La Chine a augmenté la taille de son arsenal nucléaire de plus de 40% en quatre ans

Selon les sénateurs Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret, rapporteurs sur le programme 146 « Équipement des Forces », sur les 413 milliards d’euros d’investissements prévus par la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, environ 50 milliards [soit 12%] devraient être destinés au renouvellement des deux composantes [océanique et aéroportée] de la dissuasion nucléaire. Il ne s’agit que d’une estimation faite par les deux parlementaires, le budget exact n’étant pas précisé dans le texte du projet de loi.

Ces investissements importants – 7 milliards d’euros par an sur la période 2024-30 – permettront de préparer la prochaine génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE 3G, à l’horizon 2035], de développer le prochain incrément du missile balistique mer-sol M51 ainsi que celui du successeur de l’ASMP-A rénové [Air Sol Moyenne Portée – Amélioré] ou encore de poursuivre la modernisation des transmissions [un domaine essentiel mais souvent occulté]. Rien de plus car il n’est pas question d’aller au-delà des 290 têtes nucléaires qui composent actuellement l’arsenal français.

Lors de l’examen de ce projet de LPM à l’Assemblée nationale, cet effort en faveur de la dissuasion nucléaire n’a pas manqué d’être « questionné », voire contesté, sur certains bancs de l’hémicycle. En la matière, la France applique certainement l’une des doctrines les plus lisibles au monde », a fait valoir Sébastien Lecornu, le ministre des Armées. Et de rappeler que la dissuasion française est « défensive, strictement suffisante et capable de causer des dommages inacceptables à la partie adverse ».

Sous d’autres latitudes, on se pose visiblement beaucoup moins de questions… Si le Royaume-Uni et Israël [qui est officieusement doté de l’arme nucléaire] n’ont pas augmenté la taille de leurs arsenaux respectifs depuis longtemps, comme, du reste, la France, ce n’est pas le cas de plusieurs pays de la région Indo-Pacifique, comme le souligne le dernier rapport du Stockholm International Peace Research Institute [SIPRI].

Ainsi, en 2019, le Pakistan était supposé détenir au moins 150 ogives nucléaires. Quatre ans plus tard, il en posséderait 20 de plus… Et l’Inde n’est pas en reste, son arsenal s’étant renforcé avec 34 armes nucléaires supplémentaires au cours de la même période [164 en 2023 contre au moins 130 en 2019, ndlr]. Cette tendance n’est pas surprenante, ces deux pays aux relations compliquées cherchant à atteindre une parité stratégique.

En revanche, l’arsenal détenu par la République populaire de Chine [RPC] croît à un rythme soutenu. En 2019, le SIPRI avait estimé qu’elle possédait 290 armes nucléaires [soit autant que la France]. Et entre 2020 et 2022, soixante de plus furent produites…. Et, selon l’institut suédois, l’Armée populaire de libération en compterait désormais 410. Soit une progression de +41% en quatre ans.

« L’estimation du SIPRI de la taille de l’arsenal nucléaire de la Chine est passée de 350 ogives en janvier 2022 à 410 en janvier 2023, et elle devrait continuer de croître. Selon la manière dont elle décide de structurer ses forces, la Chine pourrait potentiellement avoir au moins autant de missiles balistiques intercontinentaux que les États-Unis ou la Russie d’ici la fin de la décennie », affirme le rapport.

Chercheur principal associé au programme « Armes de destruction massive » du SIPRI et directeur du Nuclear Information Project à la Fédération Of American Scientists [FAS], Hans M. Kristensen estime que qu’il sera « de plus en plus difficile de concilier cette tendance avec l’objectif déclaré de la Chine de n’avoir que le minimum de forces nucléaires nécessaires pour maintenir sa sécurité nationale ».

En effet, la doctrine de la Chine repose sur trois concepts : la dissuasion limitée [ou stricte suffisance], la défense effective et la contre-attaque contre les sites stratégiques de l’adversaire. Le renforcement significatif de son arsenal suggère un changement d’approche…

En tout cas, l’évaluation du SIPRI corrobore celle faite en novembre dernier par le Pentagone. « Si la Chine continue d’accroître son arsenal nucléaire à ce rythme, elle disposera, selon toute probabilité, d’environ 1’500 ogives » d’ici 2035, avait-il affirmé, dans un rapport sur l’évolution des capacités militaires chinoises remis au Congrès. En outre, il avait noté un nombre significatif – 135 au total – de tirs de missiles à capacité nuléaire par l’APL au cours de l’année 2021.

Ce renforcement de l’arsenal nucléaire chinois peut avoir des conséquences sur celui de l’Inde, susceptible d’être tentée de revoir le sien à la hausse. Et il est de nature à compliquer les discussions en matière de désarmement entre la Russie et les États-Unis, lesquels possèdent à eux deux 90% des armes nucléaires.

« Malgré une baisse de la transparence des deux pays sur les forces nucléaires suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, la taille de leurs arsenaux nucléaires respectifs [c’est-à-dire les ogives utilisables] semble être restée relativement stable en 2022 », note le SIPRI à leur sujet. Et cela alors que Moscou a décidé de suspendre sa participation à l’accord de désarmement NEW START, qui arrivera à échéance en 2026.

« Nous entrons dans une nouvelle ère qui demande de nouvelles stratégies. […] Les États-Unis sont prêts à respecter les limitations du nombre d’ogives nucléaires fixées par l’accord de non-prolifération New Start tant que la Russie fera de même », a récemment soutenu Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Joe Biden.

Celui-ci a également assuré que les États-Unis sont prêts à discuter « sans conditions préalables » de non-prolifération nucléaire avec la Chine… tout en notant que Pékin « n’a pas montré la volonté » de le faire jusqu’à présent.

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