Mme Parly précise la stratégie militaire spatiale française, dotée de 700 millions d’euros supplémentaires

À l’occasion d’un déplacement à la base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun pour y préciser la stratégie militaire spatiale de la France, la ministre des Armées, Florence Parly, a donné des nouvelles de l’objet russe Luch Olymp, qu’elle avait déjà accusé, en septembre 2018, d’avoir espionné le satellite franco-italien Athena-Fidus. « Il a depuis laissé sa carte de visite à 8 nouveaux satellites, appartenant à différents pays », a-t-elle assuré.

« Des satellites espionnés, brouillés, ou encore éblouis. Les moyens de gêner, neutraliser ou détruire les capacités spatiales adverses existent et ils se développent : nous le savons, l’ombre de la menace est bien réelle », a ensuite souligné la ministre.

Cette « arsenalisation rampante » de l’espace, marquée par le développement de satellites « butineurs », d’armes anti-satellites ou encore de capacités de brouillage, ainsi que l’avènement du « New Space », c’est à dire, pour faire simple, la privatisation des activités spatiales, sont autant de défis que la stratégie militaire de la France pour l’Espace entend relever. Et elle se décline selon trois axes.

Le président Macron l’avait annoncé lors de son discours prononcé à l’Hôtel de Brienne, le 13 juillet : l’armée de l’Air sera aux commandes pour mener les opérations spatiales. Et elle abritera par conséquent un « Commandement de l’espace », qui, fort de 220 militaires dans un premier temps, succédera au « Commandement interarmées de l’espace », à compter du 1er septembre.

« Le commandement de l’espace aura pour rôle de fédérer et coordonner tous les moyens consacrés au domaine spatial de défense. Et c’est à Toulouse, ville au cœur de l’écosystème spatial
français, que sera basé » son « centre opérationnel », a indiqué la ministre.

« À terme, le centre doit conduire l’ensemble de nos opérations spatiales, sous les ordres du chef d’état-major des armées, en lien avec le Centre de planification et de conduite des opérations, à l’instar de l’ensemble de nos opérations », a-t-elle ajouté.

Par ailleurs, Toulouse accueillera également un « campus spatial », qui réunira, sous la patronnage de la Direction générale de l’armement [DGA] et le Centre national des études spatiales [CNES], un laboratoire dédié aux activités spatiales de défense [« SpaceLab »] ainsi qu’une « Académie de l’Espace pour fédérer toutes les formations du ministère, susciter les vocations et
favoriser les carrières spatiale. » Pour Mme Parly, « vouloir devenir, un jour, général de l’espace, ce n’est plus une fantaisie, ce sera désormais une ambition crédible. »

Le second axe de la stratégie dévoilée par la ministre est d’ordre juridique.

« Pour l’heure, les opérations spatiales militaires obéissent aux mêmes règles que les opérations spatiales des acteurs privés. Au moment où l’espace devient un enjeu majeur de sécurité nationale, cela doit changer : la loi doit donc évoluer, et ce dans le plein respect du droit international, pour intégrer la spécificité des opérations spatiales militaires, comme cela a déjà été fait aux Etats-Unis, ou en Finlande », a expliqué Mme Parly, avant d’annoncer le dépôt prochain d’un avant-projet de loi visant à « libérer nos armées et protéger nos capacités. »

L’idée est de donner plus de marge de manoeuvre aux armées pour qu’elles puissent « protéger pleinement nos intérêts de défense » et, plus largement, les « intérêts de la Nation. » Ainsi, le ministère des Armées assumera la fonction d’opérateur spatial, ce qui lui donnera une autonomie d’action. « Cela signifie que nous devons pouvoir prendre la main sur nos satellites, qui sont actuellement opérés par nos camarades ingénieurs et techniciens du CNES », a précisé la ministre.

Cette dernière a aussi répété qu’il s’agit « en aucun cas » pour la France de ce lancer dans une course aux armement, la priorité allant toujours aux efforts diplomatiques afin de garantir un « usage pacifique de l’espace ». Pour autant, la stratégie française prévoit la mise au point « d’armes défensives » dans le cadre d’un nouveau programme d’armement appelé « Maîtrise de l’Espace ».

