Pour la Russie, le renforcement des capacités militaires de la Pologne constitue une « menace »

Chars Abrams et K2PL « Black Panther », obusiers K9 « Thunder » et AHS Krab, lance-roquettes multiples K239 Chunmoo et M142 HIMARS, chasseurs légers F/A-50 « Golden Eagle », chasseurs-bombardiers F-35A, satellites d’observation, hélicoptères d’attaque AH-64E Guardian/Apache et de manoeuvre, systèmes de défense aérienne, sous-marins, etc. La liste des achats annoncés par la Pologne depuis le début de la guerre en Ukraine ne cesse de s’allonger, grâce à des dépenses militaires en constante augmentation.

Ces commandes passées par Varsovie visent non seulement à remplacer les équipements cédés à l’Ukraine… mais aussi à faire face à la menace russe en renforçant significativement ses forces armées, au point que celles-ci n’auront probablement aucun équivalent en Europe sur le plan conventionnel. Et c’est précisément ce que redoute Moscou, à en juger par les propos tenus ce 9 août par Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense.

D’abord, avant une réunion avec les hauts responsables militaires russes, M. Choïgou a estimé que les « menaces pour la sécurité » de la Russie « se sont multipliées dans les directions de l’ouest et du nord-ouest » au cours de ces dernières années. Ce qui suggère que la situation dans la région de l’Indo-Pacifique ne constitue pas un souci pour Moscou, alors que les forces russes enchaînent les exercices bilatéraux avec leurs homologues chinoises depuis plusieurs mois, comme c’est encore le cas actuellement, avec l’envoi d’une flottille commune forte de 11 navires au large de l’Alaska.

Quoi qu’il en soit, a continué M. Choïgou, ces « menaces » à l’ouest de la Russie « exigent une réponse rapide et adéquate ». Et « nous discuterons des mesures nécessaires pour les neutraliser lors de la réunion et prendrons les décisions appropriées », a-t-il annoncé.

La première de ces menaces est le soutien « sans précédent » apporté par des membres de l’Otan à Kiev. « La volonté de l’Occident d’investir une part importante de ses ressources en Ukraine pour retourner la situation sur le champ de bataille crée de sérieux risques d’escalade du conflit », a affirmé le ministre russe, qui n’a fait que reprendre les « éléments de langage » du Kremlin.

Si l’on tient un raisonnement « clausewitzien », comme l’a récemment fait le général Jacques Langlade de Montgros, le directeur du renseignement militaire français, la cohésion de l’Otan constitue le « centre de gravité » de l’Ukraine. « Si elle se fragilise, si le soutien se fait plus hétérogène ou plus contesté dans certains pays, cela ne facilitera pas le travail des Ukrainiens à court terme et fragilisera globalement leurs chances d’atteindre leurs objectifs », a-t-il expliqué lors d’une récente audition parlementaire. D’où le propos de M. Choïgou.

Par ailleurs, ce dernier a estimé que les adhésions de la Finlande et de la Suède à l’Otan [précipitées, justement, par la guerre en Ukraine] constituent un « sérieux facteur de déstabilisation » puisque la longueur de la frontière terrestre entre la Russie et le territoire couvert par l’Alliance a doublé. Là, le Kremlin ne peut s’en prendre qu’à lui même.

Enfin, le ministre russe de la Défense a évoqué un dernier risque : celui de la « militarisation » de la Pologne, qui est « devenue le principal instrument de la politique antirusse des États-Unis ».

La Pologne a « annoncé son intention de bâtir l’armée la plus puissante du continent. Par conséquent, et à cette fin, elle a commencé à acheter des armes aux États-Unis, à la Grande Bretagne et à la Corée du Sud. Cela comporte un risque pour la Russie », a insisté M. Choïgou.

Sur ce point, souligne le site spécialisé polonais Defence24, le responsable russe se garde bien de dire que les achats d’armes de Varsovie sont « une conséquence de la politique agressive de la Russie à l’égard de ses voisins », comme en témoigne l’Ukraine. « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes », fait on dire à Bossuet.

Cependant, certaines initiatives polonaises peuvent sembler contre-productives, dans la mesure où elles sont susceptibles de conforter le narratif du Kremlin. Tel est par exemple le cas de la décision de redonner officiellement le nom polonais de « Krolewiec » à l’enclave russe de Kaliningrad [qui s’est aussi appelée « Königsberg » quand elle était prussienne].

« Nous ne souhaitons pas la russification en Pologne, d’où notre décision d’appeler Kaliningrad et sa région dans notre propre langue », avait justifié Waldemar Buda, le ministre du Développement, en juin dernier. Et d’ajouter : « Le fait d’avoir pourvu une grande ville près de notre frontière du nom de Kalinine, un criminel co-responsable de la décision sur l’exécution massive d’officiers polonais à Katyn en 1940, éveille en Pologne des émotions négatives »

« Ce n’est même plus de la russophobie, ce sont des processus à la limite de la folie qui se passent en Pologne. […] Cela n’apporte rien de bon pour la Pologne. Ce ne sont pas seulement des actions inamicales: ce sont des actions hostiles », avait immédiatement réagi Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.

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