Faire des économies sur la simulation nucléaire? Une fausse bonne idée pour le DGA et le chef d’état-major des armées

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Dans l’hypothèse où il manquerait quelques milliards dans la Loi de programmation militaire 2014-2019, ce qui n’est pas une vue de l’esprit étant donné que le risque d’un défaut des recettes exceptionnelles est loin d’être exclu (comme celles liées à la vente de fréquence 700 Méga Hertz) et que l’Etat a besoin de faire des économies, le général Bentégeat, ancien chef d’état-major des armées (CEMA), avait proposé de « ralentir » le programme de simulation de tirs nucléaires conduit par la Direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) afin de garantir « le fonctionnement et la sûreté des armes (…) en l’absence d’essais » en reproduisant par « le calcul les différentes phases de fonctionnement d’une arme nucléaire ».

Ce projet, qui reçu 650 millions d’euros de crédits en 2012, repose sur le supercalculateur Tera 100 (capable d’effectuer un million de milliards d’opérations par seconde, soit 1 Pétaflops), le Laser Megajoule et la machine de radiographie Airix.

« Le poste budgétaire de la simulation est un des plus lourds et les résultats atteints sont déjà très probants », avait fait valoir le général Bentégeat, lors d’une audition devant la commission « Défense » de l’Assemblée nationale. Et d’ajouter : « Seuls les États-Unis mènent un programme comparable, il est donc légitime de s’interroger sur la crédibilité de la dissuasion de tous les pays qui ne le font pas : la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël. Leur dissuasion est-elle moins valide pour autant? ».

En outre, ces crédits affectés à la simulation nucléaire pourraient correspondre aux « ajustements » évoqués par le Premier ministre, Manuel Valls, alors qu’il était interrogé, ce 16 mai, sur d’éventuelles coupes dans le budget de la Défense sur Europe1, ce 16 mai.

« S’il y a des efforts possibles qui ne remettent pas en cause le format de nos armées, notre capacité à intervenir et nos industries de défense, ces efforts seront trouvés mais dans le cadre qui a été défini (par la LPM) et il sera respecté », a expliqué le chef du gouvernement. Comme les crédits évoqués par le général Bentégeat?

Seulement, renoncer à la simulation nucléaire serait une fausse bonne idée. C’est, du moins, l’opinion exprimée par Laurent Collet-Billon, le Délégué général à l’armement quand est venu son tour d’être écouté par les députés de la commission de la Défense, dans le cadre d’une série d’auditions dédiées à la dissuasion.

« La simulation est nécessaire pour démontrer la performance et l’auto-sûreté des têtes nucléaires que nous mettrons en service au milieu de la décennie prochaine. Il faut donc poursuivre les efforts en matière de supercalculateurs, lesquels ne profitent pas uniquement à la dissuasion mais à l’industrie dans son ensemble », a-t-il expliqué.

Des moyens de calcul toujours de plus en plus puissants

C’est le DGA qui l’affirme : « La simulation demande des moyens de calcul de plus en plus puissants. Nous sommes passés du supercalculateur TERA 10 au TERA 100, en attendant le TERA 1000 et à terme l’exaflops. Cependant, si l’on reste à la technologie actuelle, les besoins en énergie et en refroidissement toujours croissants risquent de nous conduire à une impasse en 2022 ou 2025 : il faudrait alors construire un ou plusieurs EPR autour d’un supercalculateur pour l’alimenter en énergie et le refroidir… Le CEA (à la fois les branches civile et militaire) et nous-mêmes travaillons sur ce sujet car, demain, nous devrons pouvoir disposer d’outils de calcul sans qu’il soit nécessaire d’acheter 1,5 gigawatt ou plus à AREVA ou à EDF pour les faire fonctionner. L’une des pistes étudiées nous conduirait à ré-internaliser en Europe certains savoir-faire dans le secteur des processeurs de base. La France a une carte technologique certaine à jouer, qui contribuera à la dissuasion mais aussi à la santé de toute son industrie »

« Grâce à notre excellente maîtrise, nous abordons avec une grande confiance les problèmes de simulation tant dans le domaine du laser que de celui de la radiographie. À la différence des États-Unis, nous avons poursuivi la production de têtes nucléaires après les derniers essais effectués en 1996, ce qui nous permet aujourd’hui de réagir aussi en industriels, et pas uniquement en physiciens. Cette démarche cohérente assure la crédibilité de notre dissuasion », a poursuivi le DGA.

L’actuel CEMA, le général Pierre de Villiers, n’a pas dit autre chose. « Le programme simulation » est « lié (…) à l’arrêt de nos essais dans le Pacifique, à la suite duquel nous avons signé et ratifié le Traité d’interdiction complète des essais (TICE) et démantelé nos sites d’essais. Des États dotés au sens du Traité de non-prolifération et possédant un site d’essai, la France est la seule dans ce cas : la Fédération de Russie, qui a ratifié le TICE, a conservé son site d’essai ; les États-Unis et la Chine ont signé le TICE, mais ne l’ont pas ratifié et conservent leurs sites d’essais, qu’ils pourraient réactiver en quelques mois », a-t-il commencé par rappeler.

Aussi, a-t-il ajouté, « pour la France, il est indispensable, si nous voulons une dissuasion opérationnelle dans dix ans, que ce programme se poursuive dans ses trois volets que sont les calculateurs, les tests hydrodynamiques qui seront réalisés dans l’installation franco-britannique Épure et le laser mégajoule ».

Qui plus est, pour satisfaire aux contraintes budgétaires, « l’agrégat ‘Dissuasion’ a été réduit de près de deux milliards d’euros sur la période de la présente LPM (ndlr, Loi de programmation militaire) par rapport à ce qui avait été envisagé en 2008 », a fait valoir le général de Villiers. Et notamment « en étirant », déjà, « le calendrier de la simulation ». Aussi, a-t-il ajouté, « on ne peut pas aller plus loin car il en va de la crédibilité permanente de la dissuasion ».

Et de conclure sur cette question : « En matière de défense, il ne faut pas céder aux sirènes du présent : ce sont notre industrie de défense et notre recherche qui, jusqu’ici, nous ont toujours permis d’avoir un coup d’avance. (…) Nous avons effectivement choisi de conserver une part importante pour le nucléaire. N’oublions pas qu’il comporte une recherche duale, à la fois civile et militaire. Il est difficile de s’étendre pour des raisons de confidentialité, mais c’est un aspect très important ».

Photo : Super calculateur Terra 100 (c) Bull

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