Qu’a obtenu la Turquie pour lever son veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan?

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait plombé l’ambiance lorsque la Suède et la Finlande firent officiellement leur demande pour rejoindre l’Otan. En effet, il affirma qu’accueillir ces deux pays au sein de l’Alliance était une « mauvaise idée » en raison de leur mansuétude à l’égard du Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], considéré comme terroriste par l’Union européenne [UE] et les États-Unis, et du Fetö, l’organisation du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’État de juillet 2016.

« Nous sommes résolus à maintenir notre position, nous avons informé nos amis que nous dirons non à la Finlande et à la Suède qui veulent rejoindre l’Otan et nous persisterons dans cette voie. […] Cette Suède et cette Finlande sont les pays qui hébergent les terroristes chez eux, le PKK et l’YPG [milice kurde syrienne, ndlr] », insistera M. Erdogan, lors d’une émission télévisée diffusée le 19 mai.

Par ailleurs, la Turquie reprochait également à la Suède et à la Finlande de lui avoir imposé un embargo sur les armes, après son offensive lancée en octobre 2019 contre l’YPG, dans le nord-est de la Syrie. Des restrictions « non conformes » à l’esprit de l’Otan, fit valoir Mevlut Cavusoglu, le chef de la diplomatie turque.

En outre, on pouvait supposer que la Turquie allait aussi monnayer son veto contre l’assurance d’obtenir des chasseurs-bombardiers F-16 Viper auprès des États-Unis… Voire sa réintégration dans le programme F-35, dont elle avait été exclue par l’administration Trump pour avoir acquis des systèmes russes de défense aérienne S-400 « Triumph ».

Le 25 juin, soit quelques jours avant le sommet de l’Otan, organisé à Madrid, M. Erdogan fit savoir que les discussions avec les deux pays candidats n’avaient connu aucun progrès durant les dernières semaines.

Ce qui laissait craindre un blocage durable, en particulier dans le cas de la Suède, où, afin de sauver sa majorité qui ne tenait alors plus qu’à une voix, la cheffe du gouvernement social-démocrate, Magdalena Andersson, venait de promettre à Amineh Kakabaveh, une députée d’origine kurde, que Stockholm ne céderait pas sur les exigences exprimées par M. Erdogan, celui-ci ayant notamment demandé l’extradition d’une trentaine de personnes soupçonnées d’être liées au PKK. En novembre 2021, cette même parlementaire avait obtenu une déclaration de soutien des sociaux-démocrates suédois aux milices kurdes syriennes…

Quoi qu’il en soit, à Madrid, la Turquie a fini par lever son veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande. D’où la question : qu’a-t-elle obtenu en échange? Selon la déclaration diffusée après l’annonce de leur accord, les deux pays candidats ont pris l’engagement de ne fournir aucun soutien aux kurdes syriens [tant aux YPG qu’au PYD, leur vitrine politique] et au Fetö, de « rejeter et de condamner le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations dans les termes les plus forts » et de « condamner sans ambiguité toutes les organisations terroristes commettant des attaques » sur le sol turc.

En outre, la Suède et la Finlande ont confirmé considérer le PKK comme une organisation terroriste et pris l’engagement de mener « la lutte contre le terrorisme avec détermination et résolution, conformément aux dispositions des documents et politiques de l’Otan » en prenant « toutes les mesures nécessaires pour renforcer la législation nationale en ce sens ».

Qui plus est, Stockholm et Helsinki pays ont également accepté de renforcer leur coopération avec Ankara en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, via un « mécanisme structuré à tous les niveaux », y compris entre « les services de sécurité et les services de renseignement », et d’enquêter sur « toute activité de financement et de recrutement du PKK et de toutes les autres organisations terroristes ».

Enfin, le document indique que la « Finlande et la Suède traiteront les demandes d’expulsion ou d’extradition de personnes soupçonnées de terrorisme de manière rapide et approfondie, en tenant compte des informations, preuves et renseignements fournis » par Ankara et « établiront les cadres juridiques bilatéraux nécessaires à la coopération en matière de sécurité avec la Turquie, conformément à la Convention européenne sur l’extradition ».

Quant aux restrictions sur les ventes d’armes et d’équipements militaires, la Turquie a obtenu qu’elles soient levées. « À l’avenir, les exportations militaires de la Finlande et de la Suède seront menées dans le respect de la solidarité avec l’Alliance et conformément à la lettre et à l’esprit de l’article 3 du Traité de Washington », précise la déclaration.

Un dernier point mérite d’être souligné : les deux pays nordiques se sont engagés à « soutenir l’implication la plus complète possible de la Turquie et d’autres alliés non membres de l’UE [comme les États-Unis, le Canada et la Norvège, ndlr] dans les initiatives existantes et futures de la Politique de sécurité et de défense commune [PESD] », y compris aux projets relevant de la Coopération struturée permanente [CSP ou PESCO] et de la Mobilité militaire« .

« La Turquie a obtenu ce qu’elle voulait », a commenté le bureau du président Erdogan après l’annonce de cet accord. Ce qui assurément vrai pour ce qui concerne la Finlande et la Suède… Mais n’a-t-elle pas cherché à profiter de la situation pour tenter de convaincre Wahsington de lui fournir l’armement dont elle a besoin, dont les F-16 Viper, voire les F-35A?

« Il n’y a pas eu de demande de la part des Turcs pour que les États-Unis fassent une concession particulière », a assuré un haut responsable américain, selon l’AFP. « Il s’agit d’un accord strictement entre les trois pays – la Turquie, la Finlande, la Suède. Les États-Unis n’en font pas partie », a-t-il insisté, avant d’admettre, cependant, que l’administration Biden avait oeuvré dans les coulisses pour faire rapprocher les points de vue de ces trois pays.

On verra ce qu’il en est vraiment une fois que M. Erdogan se sera entretenu avec son homologue américain, en marge du sommet de l’Otan, sachant que, selon ce même responsable, M. Biden est « désireux de faire progresser leur relation ».

Reste aussi à voir ce qui se passera dans les prochaines semaines… à l’heure où la Turquie parle de lancer une autre offensive contre les milices kurdes syriennes. « Nous lancerons une nouvelle opération en Syrie dès que nos préparatifs seront terminés », a ainsi encoré répété M. Erdogan, le 27 juin…

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