Si Berlin abandonne le Tigre MK3, la France ne pourrait moderniser qu’une partie de ses hélicoptères d’attaque

Parmi les programmes majeurs d’armement menés en coopération avec l’Allemagne, seul le Système de combat aérien du futur [SCAF] a passé l’épreuve de la commission des Finances du Bundestag [chambre basse du Parlement d’outre-Rhin, ndlr], en juin dernier. Et encore, les députés allemands y ont mis des conditions pour la suite du projet, en ne votant qu’une partie des crédits demandés par leur ministère de la Défense.

En effet, le MAWS [Maritime Airborne Warfare System], qui vise à renouveler les moyens de patrouille maritime, risque fort de ne pas se relever de la décision de Berlin de se procurer cinq avions P-8A Poseidon auprès du constructeur américain Boeing. Et le char de combat du futur [MGCS – Main Ground Combat System], dont le développement est pourtant dirigé par l’Allemagne, et le standard Mk3 de l’hélicoptère de combat EC665 Tigre sont, quant à eux, à l’arrêt.

S’agissant de ce dernier, on pouvait penser qu’il n’allait pas poser de problèmes particuliers. Le coup d’envoi du développement du Tigre Mk3 – et donc de la modernisation à mi-vie de cet appareil – avait été donné en mai 2018 par Florence Parly, la ministre français des Armées, celle-ci ayant alors souligné une « nouvelle étape pour l’Europe de la défense et la consolidation de notre industrie ». Puis, en septembre de la même année, l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement [OCCAr] notifia, au nom de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne, une étude de levée de risque à Airbus Helicopters, Thales et MBDA.

Dans le détail, le standard Mk3 vise à traiter les obsolescences et à doter le Tigre de nouvelles capacités, notamment dans le domaine du combat collaboratif. Ce qui, pour l’Aviation légère de l’armée de Terre [ALAT] doit se traduire par son intégration au système d’information et de communication [SICS] du programme Scorpion. Il s’agit aussi de l’équiper du système de gestion aéroporté MUM-T pour qu’il soit capable de communiquer avec des drones et de l’armer avec le futur missile MHT [missile haut de trame] conçu par MBDA. Le tout pour un coût estimé à 5,5 milliards d’euros.

Seulement, l’Allemagne ne semble plus prête à investir dans un tel programme. En février, la chancelière allemande, Angela Merkel, parla d’une « série de négociations à conduire, en particulier avec Airbus pour la partie allemande » au sujet du Tigre Mk3. Puis il fut avancé que la Bundeswehr s’opposait « à toute mise à niveau étant donné la faible disponibilité opérationnelle » de ses hélicoptères d’attaque.

Qui plus est, un an plus tôt, le magazine spécialisé britannique Shephard Media laissa entendre que « le gouvernement fédéral allemand a[vait] demandé à son homologue américain des informations sur l’hélicoptère d’attaque AH-64 Apache de Boeing ». Et s’il n’en fut plus question par la suite, certains estimèrent que Berlin allait attendre la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale, issue des élections de septembre 2021, pour formaliser son retrait du programme Tigre Mk3.

« Pour le Tigre standard 3, notre hélicoptère de combat aux performances améliorées, il me paraît réaliste de dire […] que nous devrons examiner une solution d’attente. Nous envisageons donc un engagement du programme en octobre 2021, en espérant être rejoints par l’Allemagne à l’issue du processus de changement de gouvernement et de coalition », avait par ailleurs expliqué Joël Barre, le Délégué général pour l’armement, lors d’une auditon parlementaire, en juin dernier.

Or, un retrait allemand de ce programme risque de pénaliser fortement l’ALAT, qui, contrairement à la Bundeswehr, utilise intensivement ses Tigre, en particulier au Sahel.

« Concernant le Tigre Standard 3, soit l’Allemagne nous rejoint et nous pourrons le réaliser tel que prévu, soit elle ne nous rejoint pas et il faudra redéfinir le standard avec l’Espagne et ne faire passer à ce standard 3 bis ou 4 qu’une partie de nos hélicoptères », a en effet déclaré le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

Pour rappel, l’ALAT doit disposer, d’ici 2027, de 67 Tigre HAD [appui et destruction]. Combien pourront être portés au standard Mk3 en cas de retrait allemand? Le général Schill ne l’a pas précisé. En tout cas, a-t-il dit, « la présence de l’Allemagne constitue toutefois un enjeu puisque l’équilibre économique du programme ne peut être obtenu qu’avec elle ».

Cela étant, dans un entretien donné en avril dernier à La Tribune, le Pdg d’Airbus Helicopters, Bruno Even, s’était dit confiant sur l’issue de programme. « Je n’imagine même pas que les Allemands puissent acheter américain au regard des enjeux, qui reposent sur le lancement du programme Tigre Mark 3. Ce serait un constat d’échec », avait-il dit. D’autant plus que, selon lui, ce « programme est, notamment pour des raisons budgétaires, la meilleure des solutions pour les trois armées, dès lors qu’elles y vont ensemble par rapport à toute autre hypothèse. Je n’imagine donc pas un autre scénario ».

Quant au MGCS, dont l’un des blocages est dû à un désaccord entre les industriels impliqués [notamment entre Nexter et Rheinmetall], le CEMAT a estimé qu’il devait maintenant « revenir au premier plan ».

« Il est important pour nous mais également pour l’armée de Terre allemande que, sitôt le gouvernement allemand installé, nous puissions poursuivre ce projet majeur pour nos deux armées », a dit le général Schill, qui a donné le sentiment d’appeler à dépasser les désaccords sur les questions industrielles.

« Bien que consciente des enjeux industriels autour du projet, l’armée de Terre a un besoin stratégique d’acquérir un MGCS en 2035. Malgré les difficultés souvent inhérentes à un projet conduit en coopération, nous devons rester concentrés sur nos réflexions avec notre allié allemand sur le besoin opérationnel que nous partageons », a-t-il en effet affirmé.

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