Le général Schill s’interroge : « Sommes nous collectivement prêts » à supporter le coût d’une guerre?

« Paix impossible, guerre improbable », avait prophétisé Raymond Aron, en 1947 au sujet de la « Guerre froide ». Et, effectivement, « l’équilibre de la terreur » réduisit la probabilité d’un conflit ouvert entre l’Otan et le Pacte de Varsovie, en raison de la taille de leurs arsenaux nucléaires respectifs.

Puis, la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’Union soviétique ouvrirent une ère nouvelle, au point que certains estimèrent que le temps était venu de récolter les « dividendes de la paix ». Mais c’était sans doute aller trop vite en besogne, comme le montrèrent par la suite les interventions militaires menées en ex-Yougoslavie [Bosnie, Kosovo], en Afrique ou encore en Irak et en Afghanistan.

Cela étant, le spectre d’une guerre entre adversaires à parité s’était éloigné… Mais pas pour longtemps, puisqu’il est de retour depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et, désormais, la question qui se pose est de savoir si les sociétés occidentales sont prêtes à affronter cette réalité.

Un article [.pdf] récemment publié par l’US Army War College en doute… notamment en raison des difficultés que rencontre l’armée américaine pour recruter. « Chaque soldat que nous ne recrutons pas aujourd’hui est un atout de mobilisation que nous n’aurons pas en 2031 », avance-t-il. D’autant plus que, au regard des pertes subies par les belligérants en Ukraine, elle pourrait perdre jusqu’à 3600 hommes [tués ou blessés] par jour dans un engagement ayant le même niveau d’intensité. D’où les interrogations sur sa capacité à se régénérer…

« Le concept d’une force composée exclusivement de volontaires […] ne correspond pas à l’environnement opérationnel actuel. […] Les besoins en troupes pour les opérations de combat à grande échelle pourraient bien nécessiter […] une évolution vers une conscription partielle », explique cet article… qui a été repris par le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], sur Linkedin.

L’article de l’US Army War College « trace des parallèles entre le conflit en Ukraine et un potentiel engagement similaire de l’US Army, évoquant des niveaux de pertes allant jusqu’à 3600 tués ou blessés par jour », résume d’abord le général Schill, qui, visiblement, entend lancer un débat sur son contenu.

« On peut, certes, discuter des modalités d’un engagement qui verrait l’armée française opposée à un ennemi à parité ou quasi-parité, notamment sous la protection du parapluie nucléaire », poursuit le CEMAT. Or, selon lui, malgré la dissuasion, une telle « occurrence reste possible, sans que les intérêts vitaux de la Nation soient directement menacés ».

Aussi, le niveau des pertes avancé par l’article de l’US Army War College l’interpelle. « Ce chiffre interroge la résilience de notre outil de défense ainsi que sa capacité de régénération » et « pose surtout une question ancienne mais pourtant terriblement actuelle : sommes-nous collectivement prêts à un tel sacrifice? », demande le général Schill.

« Nos sociétés occidentales, dont les dernières générations n’envisageaient jusqu’à récemment la guerre qu’au travers des livres d’Histoire, sont-elles prêtes à voir leurs fils et filles mourir en nombre pour un plus grand bien? Et en élargissant encore la focale, conçoit-on encore la guerre et ce qu’elle implique? », s’interroge encore le CEMAT, pour qui il s’agit « simplement d’ouvrir le débat sur ce qu’on attend d’un soldat français aujourd’hui, ce que la Nation exige de lui et ce qu’elle est prête à faire pour que cette exigence, librement formulée, soit comprise et endossée ».

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20 contributions

  1. Yvan dit :

    La Nation est un concept qui aboutit à faire crever, les tripes à l’air, des gamins de 20 ans…
    Vos guerres, non merci…

  2. PK dit :

    Pour la génération actuelle, la réponse est clairement non. Même la génération d’avant n’a pas la gnaque…

    Je vous rappelle qu’on vit dans une société où tout le monde crève de trouille devant un virus qui tue personne, devant des migrants qui font la loi et devant des politiciens qui se foutent ouvertement des crève-la-faim d’électeur.

