Vers un sérieux coup de froid diplomatique entre la Turquie et sept pays membres de l’Otan

Le 22 octobre, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, a remis la Légion d’Honneur à son homologue grec, le général Konstantinos Floros, lors d’une visite de celui-ci en France.

« Nous partageons une vision stratégique commune pour la sécurité du continent européen et de son voisinage. Les armées grecques sont aujourd’hui un partenaire important des armées françaises en Méditerranée et ailleurs », a souligné le général Burkhard à cette occasion. Et cela d’autant plus que la France et la Grèce, membres de l’Otan et de l’Union européenne, ont récemment signé un accord stratégique comportant une clause de défense mutuelle, laquelle ne concernera pas leurs zones économique exclusives [ZEE] respectives.

Par ailleurs, ce mois-ci, la Grèce a également renforcé ses liens militaires avec les États-Unis, à la faveur d’une énième révision de leur Accord de coopération de défense mutuelle [MDCA], lequel indique désormais que les deux pays sont « fermement déterminés à défendre et à protéger mutuellement la souveraineté et l’intégrité territoriale de chacun contre les actions qui menacent la paix, y compris les attaques armées et les menaces de telles attaques ».

Ces clauses de défense mutuelle font évidemment doublon avec celle prévue par l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord… Seulement, et comme l’avait relevé le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, lors d’un débat parlementaire portant sur l’accord stratégique conlu avec la France, il n’est pas certain que cette dernière puisse s’appliquer « en cas d’attaque par un membre de l’Otan. ». Et d’insister : « Je ne suis pas sûr que l’Otan ait jamais été très claire sur cette question ».

Évidemment, également membre de l’Alliance atlantique, la Turquie ne peut que se sentir visée par de tels accords signés par la Grèce, ces deux pays ayant plusieurs différends importants, à commencer par ceux relatifs à leurs domaines maritimes.

Dans un premier temps, la diplomatie turque avait fustigé l’accord franco-grec, en affirmant qu’il était de nature à « menacer la paix régionale »…

Puis, à la faveur de la dernière réunion ministérielle de l’Otan, le 22 octobre, à Bruxelles, le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, a estimé que la formation d’alliances en dehors du cadre de l’Otan était de nature à « nuire à l’organisation ainsi qu’aux relations bilatérales » et risquait aussi de « saper la confiance ».

Au début du mois, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, avait donné le sentiment de critiquer, à demi-mots, l’accord franco-grec. « Ce en quoi je ne crois pas, ce sont les efforts pour essayer de faire quelque chose en dehors du cadre de l’Otan ou de concurrencer ou de dupliquer l’Otan, car l’Otan reste la pierre angulaire, le fondement de la sécurité européenne, et aussi de la sécurité nord-américaine », avait-il affirmé.

Cela étant, la confiance est surtout sapée entre alliés quand un navire turc illumine une frégate française engagée dans une mission de l’Otan [comme cela est arrivé au Courbet, en juin 2020] … Ou quand Ankara acquiert de systèmes russes de défense aérienne, avant d’envisager d’accroître sa coopération avec Moscou dan le domaine de l’industrie de l’armement… Ou encore quand le président turc, Recep Tayyip Erdogan, menace de renvoyer de son pays dix ambassadeurs, dont sept appartiennent à des pays de l’Otan [États-Unis, France, Allemagne, Danemark, Canada, Pays-Bas, Norvège]. Motif : avoir réclamé la libération de l’opposant Osman Kavala, emprisonné depuis quatre ans sans jamais avoir été condamné.

« J’ai donné l’ordre nécessaire à notre ministre des Affaires étrangères, ces dix ambassadeurs doivent être déclarés personæ non gratæ le plus vite possible », a ainsi lancé M. Erdogan devant des sympathisants, à Eskisehir, le 23 octobre. « Ils vont apprendre à connaître la Turquie », a-t-il insisté.

Sur l’échelle des sanctions diplomatiques, la décision de renvoyer l’ambassadeur d’un pays étranger peut être prise en cas d’incident jugé grave. Il s’agit du dernier niveau avant la fermeture de l’ambassade et la rupture des relations.

Pour le moment, et alors que la livre turque connaît un nouveau plongeon sur les marchés financiers après les propos du président turc, aucune notification officielle n’a été adressée aux pays concernés.

Mais si jamais M. Erdogan met sa menace à exécution, alors le principe de réciprocité devrait s’appliquer. Et, si on ajoute la Grèce, la Turquie sera ainsi en froid avec quasiment le quart des pays membres de l’Otan. En outre, le renvoi de l’ambassadeur des États-Unis n’incitera sans doute guère le Congrès à accepter la vente de F-16 Viper à Ankara…

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