent non pas un peuple ou un pays mais une frange d’individus porteurs d’une idéologie qui fleure bon la nostalgie d’une douce époque révolue…. Totalitarisme/Communisme ou Nazisme/Fascisme c’est défendable à vos yeux?
        Le débat aussi hideux puisse t il vous paraître nous laisse appréhender une vérité : la bête immonde ne s’est jamais éteinte….
        Si BFM ou LCI vous horripilent, sachez que Soloviev vous ravira…..
        D’habitude je suis moins conciliant avec un troll..

    • Jack dit :

      Vous avez déjà entendu parler des usines à trolls ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Usine_%C3%A0_trolls

    • Lerespect dit :

      Inquiétez vous de votre orthographe.
      Toit va bien chez M. LL. preuve en est vous pouvez commenter ici. Votre imagination vous appartient laissez notre hôte faire.

  10. Pirlouis dit :

    Nos amis canadiens souffrent du même mal que nous. Leur Chirac à eux c’est le Justin.
    Il est vrai que leur mitoyenneté avec les USA les protège de XI mais au prix de leur autonomie.
    Tous les gouvernants des démocraties de la planète privilégient le confort de vie de leur population en sacrifiant la défense de leur pays depuis la fin de la guerre froide. Les autocrates quant à eux n’en n’ont eu cure. La guerre se réanimant malheureusement nous sommes bien dépourvus pour répondre aux besoins de réarmement.
    Aurons-nous le temps de contrer leurs ambitions belliqueuses ?
    Sur tous les fronts nous sommes confrontés à l’impéritie des politiques que ce soit pour notre défense comme pour le climat !

  11. LaMeuse dit :

    Pas de surprise sur la disponibilité.

    Au temps prolifique de la guerre froide, la dispo était très élevée, parce que les stocks de pièces étaient consistants. Si, une escadrille n’annonçait que 9 machines dispos sur 10 le jour d’un exercice, il valait mieux avoir une très bonne explication pour le chef de piste, le Cdt d’unité et le chef ST. En dessous, la chemise blanche était à repasser …
    C’est bien là que l’on mesure l’inanité de l’excuse : « Défaut d’approvisionnement en pièces détachées ».

    Aujourd’hui, espérons juste que les fameux contrats «verticalisés » reposent sur les bonnes hypothèses. On peut en douter, puisque ces contrats portent les équilibres économiques du moment et pas ceux d’une guerre ouverte. Les Stocks sont pour plus tard …

  12. Barfly dit :

    13 ans de palabres, 13 ans à enculer les mouches, 13 ans d’aveuglement. C’est à l’image de quasiment tous les pays occidentaux qui sont aujourd’hui sous-armés et qui ne font plus peur à personne. Il n’y a que Poutine qui voit en nous une menace, manipulation qui va dans le sens de son narratif guerrier ou alors simple paranoïa d’un ancien du KGB ? Bref, le réveil est difficile.

  13. Louis dit :

    C’est une bonne nouvelle. Les Forces Canadiennes ne sont qu’un ramassis de demie-mesures depuis longtemps. Que l’on se concentre sur une seule arme, quitte à au moins en avoir une vraie. Mais laquelle choisir? Elle sont toutes en mauvaise ou très mauvaise situation.

  14. JILI dit :

    Les réductions budgétaires et cette insidieuse guerre économique des entreprises, et surtout des USA, pour vendre à tout prix leurs avions, ont des effets dramatiques pour les forces aériennes de nombreux pays, et à cela s’ajoute la corruption des politiciens. Bref, il aurait fallu un grand coup de vent pour nettoyer tout ce bourbier, et pas la mais le Rafale, s’ils l’avaient acquis aurait fait le ménage, et redonné la joie et le plaisir aux aviateurs canadiens !

  15. Speedbird101A dit :

    Décidément Justin Trudeau c’est vraiment la Nupes outre Atlantique …..les Canadiens d’Overlord doivent se retourner dans leurs tombes à Beny sur mer…

  16. STEPH dit :

    l’inaction de Justin Trudeau à détérioré la défense du pays au point que nous ne pouvons plus défendre le vaste Canada contre une menace Russe ou Chinoise. Nous serions mieux de fusionner avec les USA pour avoir un avenir meilleur.