    Alors se battre et mourir pour mieux ? Ils ne le font pas aujourd’hui. Pourquoi le feraient-ils demain ?

  3. guy dit :

    Déjà pour certains une simple opex en Afrique c’est une ruine financière, qu’on compte le prix d’une bombe dès qu’elle explose et qu’on fait d’un mort en opération un deuil national, je pense qu’on a du chemin à faire…

  4. Le Breton dit :

    Je pense que l’on est jamais vraiment prêt pour la guerre, pas plus nous que poilus mais quand elle arrive à la porte de votre maison…il n’y a pas le choix, il faut bien quelqu’un pour aller au contact.

  5. Le Suren dit :

    Poser la question, c’est déjà y répondre.

  6. Toto le hublot dit :

    mais pourquoi s’inquiéter, l’économie Russe va être détruite dans 2 Semaines, la France entre dans ses trente glorieuses.
    plus tôt que de s’inquiéter de la motivation du peuple, il ferait mieux de s’inquiéter de ceux qui le détruisent, le ruinent ,et l’humilient depuis 40 ans. En ce qui concerne la réquisition des biens et des personnes, la loi est inscrite dans la loi de programmation militaire et ce sans aucune nécessité de motif ou de restriction ( guerre, attentat, écologie..fait du Roi.)

  7. felipe dit :

    sujet fondamental que la crise ukrainienne nous projette sur le seuil de nos portes. déjà les ukrainiens peinent à mobiliser leurs forces vives.. alors nous… ce n’est pas une question de moyens, c’est une question d’éducation et de sens moral, de primauté de l’intérêt général sur les individus . Nous sommes entrés dans des sociétés où ce sont les minorités, le bien être personnel, etc qui fixent les règles. la somme des intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général. or, il n’y a plus aucun consensus sur ce que recouvre la notion d’intérêt général. il suffit déjà mesurer comment sont appréhendés les concepts d’Etat, de nation, de partis, ainsi que les symboles (drapeau, hymne, autorité de l’Etat, etc.)

  8. Niko dit :

    Il en va de ces contraintes comme de celles durant la crise sanitaire: si nous constations qu’il n’y a pas de passe-droits, le consentement serait possible. Mais pas d’inquiétude, vu qu’il n’y a rien en stock pour régénérer l’attrition du matériel, la guerre ne durera qu’une semaine ouvrée donc les victimes ne seront pas innombrables.

  9. Jo666 dit :

    France 900 homicides par an. Sommes nous prêts ?

  10. Nexterience dit :

    Message politique de premier ordre. L’absence d’esprit communautaire national et l’inculture géopolitique générale est un problème digne de 1939, époque où les préoccupations populaires se focalisaient sur l’insécurité face aux tziganes qu’on a parqués ensuite.

  11. Kaki dit :

    Quand t’as des jeunes qui n’arrivent pas à faire caca hors de chez eux, je ne vois pas comment tu les enverrais au carton en leur expliquant que c’est pour la patrie

  12. Sylvain dit :

    pour espérer tenir dans une guerre de haute intensité, il faut que la Nation soit prête à s impliquer. Le CEMAT se pose une question dont il connaît la réponse…. déjà lors de la « guerre contre le covid » , la veille du confinement, les gares parisiennes étaient saturées de gens qui fuyaient vers les campagnes. peu probable que les mêmes partent baïonnette au canon face à une armée ennemie

  13. Patadouf dit :

    Des inquiétudes dans les hautes sphères quant à l’esprit de défense ambiant ?? Un bonne campagne de spots TV à la gloire de la guerre propre zéro mort, et c’est reparti comme en 40. Plus sérieusement, mieux vaudrait se poser la question des raisons qui nous amène à cette situation… et des responsabilités… on développe ?? Réveil brutal.

