La possible participation de la Belgique au Système de combat aérien du futur divise les industriels français

Le 28 avril dernier, la France, l’Allemagne et l’Espagne ont officiellement lancé la phase 1B du programme SCAF [Système de combat aérien du futur], après des mois de discussions pour régler les problèmes de partage des tâches et de propriété industrielle entre les industriels concernés, notamment entre Dassault Avation et les filiales allemande et espagnole d’Airbus Defence & Space.

Ce projet, qui vise à développer un « système de systèmes » reposant sur un avion de combat de 6e génération, « doit nous permettre de renforcer le développement de l’industrie européenne, afin que nos trois pays restent dans le cercle restreint des concepteurs de systèmes aériens innovants », avait alors souligné le ministère français des Armées.

Mais un quatrième frappe déjà à la porte : la Belgique. En effet, dans un entretien accordé au quotidien « La Libre Belgique », la semaine passée, la ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder, a laissé entendre qu’une décision allait être bientôt prise lors d’un Conseil des ministres au sujet de l’aviation de combat du futur.

« L’avion de 6e génération est plus qu’un avion. C’est un ensemble de systèmes de combat interopérables, tels que des drones. On a une industrie en Belgique avec un savoir-faire qui peut être valorisé à ce niveau. Et le SCAF offre cette possibilité », a en effet déclaré Mme Dedonder. En tout cas, il laisse a priori espérer davantage d’opportunités pour Bruxelles que le Global Combat Air Programme [GCAP, ex-Tempest], le projet concurrent porté par le Royaume-Uni, en coopération avec l’Italie et le Japon.

Quoi qu’il en soit, selon la Libre Belgique, un consensus a été trouvé au sein du gouvernement belge pour rejoindre le SCAF. Et de souligner que la volonté de Bruxelles est de s’assurer un « maximum de retombées économiques, d’où cette montée précoce dans un des programmes phares » en matière d’aviation de combat du futur.

Et, déjà, l’industrie aéronautique belge se voit déjà à bord du SCAF. « La Belgique peut contribuer à cet avion du futur en alliant humilité, détermination et compétence », a ainsi fait valoir Stéphane Burton, le PDG du groupe Orizio, qui compte la Sabca et Sabena Engineering parmi ses filiales. Et il établit un parallèle avec l’achat de chasseurs-bombardiers F-16 dans les années 1970. Achat qui avait été qualifié, en son temps, de « contrat du siècle ».

« Le contrat d’achats des avions F-16 a eu un impact énorme sur le secteur pendant plusieurs dizaines d’années » et, avec le SCAF, « je pense qu’on peut arriver aux mêmes retombées économiques. […] En tout cas, c’est l’ambition que l’on doit avoir » pour la Belgique, a dit M. Burton, le 13 juin. En outre, celui-ci estime qu’une participation belge à ce programme ne doit pas tarder. « Si on devait y entrer plus tard, ce serait problématique » car « on arrive dans une phase importante, celle du démonstrateur », a-t-il soutenu.

Seulement, en 2018, alors ambassadrice de France en Belgique, Claude-France Arnould avait prévenu : si Bruxelles devait choisir le F-35 américain pour remplacer ses F-16 aux dépens d’un avion européen [Rafale ou Eurofighter], alors son éventuelle participation au programme SCAF serait compromise. Ce que le Premier ministre belge, qui était alors Charles Michel [désormais président du Conseil européen] n’avait pas apprécié…

Mais les réticences à une implication de la Belgique dans le SCAF viennent principalement de Dassault Aviation, maître d’oeuvre de l’avion de combat de nouvelle génération [NGF – New Generation Fighter], c’est à dire du pilier n°1 du programme.

« J’entends également parler d’une éventuelle participation de la Belgique. Dans ces conditions, je suggère de créer un club F-35 au sein du projet SCAF… », a ainsi ironisé Éric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, lors d’une récente audition au Sénat.

« Je pense qu’il faut nous en tenir à ce sur quoi nous nous sommes engagés, ce qui n’est déjà pas facile. Nous devons réaliser la phase 1B à trois. J’espère que nous poursuivrons avec la phase 2, qui permettra de faire voler le futur avion, toujours à trois. Si on veut élargir la coopération, les discussions seront plus longues. Je rappelle que nous, Français, nous ne représentons plus qu’un tiers de ce projet. Je crains qu’aller plus loin ne se traduise par une perte de compétences utiles », a ensuite expliqué M. Trappier. Et d’ajouter : « Si on rouvrait trop vite la possibilité de nouvelles coopérations, pour donner du travail aux sociétés belges, je me battrais pour faire valoir mon point de vue, même si bien sûr l’État peut toujours imposer le sien ».

Cela étant, la perspective d’une implication belge dans le SCAF divise apparemment les industriels français… Car, ce 15 juin, le PDG de Safran, Olivier Andriès, a pris le contre-pied de M. Trappier en s’y disant favorable. « Sur le fond, il est totalement logique que la Belgique souhaite se joindre à un des grands programmes européens d’avions de combat du futur. Et évidemment, mon souhait, c’est que la Belgique se joigne plutôt au Scaf qu’au Tempest », a-t-il confié au quotidien « L’Écho ».

« Mais tout cela est avant tout une décision qui relève des États, pas des industriels. Il faut respecter cela. Et donc, s’il y a un choix souverain et totalement respectable de la Belgique de rejoindre le SCAF plutôt que le Tempest, je l’accueillerais très favorablement en tant qu’industriel français. Il appartiendra aux gouvernements français, allemand et espagnol de prendre acte de cette candidature. Et de prendre la décision d’accueillir – ou pas – la Belgique dans ce programme », a conclu M. Andriès.

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