Pour son chef d’état-major, l’armée de Terre a gagné sa « bataille des effectifs »

Quand, après les attentats de janvier 2015 et le lancement de l’opération intérieure Sentinelle, il a été décidé de porter les effectifs de la Force opérationnelle terrestre (FOT) de 66.000 à 77.000 soldats, la partie s’annonçait très compliquée. Et le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) parlait d’un « défi » à relever, après des années de baisse continue des effectifs.

« Les déflations que nous avons connues et les choix que nous avons faits dans le passé ont rendu certaines situations irréversibles, et cette remontée en puissance difficile », expliquait, en juillet, le général Bosser, aux députés de la commission de la Défense.

En outre, la hausse des effectifs de la FOT ne pouvait aller au-delà de 11.000 soldats supplémentaires. « Honnêtement, je n’aurais pas été capable d’augmenter les effectifs davantage […] car je n’aurais pas pu les héberger. En effet, un certain nombre d’infrastructures ont été vendues, et nous ne disposons plus de casernes. Donc, aujourd’hui, s’il fallait recréer un régiment, beaucoup de villes en France seraient probablement volontaires pour l’héberger, mais il faudrait alors reconstruire des casernes », avait ajouté le CEMAT.

Cela étant, un peu plus de deux ans plus tard, le « défi » qu’évoquait le général Bosser a été réussi, non sans mal. C’est en effet ce qu’il affirme, sans sa lettre mensuelle d’août 2017 [.pdf], parlant même d’une « bataille des effectifs » gagnée.

« Il faut saluer l’exceptionnel engagement de nos recruteurs, mais aussi de notre jeunesse, dans l’active comme dans la réserve, pour prendre sa part de la protection de notre pays. La relance de l’entrainement interarmes est effective. Elle a permis d’enrayer l’érosion du capital opérationnel causée par le suremploi de la force opérationnelle terrestre », écrit-il.

Ainsi, entre 2015 et 2017, 46.000 jeunes français ont rejoint l’armée de Terre et 10.500 autres ont souscrit un engagement dans la réserve. « Les flux annuels de recrutement de militaires du rang ont ainsi augmenté de près de 80 % par rapport à 2014 », est-il souligné dans le document. Et cela, avec un effort particulier pour limiter le taux de dénonciation de contrats au cours des six premiers mois de formation des recrues à moins de 25%.

En outre, le recrutement de sous-officiers par la voie directe est passé de 650 à 1.600 dans le même temps. Et, en 2016, 70% des nouveaux sous-officiers sont d’anciens militaires du rang.

« L’analyse prédictive de la ressource potentielle permet, par ailleurs, un meilleur ciblage des actions de recrutement. Les contacts locaux et leur profonde connaissance des métiers ont in fine permis aux spécialistes du recrutement d’atteindre l’objectif fixé. Leur réussite est d’autant plus admirable que le vivier n’est pas extensible : 2016 a montré la difficulté de franchir la barre des 14.000 recrues en conservant le même niveau d’exigence », explique la Lettre du CEMAT.

Cet afflux de recrues a mis sous tension le Service de santé des armées (SSA), sollicité pour faire passer les visites médicales, ainsi que les services de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), chargée de passer au crible les candidats afin d’éviter d’éventuelles infiltrations jihadistes. Et c’est sans oublier Le Commissariat des armées, qui a dû suivre la cadence (habillement, alimentation, etc…)

Alors que l’opération Sentinelle avait eu pour conséquence l’annulation de 75% des exercices interarmes prévus en 2015, le fait que cette bataille des effectifs ait été gagnée a permis de relancer l’entraînement dès le printemps 2017 et une première brigade interarmes pu retrouver ainsi sa pleine capacité opérationnelle. Et cela le cas pour l’ensemble de la FOT à l’été 2018.

Mais recruter est une chose. Former les nouveaux soldats en est une autre. Pour cela, 700 instructeurs encadrent, quotidiennement, 5.500 recrues. « Les régiments comptent dans leurs rangs 1/3 de soldats de moins d’un an de service, qu’il faut préparer aux durs engagements qu’ils connaîtront », est-il souligné dans le document. Parallèlement, il s’agit également de proposer une refonte des parcours professionnels, avec l’objectif de mettre au point un modèle « soutenable » afin d’anticiper la prochaine vague de renouvellement des contrats, en 2020.

Si la « bataille des effectifs » a été gagnée, une autre se profile : celle des qualifications.

« L’armée de Terre doit sa supériorité opérationnelle d’abord à la valeur de ses hommes, mais aussi à la performance technologique de ses équipements. Leur utilisation implique un effort de formation conséquent pour en avoir la parfaite maîtrise. Ainsi, les qualifications spécifiques à détenir, indispensables au combat moderne (cyber, renseignement…), nécessiteront une hausse du taux d’encadrement », explique la lettre du CEMAT.

Enfin, un autre défi sera à relever : celui des équipements. Si les effectifs augmentent, il faut évidemment revoir à la hausse les dotations en matériels, que ce soit au niveau individuel (fusils d’assaut, systèmes FELIN, etc…) que collectifs (véhicules blindés par exemple).

Reste à voir ce qu’il adviendra de cette « bataille gagnée » dans les années à venir. La promesse du président Macron d’augmenter le budget de la Défense de 1,6 milliard d’euros par an durant son quinquennat sera insuffisante pour porter les dépenses militaires du pays à 50 milliards d’euros/an (hors pensions et hors opex) à l’horizon 2025 (comme il s’y était engagé). D’autant plus que les Armées auront probablement à assumer seules les surcoûts liés aux opérations extérieures et à fournir l’encadrement du futur service national qu’il souhaite instaurer.

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