« Notre première responsabilité, c’est d’abord de protéger nos moyens dans l’espace. Ils sont essentiels à nos opérations, ils sont essentiels au fonctionnement de notre économie et de notre société. Il nous faut surveiller plus et mieux nos satellites. Il nous faut connaître parfaitement les objets qui les entourent, qui croisent leurs trajectoires. Il nous faut pouvoir détecter et attribuer les actes suspects, inamicaux, voire hostiles à nos satellites militaires et nos intérêts spatiaux », a justifié Mme Parly.

Il sera donc question d’améliorer les capacités en matière de détection et de suivi des objets en orbite, avec notamment la mise au point du successeur du système GRAVES [Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale], lequel devra être en mesure de « déceler des satellites de la taille d’une boîte de chaussures à une distance de 1.500 kilomètres. » En outre, a poursuivi la ministre, « nous explorerons les capacités des radars imageurs de satellites pour mieux les classifier. » Des coopérations avec le secteur public et privé sont prévues, que ce soit avec le CNES [téléscopes TAROT], ArianeGroup [réseau GeoTracker] et Airbus Group.

Ces moyens de surveillance seront complétés, à l’horizon 2023, par des « nano-satellites patrouilleurs », décrits par Mme Parly comme devant être de « redoutables petits détecteurs qui seront les yeux de nos satellites les plus précieux », ainsi que par des capacités de surveillance spatiale depuis l’espace « auprès de constellations privées ». Thales sera appelé à y jouer un rôle.

Par ailleurs, la coopération au niveau européen [et, pour commencer, avec l’Allemagne] sera recherchée afin de bâtir « une future capacité commune de connaissance de la situation spatiale, suffisamment précise pour permettre la détection et l’identification des tous petits objets, y compris les débris de petite taille. »

Enfin, la ministre a remis au goût du jour un projet de démonstrateur de radar de très longue portée pour faire face à la « menace croissante des missiles. » Un tel système d’alerte avancée figurait dans le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale [LBDSN] de 2008.

Disposer de capacités de détection et de suivi accrues permettra ainsi, le cas échéant, de mieux organiser la « défense active » des satellites français. « Cela n’a rien d’une stratégie offensive, ce dont il s’agit, c’est d’autodéfense. C’est, lorsqu’un acte hostile a été détecté, caractérisé et attribué, pouvoir y répondre de façon adaptée et proportionnée, en conformité avec les principes du droit international », a assuré Mme Parly.

Pour cette « défense active », la minsitre a confirmé que la France utilisera des « lasers de puissance » qui seront déployés sur ses satellites et/ou sur des futurs « nano-satellites patrouilleurs. » L’ONERA travaille sur ce sujet.

Évidemment, l’application de cette stratégie spatiale aura un coût… qui n’avait pas été anticipé par la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25, même si cette dernière prévoit 3,6 milliards d’euros d’investissement dans ce domaine, afin de financer, notamment, les lancement des constellations CSO et CERES, ainsi que le programme OMEGA [Opération de Modernisation des Equipements GNSS des Armées] et les projets « IRIS » et « CELESTE ».

« Pour limiter les conséquences budgétaires de ces nouvelles capacités spatiales, nous pourrons y avoir accès soit en achetant des services auprès d’opérateurs de confiance, soit en mutualisant nos moyens avec nos partenaires européens. […] Faire mieux ensemble en réduisant la facture, c’est aussi une des vertus de l’Europe de la défense », a estimé Mme Parly. Mais même en ayant recours à ces solutions, il faudra trouver plusieurs centaines de millions d’euros de plus.

« Sur la durée de cette LPM, cet effort représente 700 millions d’euros supplémentaires, en complément des 3,6 milliards d’euros déjà prévus pour le renouvellement complet de nos capacités satellitaires. Et ces investissements nouveaux seront réalisés à l’intérieur de l’enveloppe prévue par la Loi de programmation militaire », a annoncé Mme Parly. Ce qui veut dire que d’autres programmes d’équipement risquent d’en pâtir si des marges de manoeuvres ne sont pas dégagées ou si les surcoûts des opérations extérieures et des missions intérieures venait à déraper…

Photo : Dassault Aviation

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