Malgré une hausse des commandes, le chiffre d’affaires des principaux industriels de l’armement a baissé en 2022

Avec la guerre en Ukraine et les tensions dans la région Indo-Pacifique, il ne se passe pratiquement pas un jour sans qu’un pays n’annonce l’acquisition de nouvelles capacités militaires. Pour autant, cette tendance ne se traduit pas par une hausse substantielle du chiffre d’affaires des principaux industriels de l’armement.

Déjà, l’an passé, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [SIPRI] avait déjà constaté un « tassement » du chiffre d’affaires global des cent principaux groupes du secteur, avec une hausse [+1,9%] en deçà de la moyenne [+3,7%] constatée lors des quatre années ayant précédé la pandémie de covid-19. Les mesures sanitaires et, surtout, la pagaille dans les chaînes d’approvisionnement en semi-conducteurs et en matières premières critiques en avaient été la cause.

Visiblement, ces difficultés n’ont pas disparu… Et d’autres sont venues s’y ajouter. C’est en effet le constat établi par le SIPRI pour l’année 2022, le chiffre d’affaires des cent plus grands industriels de l’armement ayant reculé à 597 milliards de dollars, l’an passé, marquant ainsi un recul, en termes réels, de -3,5% par rapport à 2021, alors que la demande a fortement progressé.

« De nombreuses entreprises d’armement ont été confrontées à des obstacles pour adapter leur production en vue d’une guerre de haute intensité. Toutefois, de nouveaux contrats ont été signés
notamment pour des munitions, ce qui devrait se traduire par une hausse du chiffre d’affaires en 2023 et au-delà », a en effet souligné Lucie Béraud-Sudreau, directrice du programme « Dépenses militaires et Production d’armes » du Sipri.

Cependant, la situation est plus contrastée… Et cette baisse s’explique surtout par les difficultés subies par la plupart des 42 groupes américains figurant dans le « Top 100 » établi par le SIPRI. Globalement, leur chiffre d’affaires a chuté de 7,9% en 2022, pour atteindre les 302 milliards de dollars. Et cela s’expliquerait par des « problèmes persistants dans la chaîne d’approvisionnement et des pénuries de main-d’œuvre résultant de la pandémie de covid-19 ».

Ainsi, malgré un afflux de commandes liées à la guerre en Ukraine, les principaux groupes américains – à l’exception de ULA [lancements spatiaux], de Northrop Grumman et des sociétés d’ingénierie [KBR] ou de services [Amentum] – connaissent des difficultés pour adapter leurs capacités de production à la demande. Et les surmonter pourrait prendre quelques années.

« En raison des carnets de commandes déjà existants de ces entreprises et des difficultés à augmenter leur capacité de production, les revenus générés par ces nouvelles commandes ne se refléteront dans les comptes de l’entreprise probablement que d’ici deux à trois ans », a estimé Nan Tian, chercheur principal au SIPRI.

En Europe, certains industriels éprouvent les mêmes problèmes. Cependant, quelques uns ont réussi à tirer leur épingle du jeu, comme Rheinmetall [+6%], KNDS [+11%], PGZ [+14%] et Airbus [+17%]. Et c’est surtout vrai au… Royaume-Uni, Atomic Weapons Establishment et Babcock International Group ayant vu leur chiffre d’affaires progresser respectivement de 17% et de 21%.

« Les sociétés transeuropéennes Airbus et KNDS comptent parmi les principales sources d’augmentation du chiffre d’affaires issu des ventes d’armes en Europe, en grande partie grâce aux livraisons effectuées sur des commandes de longue date », relève le SIPRI. « La guerre en Ukraine a entraîné une demande de matériel adapté à une guerre d’usure, comme les munitions et les véhicules blindés. De nombreux producteurs européens ont vu leur chiffre d’affaires augmenter », souligne-t-il par ailleurs.

En revanche, si le chiffre d’affaires des industriels occidentaux de l’armement a globalement baissé en 2022, ce n’est pas le cas de celui de leurs homologues asiatiques, portés par les programmes de modernisation militaire des pays dont ils sont issus.

C’est évidemment le cas des groupes chinois, dont certains sont désormais bien installés dans le « top 20 » [comme Norinco, AVIC, CASC, CETC, CASIC, CSSC].

« En 2022, la Chine représente la deuxième plus grande part du chiffre d’affaires par pays du Top 100, soit 18 %. Le chiffre d’affaires issu des ventes d’armes combiné des huit entreprises d’armement chinoises du Top 100 a augmenté de 2,7 % pour atteindre 108 milliards de dollars », avance le SIPRI.

« Les entreprises en Chine, en Inde, au Japon et à Taiwan ont toutes bénéficié d’investissements gouvernementaux soutenus dans le cadre des programmes de modernisation militaire », note l’institut suédois. Cela vaut aussi pour les industriels sud-coréens, dont la performance globale a été « plombée » par le recul de 8,5% du chiffre d’affaires de Hanwha Aerospace, le plus important d’entre eux. Probablement que celui-ci a aussi des difficultés pour adapter sa production à la demande, émanant notamment de Pologne et des Émirats arabes unis.

