L’armée de l’Air et de l’Espace veut retrouver la capacité de disperser ses avions en cas de conflit

En juillet 2021, l’Air Chief Marshal [ACM] Sir Michael Wigston, alors chef de la Royal Air Force, fit part de son intention d’organiser à nouveau des « exercices de dispersion sans préavis » des avions de combat britanniques vers des aérodromes civils [voire vers des autoroutes], ce qui ne s’était plus vu au Royaume-Uni depuis plus de trente ans.

« Nous devons réapprendre à nous disperser » car si « l’arsenal [de missiles] dont se vante [le président russe] Poutine était déplacé vers l’enclave de Kaliningrad, nous serions à portée », avait-il expliqué. Et d’ajouter que la « trajectoire » suivie par la Russie au cours de 15 dernières années « oblige les chefs militaires à faire preuve d’innovation face à une menace croissante ». La guerre en Ukraine lui a depuis donné raison…

Aussi, en juin dernier, l’Air Marshal Harvey Smith, le chef des opérations aériennes de la RAF, a confirmé que de telles manoeuvre de dispersion allaient être prochainement organisés au Royaume-Uni mais aussi en Finlande, où la pratique consistant à mettre en oeuvre des avions de combat [des F/A-18 Hornet, en l’occurrence] est de nouveau à l’ordre du jour. Évidemment, la capacité STOVL [décollage court et atterrissage vertical] des F-35B britanniques est un atout pour ce type d’exercice. En revanche, ce sera plus délicat pour les Eurofighter Typhoon… D’où le recours à l’expertise finlandaise pour cette « stratégie d’opérations distribuées ».

Dotée, comme le Royaume-Uni, d’une force de dissuasion nucléaire, la France n’est pas à l’abri d’une éventuelle attaque de missiles. En tout cas, le « patron » du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes [CDAOA] de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], le général Philippe Moralès, partage les préoccupations de ses homologues britanniques.

« La haute intensité implique une grande variété de menace avec un rapport de force qui s’équilibre. […] Lorsque nous observons ce qui se passe en Ukraine, aucun camp n’a pu obtenir la supériorité aérienne et il est probable que cette situation va perdurer. C’est l’une des clés qui permet d’expliquer la situation aujourd’hui où deux forces terrestres se neutralisent mutuellement, où les hommes sont contraints de s’enterrer dans des tranchées », a d’abord souligné le général Moralès, dans un entretien publié dans le [copieux] numéro 5 de la revue Vortex, éditée par le Centre d’études stratégiques aérospatiales [CESA].

Aussi, a-t-il continué, « pour ne pas arriver à cette situation désastreuse, la place de la défense aérienne reste donc primordiale afin de garantir une liberté d’action suffisante à nos forces en particulier » car elle « constitue l’un des premiers rideaux défensifs face à une agression armée ». Et cela d’autant plus que les menaces se « diversifient » comme le montre la guerre en Ukraine.

Dans ces conditions, pour le général Moralès, « nos territoires ne doivent plus être perçus comme des sanctuaires qui ne peuvent être touchés »… alors que les capacités de défense aérienne ont été négligées depuis la fin de la Guerre Froide. D’où, selon lui, la nécessité de « réinvestir » dans ce domaine et de « retrouver nos anciens réflexes en dispersant par exemple nos moyens, en investissant sur la mobilité de nos moyens ou le durcissement de nos infrastructures » afin d’être « plus résilients ».

À cette fin, le CDAOA planche sur le concept « Agile Combat Employment » [ACE] qui, inspiré par celui élaboré par l’US Air Force, vise à « pouvoir déployer et disperser ses moyens aériens en différents endroits pour qu’ils soient moins vulnérables aux frappes ennemies. Le ciblage adverse doit devenir plus difficile car nous sommes moins prévisibles », a expliqué le général Moralès.

Seulement, depuis la fin de la Guerre Froide, de nombreuses réformes structurelles sont passées par là… Ce qui s’est traduit par la fermeture de nombreuses bases aériennes [pas moins de 17 entre 2007 et 2017], alors dotés d’abris durcis [Hardener Aircraft Shelter, HAS]. Et, désormais, les escadrons de chasse de répartissent sur un nombre limité d’emprises… susceptibles, le cas échéant, d’être visées en premier par un adversaire potentiel. D’où la difficulté de la tâche pour le général Moralès.

« Nous avons fermé de nombreuses bases et nos moyens sont concentrés sur quelques plateformes. Si nous devions disperser nos moyens à travers la France ou en Europe, il nous faudrait pouvoir réduire nos empreintes logistiques au minimum, rendre nos aviateurs plus polyvalents et interopérables, communiquer et commander avec des moyens qui ne sont pas nécessairement habituels », a-t-il développé. Et la solution passerait par une dispersion des moyens vers les pays alliés de l’Otan….

« Nous tournons notre regard vers différentes plateformes en Europe pour apprécier leurs capacités d’accueil. Nous avons commencé à échanger avec nos partenaires de l’Otan, avec qui nous sommes interopérables. Nous n’en sommes qu’aux débuts de la démarche mais il est tout à fait envisageable d’exporter ce concept à d’autres régions, comme l’Indopacifique », a conclu le patron du CDAOA.

Photo : armée de l’Air & de l’Espace

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