Le Service de santé des Armées devra revoir sa doctrine pour relever le défi de la « haute intensité »

En 2021, un rapport publié par le Sénat avait prévenu que le Service de santé des Armées [SSA] était encore « fragile face à l’objectif de la haute intensité », les effets des retructurations subies lors des deux précédentes Loi de programmation militaire [LPM] ne s’étant pas estompés… Bien au contraire. Aussi avait-il recommandé de « veiller à l’adéquation des moyens aux impératifs d’efficacité pesant sur les services de soutien dans un contexte de plus en plus exigeant ».

Cela étant, considérant que les réformes successives du SSA avaient été beaucoup trop loin, la LPM 2019-25 prévoyait de stabiliser son format avant d’envisager de revoir ses effectifs [légèrement] à la hausse. Or, pour le rapport du Sénat, une telle inflexion n’était pas suffisante… « La difficulté centrale tient à la trop lente remontée en puissance de la médecine des forces », avait-il estimé.

Et de préciser qu’il manquait 100 « médecins des forces » [sur 700] et que plusieurs spécialités étaient sous tension, y compris dans la composante hospitalière du SSA. Aussi, dans l’éventualité d’un engagement dit de haute intensité, des difficultés ne manqueraient pas d’apparaître. C’est d’ailleurs le constat qui a été dressé après l’exercice interarmées [et interalliés] Orion qui, comprenant quatre phases, s’est terminé en mai dernier.

« Nous avons perçu des tensions en matière de ressources humaines, en particulier pour les métiers les plus techniques », a confié le général Yves Métayer, le chef de la division « emploi des forces » à l’État-major des armées, alors qu’il était invité par les députés de la commission de la Défense à livrer un premier retour d’expérience [RETEX] de l’exercice Orion.

« Pendant la phase 2, nous avons déployé un dispositif de santé d’une capacité d’accueil de douze blessés en urgence absolue par jour. En haute intensité, il faut s’attendre à des taux de perte nettement plus élevés. Le Service de santé des Armées s’emploie, et c’est un des enjeux de la LPM, à constituer une chaîne santé et à revoir sa doctrine de soutien, puisqu’en haute intensité, le concept français de médicalisation de l’avant ne sera plus possible », a-t-il continué.

Dans ce type de situation, a-t-il poursuivi, « nous avons mesuré qu’on ne pouvait pas exposer nos équipes médicales, nos médecins, sur la ligne de contact, là où le taux de perte est le plus fort ».

Plus généralement, le général Métayer a souligné que le SSA « représente un défi considérable en termes de moyens et de conditionnement », d’autant plus que, dans un contexte de haute intensité, « l’appui santé est d’une complexité absolue ». Et il ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur l’évolution de sa doctrine.

« Nous sommes prisonniers de normes considérant que tel acte ne peut être réalisé que par un médecin ou un infirmier diplômé d’État. Des nations partenaires font réaliser ces actes par des paramédics qui sont loin d’avoir le niveau de nos infirmiers diplômés d’État. Je comprends que la direction du SSA ne veuille pas dégrader un service de santé qui est certainement un des meilleurs au monde, capable de cumuler savoir-faire tactiques, intégration dans une force militaire au combat et technicité », a expliqué le général Métayer.

Seulement, a-il déploré, « on n’est pas capable de le déployer à l’échelle d’une division », car cela exigerait beaucoup trop de moyens. « Imaginez ce que coûterait en nombre de lits dans les hôpitaux d’instruction des armées l’entretien d’autant d’équipes, qui doivent quotidiennement opérer et soigner! », a-t-il fait observer.

Aussi, pour le général Métayer, il y un « équilibre à trouver entre l’insertion du SSA dans l’écosystème de santé publique et la spécificité qu’il doit entretenir pour accompagner les forces au combat ». Et il « doit conditionner ses praticiens par la formation initiale et ajouter la formation tactique militaire », a-t-il ajouté.

En outre, « nous avons absolument besoin [des] hôpitaux d’instruction des armées [HIA] qui sont l’écosystème d’entretien de cette technicité ». Mais ils sont « capables de générer des équipes mais pas le volume d’équipes nécessaire au soutien en haute intensité », a ajouté le général Métayer, qui estime donc nécessaire de « revoir le système ». Et cela passera aussi par une évolution de l’organisation de la santé publique… qui doit aussi se préparer à l’éventualité d’un engagement de haute intensité.

« Nous avons engagé une réflexion avec le ministère de la Santé pour savoir comment rendre le système civil capable de s’adapter à l’accueil de flux considérables de blessés lors d’un engagement majeur. […] Le système de santé civil doit impérativement anticiper et planifier cette situation », a fait valoir le général Métayer.

Ce point avait été aussi soulevé par le Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN], Stéphane Bouillon, lors des travaux relatifs à la LPM 2024-30. « Il est prévu que que le ministère de la Santé prenne en charge les combattants blessés, tout en assurant la continuité des soins pour les patients civils. Le défi est de taille. Pour y parvenir, diverses mesures sont à prendre, dont le renforcement des stocks stratégiques de produits de santé – entamé après la crise du covid – et la mise en place d’une cellule logistique pour les approvisionnements », avait-il dit, en évoquant l’exerice Orion, lors d’une auditon parlementaire.

Par ailleurs, M. Bouillon avait également souligné la nécessité d’organiser « une chaine logistique particulière permettant de transporter un grand nombre de blessés »… ce que le dispositif militaire, tel est qu’il est organisé actuellement, ne permet pas.

Cela étant, le nouveau directeur du SSA, le médecin général des armées Jacques Margery, aura à suivre la feuille de route précisée par la LPM 2024-30.

« Toutes les capacités de la chaîne du SSA projetée en opération […] seront renouvelées pour garantir le soutien des engagements militaires, y compris dans une perspective de haute intensité. À cette fin, une attention particulière sera portée au volume des moyens nécessaires à la gestion efficace d’un afflux important de blessés en cas d’engagement majeur », prévoit le texte.

« Au cours de la période de programmation, les moyens aériens [notamment hélicoptères] et terrestres [notamment blindés Griffon et Serval en version sanitaire] de la chaîne d’évacuation médicale seront ainsi réévalués et, le cas échéant, consolidés. Le déploiement des antennes chirurgicales de nouvelle génération [antennes de réanimation et de chirurgie de sauvetage – ARCS] sera accéléré et l’objectif de porter à un minimum de 65 le nombre d’équipes chirurgicales projetables sera atteint le plus tôt possible », poursuit-il.

Enfin, il est aussi question de lancer une réflexion sur « les compétences de soins des infirmiers des armées, qui pourraient être élargies, notamment afin de contribuer au renforcement de la médecine de l’avant ».

Photo : EMA

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