Pour illustrer l’ampleur du réarmement naval dans le monde, l’amiral Vandier cite le cas de… l’Algérie
« Parere antequam prodesse » [« Obéir avant de commander »]. Telle était la devise de l’École navale jusqu’au 23 octobre… Celle-ci, adoptée après le putsch d’Alger [avril 1961], avait un caractère « inhibant », selon l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM]. Et elle ne reflétait pas les défis auxquels les futurs officiers de marine seront confrontés.
Aussi, à l’occasion de la présentation au drapeau de ses nouvelles promotions, l’École navale a officiellement adopté sa nouvelle devise : « Pour la France, par les mers, nous combattons ». Une formule qui fait écho à une allocution prononcée par le général de Gaulle quand celui-ci lui avait rendu visite en février 1965.
« Le fait est que la Marine, celle d’aujourd’hui et celle de demain, est faite pour la guerre, c’est-à-dire pour de grandes épreuves, lesquelles ne sont pas seulement, [je ne parle pas seulement du passé, je parle de l’avenir], ne sont pas seulement ses épreuves mais sont celles, matérielles et morales, de la Nation. Cela veut dire que, pour ce qui est de la Marine, ce dont il s’agit, c’est d’être faite pour ce pour quoi elle est faite : autrement dit pour combattre, pour s’y préparer d’abord et, le cas échéant, pour l’accomplir », avait en effet déclaré le général de Gaulle.
Dans un entretien donné au quotidien Le Télégramme, l’amiral Vandier s’est livré à une petite explication de texte. « La Marine ne veut pas s’enfermer dans son milieu. C’est depuis la mer que nous agissons, mais nous voulons embrasser tous les milieux […]. Le ‘nous combattons’ comporte deux aspects. Il insiste sur l’esprit d’équipage, l’aventure et le destin commun lié au navire. Le présent indique que le combat est quotidien », a détaillé le CEMM.
Quant aux défis que les futurs officiers de marine auront à relever, l’amiral Vandier a expliqué que l’on est entré dans une « ère carnivore sur le plan naval », caractérisée par un réarmement naval dont l’ampleur est « sidérante » et « sans équivalent, si ce n’est peut-être dans les années 1930 ».
Évidemment, la Chine mène le bal… Et le CEMM ne pouvait que la citer, en soulignant que, « en dix ans, la flotte chinoise a grossi de 130% ». Et d’observer que des « petites marines se sont développées à la vitesse de l’éclair », comme celles de la Malaisie et de l’Indonésie. Si la région Indo-Pacifique a été sous le feu de l’actualité avec l’annonce du partenariat stratégique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis [AUKUS] qui a fait s’interroger sur la stratégie française dans cette partie du monde, l’amiral Vandier s’est surtout attardé sur la Méditerranée.
Là, il n’a pas eu un mot pour les efforts de l’Italie, qui affiche une ambition élevée dans le domaine maritime, avec notamment un format à dix frégates multimissions, huit sous-marins d’attaque, huit corvettes de nouvelles générations, deux nouveaux « Cacciatorpediniere » [contre-torpilleurs ou « destroyers »] et le porte-aéronefs Trieste.
En revanche, le CEMM n’a pas manqué d’évoquer la Turquie, dont les relations avec la France sont glaciales… « Près de chez nous, la marine turque lance la construction de cent patrouilleurs : c’est dix fois le nombre que nous mettons en ligne », a-t-il ainsi fait remarquer, en faisant une allusion au projet lancé par Ankara pour acquérir 122 patrouilleurs rapides au bénéfice de sa garde-côtiére et de la Direction générale de la sécurité de son ministère de l’Intérieur.
Mais l’amiral Vandier aurait pu également rappeler que la marine turque dispose de 16 frégates et d’une dizaine de corvettes et de patrouilleurs hauturiers, qu’elle va renouveler ses sous-marins par des navire de Type 214 dans le cadre d’une coopération avec le groupe allemand ThyssenKrupp Marine Systems [TKMS] ou bien encore qu’elle va se doter d’un navire d’assaut amphibie – le TCG Anadolu – susceptible d’être transformé en « porte-drones ». À cela, il faut ajouter les efforts effectués dans le domaine des drones navals.
Un autre pays méditerranéen avec lequel la France a des rapports actuellement compliqués est l’Algérie. Lors de ses précédentes interventions, et sauf erreur, l’amiral Vandier n’avait jamais abordé la question de la marine algérienne. Et c’est qu’il a fait dans les colonnes du quotidien Le Télégramme.
« L’Algérie possède désormais six sous-marins russes de type Kilo équipés des missiles de croisière navale Kalibr. Cela change la donne. Elle dispose de corvettes chinoises et de radars fabriqués par Thales que nous n’avons pas encore », a ainsi indiqué le CEMM.
En août 2019, deux sous-marins algériens faisant partie des plus récents avaient tiré des missiles de croisière Kalibr-PL [fournis par la Russie et d’une portée minimum de 1500 km, mais cependant limitée pour les versions exportées nldr], démontrant ainsi une capacité d’action vers la terre inédite pour une force navale africaine.
Quoi qu’il en soit, pour l’amiral Vandier, « nous sommes entrés dans une ère carnivore sur le plan naval, où la démonstration de force et l’affrontement font partie de la feuille de route des dirigeants de ces puissances navales. Ils se donnent les moyens de changer les règles ».