Grands fonds marins : La Marine nationale pourra nouer une coopération avec l’IFREMER autour du Nautile

Le 29 juin, par 314 voix « pour » et 17 « contre », le Sénat a adopté, en première lecture, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui prévoit un effort budgtaire au profit des armées de 413 milliards d’euros au cours de cette période. Bien que l’issue de ce vote ne laissait guère de place au doute en raison de la composition de la Haute Assemblée, les débats ont parfois été âpres entre les sénateurs et Sébastien Lecornu, le ministre des Armées. Et cela a notamment été le cas au sujet de l’amendement n°305, défendu par Christian Cambon, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, contre l’avis du gouvernement.

Pour rappel, le projet du gouvernement prévoit d’augmenter annuellement le budget des armées de 3,1 milliards d’euros en 2024, de 3 milliards entre 2025 et 2027, puis de 4,3 milliards entre 2028 et 2030 afin de porter le budget de la mission Défense à 69 milliards d’ici 2030. Seulement, et selon ses propres estimations, 30 milliards [sur les 413] pourraient être « consommés » par l’inflation.

D’où l’idée du Sénat, pour lisser les effets de cette inflation, de donner un rythme de progression plus régulier à la trajectoire financière de la LPM, avec des annuités de 3,6 milliards sur la période. « Plus nous dépensons vite, moins il y aura d’inflation sur ces dépenses », a fait valoir M. Cambon. Ce qui ne manque pas de bon sens…

Et, par conséquent, il serait possible d’avoir des marges de manoeuvres pour revoir à la hausse les commandes de certains équipements. Tel était l’objet de l’amendement n°305, lequel ajoute 153 Véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon, 17 Engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar, 325 VBMR légers Serval, 3 patrouilleurs hauturiers et 2 avions de transport A400M de plus au tableau capacitaire figurant dans le rapport annexé. En outre, il a confirmé le développement d’un nouveau standard de l’hélicoptère d’attaque Tigre, proche de la version Mk3.

« Vous rajoutez 3 milliards d’euros supplémentaires », a réagi M. Lecornu car « quand on met plus de matériel, il faut le financer ». Et « il est clair qu’on ne peut plus dire qu’on est à 413 milliards d’euros », a-t-il ajouté, avant d’estimer que les modifications apportées par cet amendement allaient gonfler la facture à « au moins 416,2 milliards si ce n’est 420 milliards ».

« Nous restons sur les 413 milliards, mais nous restons ouverts au débat », lui a répliqué M. Cambon. « Et s’il faut faire des redéploiements dans les 413 milliards, eh bien nous irons vers cette discussion”, a-t-il continué, avant de souligner le flou autour de l’enveloppe de cinq milliards d’euros prévue pour les drones.

Quoi qu’il en soit, cette question devrait faire l’objet d’intenses tractations au sein de la commission mixte paritaire [CMP] chargée de faire coïncider les textes votés par les députés et les sénateurs. D’autres points poseront moins de problèmes, comme la création d’un livret d’épargne « souveraineté » pour soutenir l’industrie de défense, les mesures visant à renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, ou encore l’étude sur le prolongation éventuelle de la durée du vie du porte-avions Charles de Gaulle.

Une autre disposition, votée à l’initiative du sénateur Philippe Folliot, devrait faire consensus. En effet, celle-ci prévoit de renforcer la coopération entre la Marine nationale et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer [IFREMER] pour l’exploration des fonds marins, décrits – à tort – comme constituant un « nouveau » champ de conflictualité… alors qu’ils le sont depuis que des câbles sous-marins de communication ont été posés… au XIXe siècle.

Or, dans sa stratégie de maîtrise des fonds marins, publiée en février 2022, le ministère des Armées a fait l’impasse sur les possibles synergies entre l’IFREMER – qui a une réelle expertise dans ce domaine avec le Nautile, un sous-marin habité pouvant plonger à 6000 mètres de profondeur – et la Marine nationale. Ce que l’amendement de M. Folliot a corrigé.

« La France a longtemps été pionnière des capacités ‘grands fonds’, en particulier et dans le domaine civil des capacités de plongée à 6000 mètres. Ces capacités ont notamment été entretenues par l’IFREMER avec son sous-marin, le Nautile, outil essentiel pour la recherche scientifique », a rappelé le sénateur dans l’exposé des motifs de son amendement.

Or, l’IFREMER a décidé de se séparer du Nautile en 2028 afin d’économiser un million d’euros par an [selon M. Folliot, ndlr]. Aussi, « dans le but de permettre à la flotte de l’IFREMER de se renouveler à l’avenir, et à la Marine nationale de conserver l’initiative en offrant aux industriels des indications précises sur ses besoins opérationnels, la possibilité d’une utilisation duale doit être étudiée », a estimé le parlementaire.

Et celui-ci d’ajouter : « La dualité serait une opportunité pour la France de développer ses capacités militaires, en particulier dans le domaine de la surveillance et de la protection des infrastructures sous-marines, tout en appuyant la recherche scientifique ».

Pour rappel, affichant un déplacement de 18 tonnes environ et pouvant accueillir trois personnes à son bord, le Nautile « fait partie de la petite famille de sous-marins habités grand-fond. Équipé de 3 hublots à grand champ de vision et de projecteurs à LED, il permet l’observation directe du fond marin », précise l’IFREMER, qui souligne aussi qu’il n’existe dans le monde que cinq submersibles de ce type. Il totalise, à ce jour, plus de 2000 plongées depuis 1984.

Grâce à cet amendement, la Marine nationale pourra récupérer une capacité perdue en 1974, avec le retrait de ses bathyscaphes, lesquels lui avaient permis d’être à la pointe de l’exploration des abysses quelques années auparavant.

Illustration : IFREMER

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