  14. Clavier dit :

    Il suffit de lire les commentaires sur les vidéo YouTube qui relatent la guerre pour comprendre que le patriotisme parle de moins en moins aux nouvelles génération …..
    Le signe le plus évident est donné par la difficulté de recrutement dans les armées de tous les pays qui pourraient être concernés particulièrement dans l’OTAN….

  15. Matou dit :

    Hélas, une question pleinement d’actualité et qu’il s’agit de se poser et de solutionner sans tarder. Il en va de même pour la LPM qui n’est pas au niveau malgré une forte augmentation, tenant compte du grignotage de l’inflation et du sous-investissement chronique depuis la chute du mur de Berlin, sans compter le report de livraisons de matériel. Tout ceci, tenant compte qu’il faut du temps, même si on a l’argent, pour construire une puissance militaire conforme aux enjeux actuels et à venir.
    J’ajouterais qu’en tant que citoyen français, beaucoup de points semblent conservés secrets et tant mieux, mais par rapport à ce qui est visible, il semble que nous ne soyons pas suffisamment offensif (ex: 2 métros de retard en Afrique pour contrer la Chine et la Russie dans leur travail de sape auprès des populations locales, espionnage chinois, etc). A suivre.

  16. PHILIPPE dit :

    1) Pour commencer la sagesse consiste peut-être à ne pas faire n’importe quoi comme l’ont montré je cite « les interventions militaires menées en ex-Yougoslavie [Bosnie, Kosovo], en Afrique ou encore en Irak et en Afghanistan. » on peut aussi ajouter la Syrie, la Lybie.
    Comme on peut le constater un tyran qui tient son pays vaut souvent mieux qu’une mauvaise intervention extérieure car, au final, cela se traduit par une déstabilisation durable des zones d’intervention avec les déplacements massifs de populations qui s’en suivent.
    Soyons enfin nous-mêmes et arrêtons de suivre n’importe qui n’importe où comme en Irak avec les Rumsfeld, Wolfowitz, et Blair ou en Syrie.
    Est-il nécessaire de rappeler également cette nième opération aux Comores à l’occasion de laquelle on a vu des « mercenaires » être neutralisés par nos forces spéciales tout cela par défaut de concertation au niveau militaire et même gouvernemental. Une honte !
    Pour terminer « dividendes de la paix ou pas » et si la maxime « gouverner c’est prévoir » a encore un sens la sagesse aurait été de ne pas mettre notre armée « à l’os ».

  17. Michel dit :

    Là il appuie où cela fait mal!
    Cela nous change du quotidien où on passe son temps à entendre demander ce que le pays peut faire pour soi sans jamais parler de ce que l’on peut faire pour son pays.
    Cela mérite en effet réflexion.

  18. Alfred dit :

    Excellente question du CEMAT. Reste à savoir si le politique souhaite aborder le sujet ou l’ignorer, car les actions à entreprendre ne concerneraient pas que les armées.

  19. Parabellum dit :

    La réponse c est le nucléaire d entrée de jeu; tu arrêtes ou tu la prends.c est pour cela qu avoir ferraille les missiles hades a été une erreur sans aucun bénéfice même moral et qu au contraire il est urgent de réarmer en missiles et drones .l Afrique c est fini pour nous et au contraire l Algérie peut devenir un danger.elle a des sous marins et des missiles et tient des propos quasi belliqueux .sortons de notre niaiserie des dividendes de là paix…

  20. Démineur dit :

    Je rappelle que si la conscription a été suspendu c’est parce que nous n’avions plus d’ennemi qui nécessitait une telle mobilisation. En avons-nous retrouvé un qui imposerait de rétablir la conscription ? Est-on capable de l’annoncer publiquement dans le contexte géopolitique actuel ? Pas d’infrastructure, pas de matériel, pas de logistique : il faudra aussi expliquer au Français que ce sont des milliards par an et pour de nombreuses années qu’il faudra investir … contre qui ? Sûr que les jeunes qui ne veulent déjà pas faire le SNU vont se sentir concernés !