Les états-majors français et allemands vont devoir « harmoniser » leurs attentes sur le futur char de combat

Lancé en 2017 dans le cadre d’une coopération franco-allemande, le programme MGCS [Main Ground Combat System / Système principal de combat terrestre], qui vise à développer un « système de systèmes » reposant sur un nouveau char lourd, n’aurait pas dû poser de problème particulier en raison du rapprochement de Nexter et de Krauss-Maffei Wegmann au sein de KNDS. Seulement, il en est allé autrement… puisque l’Allemagne, qui dirige ce projet, a imposé un troisième acteur, à savoir Rheinmetall…

Ainsi, en 2020, l’étude d’architecture, appelée « SADS Part 1 », a été notifiée aux industriels concernés. Seulement, elle a depuis été régulièrement prolongée, faute d’accord sur les choix technologiques et, sutout, sur le partage des tâches, lequel doit être équitable. L’un des points de blocage porte sur l’armement que devra avoir le futur char de combat franco-allemand : Nexter plaide en faveur de son système ASCALON tandis que Rheinemetall insiste pour imposer son canon de 130 mm.

Dans ce contexte, des doutes sur ce programme ont fini par apparaître, en particulier de l’autre côté du Rhin. « Depuis l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, beaucoup de pays européens ont commandé des Leopard 2 à Krauss-Maffei Wegmann pour leurs forces armées, au point qu’il n’y a peut-être plus de place pour le MGCS pour le moment », a ainsi récemment estimé Susanne Wiegand, la PDG du groupe Renk, qui fabrique des boîtes de transmissions pour les véhicules blindés.

De son côté, Rheinmetall a dévoilé le KF-51 Panther, un nouveau char censé répondre à la demande suscitée par la guerre en Ukraine [mais sans succès pour le moment]. Et même KNDS s’y est mis en faisant la promotion de l’EMBT [Enhanced Main Battle Tank].

En France, lors de l’examen de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, le Sénat a plaidé pour lancer des études sur un char Leclerc Mk3… Mais cette idée a vite été remisée au placard lors des débats en séance. Cependant, dans le même temps, le Bundestag [chambre basse du Parlement allemand] a approuvé un accord-cadre portant sur le production potentielle de 123 Leopard 2A8, ultime version du char produit par Krauss-Maffei Wegmann [en coopération avec Rheinmetall, ndlr].

Quoi qu’il en soit, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a fait part de ses inquiétudes sur le retard pris par le MGCS. Et d’indiquer, dans les pages du quotidien Les Echos, fin mars, qu’il recontrerait son homologue allemand pour tenter de débloquer ce dossier, en expliquant vouloir faire passer le « besoin militaire » avant les considérations des industriels et insistant sur le rôle central de KNDS.

La rencontre évoquée par M. Lecornu a eu lieu ce 10 juillet, à Berlin. Dire qu’elle a permis de faire avancer les choses releverait de la méthode Coué… « Malgré tous les pessimistes et les rumeurs, nous voulons ce projet commun », a toutefois assuré Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense, avant de réaffirmer que le MGCS devrait être opérationnel en « 2035 au plus tôt ».

« On veut le faire. Et on ne le fait pas que pour des raisons industrielles. On a besoin de définir un avenir à ce segment d’équipement militaire », a abondé M. Lecornu qui, sur Twitter, a évoqué des « discussions franches et décisives » avec son homologue allemand. « Ni un nouveau Leclerc, ni un nouveau Léopard, le MGCS opère un saut technologique majeur qui sera en service jusqu’en 2070 », a-t-il ajouté.

« Il y a une méthode Pistorius. Il a une capacité à être très direct, très franc et c’est le meilleur signe d’amitié pour aller de l’avant. Nous avons mis de côté les aspects diplomatiques pour nous concentrer sur les résultats », a par ailleurs affirmé le ministre français.

Cela étant, MM. Lecornu et Pistorius sont convenus de se revoir, cette fois en France, dans le courant du dernier trimestre, pour faire le point sur le MGCS. D’ici septembre, en effet, les états-majors français et allemands devront avoir élaboré un « document de base » commun visant à harmoniser leurs attentes concernant ce projet. En clair, il s’agit d’établir une fiche d’expression des besoins [ou HLCORD, pour High level command operations requirements document »]. Six ans après le lancement de ce projet, il est étonnant que l’on en soit encore là…

Selon M. Lecornu, le futur char de combat devra intégrer des nouvelles technologies en matière de mobilité et d’intelligence artificielle. Et d’avoir la capacité « à emporter des drones ou des robots ». Et, a-t-il continué, « pour cela, il y a deux techniques : soit vous demandez aux industriels ce qu’ils peuvent faire, soit vous dites à vos deux armées de Terre ‘c’est quoi le combat terrestre de demain ?' ».

En outre, a poursuivi le ministre français, il faudra « bien évidemment intégrer le retour d’expérience de l’Ukraine » pour ensuite se tourner vers les industriels et leur dire « de quoi on a besoin ». Et d’insister : « Ça n’a l’air de rien mais c’est une des clés du succès de la coopération franco-allemande de s’y prendre comme ça ».

Reste maintenant à voir comment les états-majors vont accorder leurs violons. En novembre 2018, au sujet du MGCS, le général Jean-Pierre Bosser, alors chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] avait dit avoir « l’intention de produire une lettre commune sur le besoin militaire » avec son homlogue allemand. Et cette tâche s’annonçait compliquée, compte tenu des doctrines d’emploi différentes de part et d’autre du Rhin. « Le char de bataille est un élément structurant de l’armée de terre allemande, et les Allemands sont sensibles aux questions de l’armement principal de cet engin, de sa motorisation et de sa protection », avait-il souligné.

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