Libye : Paris et Londres mettent l’Otan sous pression

Depuis le début du mois, l’Otan a pris la direction des opérations militaires au-dessus de la Libye, dans le cadre de la résolution 1973 des Nations unies. Conséquence : le processus de la prise des décisions est devenu plus rigide et, avec le retrait partiel de l’armée américaine, qui continue toutefois à apporter un soutien logistique ainsi que des moyens de guerre électronique et de renseignement, Français et Britanniques se sentent désormais bien seuls.

Sur le terrain, la situation n’évolue pas dans le sens d’un départ du colonel Kadhafi. Ses troupes, qui se sont adaptées à la nouvelle donne en changeant de tactique et en ayant recours à des pick-up en lieu et place de blindés, ont repris le port de Brega mais peinent à reconquérir durablement le verrou stratégique d’Ajdabiya, qui mène à Benghazi, le bastion de l’insurrection.

Par ailleurs, la ville de Misrata, partiellement aux mains des rebelles, continue d’être bombardée par les forces loyalistes, ce qui provoque un désastre humanitaire.

Au niveau politique, la tentative de médiation de l’Union africaine a fait long feu. Bien que le colonel kadhafi a accepté la feuille de route qui lui a été soumise le week-end dernier par les émissaires de l’UA, les rebelles ont refusé tout cessez-le-feu tant que le leader libyen se maintiendra au pouvoir. « Le monde a déjà entendu ses offres de cessez-le-feu et 15 minutes après, il recommençait à tirer » a justifié le porte-parole du Conseil national de transition (CNT).

D’où la montée au créneau d’Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, qui s’inquiète notamment du sort de Misrata. Sur les ondes de France Info, le 12 avril, il a déclaré que « l’Otan doit jouer son rôle aujourd’hui, c’est à dire éviter que Kadhafi n’utilise des armes lourdes pour bombarder des populations » et estimé que l’organisation atlantique ne le fait « pas suffisamment ».

Son collègue britannique, William Hague, est allé dans le même sens, en appelant l’Otan à « maintenir et intensifier ses efforts ». « C’est la raison pour laquelle le Royaume-Uni a fourni des avions supplémentaires capables de frapper des cibles au sol menaçant la population civile libyenne » a-t-il déclaré, en ajoutant que « bien entendu, ce serait bienvenu si d’autres pays faisaient aussi de même ».

Le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a également déploré, devant l’Assemblée nationale, que la France et le Royaume-Uni supportent « l’essentiel » de l’effort de la coalition internationale, tout en soulignant que « l’Otan n’a pas la possibilité à cet instant d’obliger les partenaires à participer à cette action ». Et d’ajouter que « les Etats-Unis continuent d’apporter un soutien d’environnement aérien indispensable, mais nqui n’est plus aujourd’hui un soutien de l’attaque au sol, sans laquelle il n’y a pas la possibilité de desserrer l’étau qui pèse sur des villes assiégées comme Misrata ou Zintan ».

Cela étant, l’Espagne et l’Italie ne sont pas sur la même ligne que les Français et les Britanniques. Pour Madrid, des moyens supplémentaires ne sont « pas nécessaires » car « l’action de l’Otan se déroule bien » et « il n’y a rien à réviser pour le moment » car l’alliance a « fait un bon travail » étant donné que « la zone d’exclusion aérienne est un succès ». Quant à Rome, qui attend le feu veu du Parlement italien pour que ses avions puissent mener des frappes au sol, la demande de Londres et de Paris suscite de « fortes réserves ». « Nous ne voulons pas nous retrouver à nous excuser de la mort de civils libyens » a commenté Franco Frattini, le chef de la diplomatie du gouvernement Berlusconi.

Du côté de l’Otan, le général Mark van Uhm, du SHAPE, à Mons (Belgique), a estimé « qu’avec les moyens mis à sa disposition », l’alliance fait « un bon travail », et précisé que les opérations se déroulent à un « rythme élevé ».

Le commandant de l’opération Unified Protector, le général canadien Charles Bouchard, a indiqué disposer « de bien assez d’avions » pour frapper les forces du colonel Kadhafi. « Ce qui gêne l’Otan, c’est que l’espace aérien soit engorgé par des avions qui ne tirent pas, tout en occupant des créneaux qui pourraient être, eux, utilisés par des appareils autorisés à faire feu » a-t-il expliqué. Dans ce cas, c’est à lui qu’il revient d’y remédier…

Quoi qu’il en soit, au vu de la situation, le général Carter Ham, le commandant l’US Africom, a estimé qu’une offensive victorieuse de la rébellion sur Tripoli repose sur une « faible probabilité ». C’est par conséquent le scénario d’une partition du pays qui se dessine, d’autant plus que les rebelles ne pourront pas compter sur une autre option susceptible de faire bouger les lignes, à savoir une intervention terrestre des forces de l’Otan. Pour cela, il faudrait une nouvelle résolution de l’ONU, ce qui est loin d’être gagné, ainsi que des pays qui accepteraient (et qui pourraient) de fournir des troupes pour une telle opération.

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