Plus généralement, les groupes asiatiques, dont le chiffre d’affaires total s’est élevé à 134 milliards de dollars l’an passé [soit +3,1%], bénéficient d’une hausse de la demande domestique sans avoir à subir de perturbations dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Enfin, au Proche et Moyen-Orient, les industriels israéliens et turcs s’en sont bien sortis, avec un chiffre d’affaires combiné de 17,9 milliards de dollars [+11%]. Trois des quatre groupes turcs figurant dans le « Top 100 » représentent environ 30% de ce total, leurs ventes ayant connu une progression à deux chiffres [+94% pour le constructeur de drones Baykar, +17% pour Roketsan et +14% pour Turkish Aerospace Industries].

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16 contributions

  1. Félix GARCIA dit :

    « Trois des quatre groupes turcs figurant dans le « Top 100 » représentent environ 30% de ce total, leurs ventes ayant connu une progression à deux chiffres [+94% pour le constructeur de drones Baykar, +17% pour Roketsan et +14% Turkish Aerospace Industries]. »
    —> « ASFAT and Istanbul Naval Shipyard: PN MILGEM corvettes and Hisar-class OPV »
    https://www.youtube.com/watch?v=v23KWoavicg

    • lecoq dit :

      c’est vraiment une bonne idée de contribuer a developper les capacités turques … ouais une super idée

      • Kaya dit :

        Oui c’est vraiment une bonne idée de développer les capacités de la BITD turque qui je le rappelle est fait par les Turcs eux-mêmes, certainement pas avec l’aide de ses « alliés »qui lui font des embargos jusqu’aux machines outils . Les résultats de la BITD turque pour 2023 est meilleure que 2022 ,ce n’est que le début car des dizaines de projets arrivent à terme et les ventes à l’export vont exploser ,il n’y a pas le moindre doute là-dessus .Cette année , la société BAYKAR, à elle seule, en est pratiquement au même montant que les ventes à l’export de toute la BITD turque (4,4 Mds de dollars) pour 2022 avec seulement trois contrats avec le Koweït,Roumanie et l’Arabie Saoudite .

    • Kaya dit :

      J’ai vu ce reportage ,c’est bizarre le directeur de ASFAT n’a pas parlé des 3+5 corvettes devant être construits pour la Malaisie,les officiels ont déclaré dernièrement que c’était une société turque qui avait gagné ,trois chantiers navals turcs étaient en finale pour cet appel d’offre ,le nom de celui qui a gagné cet appel d’offre n’a pas été dévoilé,ASFAT était un de ceux-ci,donc c’est soit STM ou DEARSAN .

  2. VinceToto dit :

    Il manque la Russie dans cet article!
    Il y a des signes, dont images satellites de nouvelles usines, hangars qui pourraient signifier une hausse et future hausse de productions dans de nombreux domaines militaires et civils: https://www.rferl.org/a/russia-ramping-up-war-production/32658857.html
    Nous en serrons probablement plus dans quelques mois, le commandant de l’OTAN disant que l’OTAN devait se préparer à avoir des mauvaises nouvelles d’Ukraine:
    https://www.politico.eu/article/nato-boss-jens-stoltenberg-warns-of-bad-news-from-ukraine/

  3. Stoltenberg dit :

    Cela peut également dépendre de la façon dont les contrats se reflètent au niveau de la compta. Pour certaines commandes qui ont eu lieu en 2022 il est possible que les clients ont versé uniquement le 1er acompte.

  4. rob.mac dit :

    Merci à la Russie de permettre l’augmentation du chiffre d’affaire des usines d’armements,occidentales malheureusement contrarié par la hausse de l’énergie, des matières premières et des divers blocus dus … aux guerres.

  5. john dit :

    Aucune surprise, la production met du temps à se mettre en place, et là où les premiers investissements ont eu lieu pour la hausse de production, ce n’est pas chez les principaux fabricants, mais chez leurs fournisseurs qui bien souvent sont bien plus petits, ultra-spécialisés dans des domaines, donc ils n’entrent pas dans cette analyse.
    En tirer des conclusions quelconques est un peu simpliste.

    Le chiffre d’affaire en général ne prend en compte que ce qui a été livré. Donc je doute fortement qu’ici, la production n’a augmenté.
    Et à cela il faut ajouter que certains programmes et productions ont probablement été retardés pour remettre en état de marche de vieux systèmes. Le chiffre d’affaire (et pas le bénéfice) d’une telle opération est moindre comparé à la livraison d’un char neuf par exemple.

    • Leroy dit :

      Tout à fait, il faut observer les sous traitants et autres PMI. La production de drones, par exemple, est très souvent le fait de start up. Idem pour les innovations d’équipement des forces. Les obus de 155 sont fabriqués par des entreprises de taille moyenne.

  6. Clavier dit :

    Et cela prouve que les grands industriels ne sont pas sur la même ligne que les politiciens, leaders du monde dit libre ….
    Ils anticipent sans doute une accalmie dans les combats en Ukraine .
    Au contraire de certaines petits industries de défense qui utilisent moins de composants électroniques plus rares qui voient leur ventes progresser et moins gênées par les divers embargos

  7. Paul Bismuth dit :

    Pour les exportations d’armement français, si on enlève le Rafale, il ne reste que la progression des ventes du CAESAR…
    https://meta-defense.fr/2023/12/05/exportations-de-defense-france-2022/

    • Paris en bouteille dit :

      Et pour les exportations de boissons françaises, si on enlève l’alcool, il ne reste que l’eau minérale.