Le Haut-comité d’évaluation de la condition militaire rejette la directive européenne sur le temps de travail

Si l’application de la directive européenne 2003/88 relative au temps de travail ne pose pas de problème particulier pour le secteur civil, il en va toute autrement pour les forces armées [et de sécurité] des pays membres de l’Union européenne [UE].

Pour rappel, le texte en question limite la durée de travail à 48 heures par semaine [heures supplémentaires comprises] et impose un repos journalier d’au moins 11 heures consécutives par période de 24 heures ainsi qu’une pause hebdomadaire de 24 heures pour chaque période de 7 jours, tout en limitant le travail de nuit à 8 heures.

S’agissant de son application au domaine militaire, deux conceptions s’opposent. L’une, notamment défendue par l’Allemagne, consiste à séparer le « service courant » [surveillance, maintenance, etc] des activités dites spécifiques [opérations militaires, préparation opérationnelle]. L’autre estime que la directive ne doit pas s’appliquer aux forces armées car elle remet en cause la notion de « service en tout temps et en tout lieu ». Telle est la position de la France.

Or, lors d’un réquisitoire concernant un litige entre un sous-officier slovène et sa hiérarchie, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE], Henrik Saugmandsgaard Øe, a repris à son compte les arguments avancés par l’Allemagne.

Il conviendrait, « comme le suggère le gouvernement allemand, de séparer le ‘service courant’, pour lequel les directives 89/391 et 2003/88 sont applicables, des véritables ‘activités spécifiques’ des forces armées, en particulier celles effectuées dans le cadre des opérations militaires et de la préparation opérationnelle, qui en sont exclues », a en effet estimé M. Saugmandsgaard Øe.

Seulement, une telle lecture de la direction 2003/88 est inacceptable pour la France. Et le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM] en rappelle les raisons, dans un avis qu’il vient de publier.

Dans un premier temps, le HCECM estime qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre « service courant » et « activités spécifiques » dans la mesure où le « temps de service des militaires obéit d’abord à l’exigence fondamentale de disponibilité ‘en tous temps et en tous lieux », inhérente à l’état militaire. En outre, poursuit-il, une telle exigence a un « fondement constitutionnel », à savoir « la nécessaire libre disposition de la force armée » [voir la décision n° 2014-432 QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 28 novembre 2014].

Ausis, « parce qu’elles seraient incompatibles avec cette exigence, les règles fixant la durée de travail tant des salariés que des fonctionnaires ne sont pas applicables aux militaires », conclut le HCECM.

« Le temps de service des militaires – temps qu’ils consacrent à leur mission, c’est-à-dire présence dans les unités, entrainement, instruction, formation, participation à des missions de sécurité intérieure et extérieure, astreinte, etc… – est un élément structurant de l’organisation et du fonctionnement des forces armées. Ce temps est déterminé par des règles et instructions propres, fixées par la hiérarchie militaire sous le contrôle du Gouvernement », fait-il encore valoir.

Ensuite, rappelant que le « temps de service ne prend fin que quand la mission est terminée », le HCECM souligne les conséquences que pourrait avoir l’application de la directive 2003/88 : remise en cause des fondements de l’état militaire, modifications substantielles de l’organisation et du fonctionnement des forces armées pour des raisons étrangères aux objectifs de défense et baisse de la capacité et de l’efficacité opérationnelle des forces armées en raison « du contingentement de la disponibilité des militaires et des rigidités impliquées par sa mise en œuvre. »

Par ailleurs, comme il a été soutenu que l’application de la directive 2003/88 pourrait « s’accompagner d’exemptions pour certaines unités, ou en opérations extérieures, ou encore dans certaines missions », le HCECM craint que cette éventualité puisse également affaiblir la cohésion des forces armées ainsi que le « continuum formation – entrainement – déploiement, qui est la marque d’une armée professionnalisée et intégrée, et dont dépend sa capacité d’engagement. »

En outre, le Haut Comité souligne que, s’agissant des forces françaises, plusieurs dispositifs « compensent » les obligations et sujétions propres aux militaires [comme les pensions de retraites, le régime des permissions, etc].

Et de rappeler que « l’organisation et le mode de fonctionnement des forces armées visent à garantir une gestion du temps de service qui ne mette pas en cause la condition militaire » car, sinon, ce « serait le moral qui s’en ressentirait, la capacité de récupération des militaires qui serait fragilisée, la fidélisation qui serait en risque, l’attractivité du service des armes qui serait affaiblie et la capacité opérationnelle des forces armées atteinte. »

Quoi qu’il en soit, le HCECM estime que l’organisation du temps de service des militaires, dans « ses principes comme dans ses modalités », doit relever des « seules autorités responsables de la sécurité nationale »… Et que les règles qu’imposerait la directive 2003/88 sont « incompatibles avec l’exigence constitutionnelle de libre disponibilité des forces armées. »

Pour appuyer son argumentation, le HCECM se réfère à l’article 4.2 du Traité de l’UE. Ce texte stipule en effet que « l’Union respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » et que, « en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

Aussi, déduit le HCECM, « sauf à priver ce principe d’effectivité et de réelle portée, il implique que l’État ait l’entière maîtrise des moyens
humains et matériels de sa sécurité nationale, et par conséquent l’exclusive responsabilité et compétence de la détermination et de l’organisation du temps de service des militaires. »

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