Les États-Unis renforcent leurs opérations anti-drogues en Amérique du Sud. Avec le Venezuela dans le viseur?

N’étant pas, jusqu’à présent, le commandement militaire américain le mieux loti en termes de capacités et de financements, l’US Southern Command, dont la zone des opérations s’étend des Caraïbes jusuq’à l’Antarctique, va voir sa situation changer très prochainement. Son chef, l’amiral Craig Failer, avait déjà annoncé la couleur le 12 mars dernier, lors d’une conférence de presse donnée au Pentagone.

« Nous verrons une augmentation de la présence militaire américaine dans la zone. Cela se traduira par une présence accrue de navires, d’avions et de forces de sécurité » afin de « rassurer les alliés et contrer une série de menaces, dont le narcoterrorisme », avait-il en effet affirmé, sans donner plus de détails sur le calendrier de ce déploiement ainsi que sur l’ampleur de ce dernier.

Organisé depuis certains pays d’Amérique du Sud, le trafic de drogue(s) concerne l’Amérique du Nord mais aussi l’Afrique, qui est une plaque tournante servant à alimenter le marché européen. Ce qui permet de financer les activités des groupes terroristes.

« De nombreux groupes criminels auxquels il convient d’attribuer l’appellation de narco terroristes sévissent dans les pays du sahel et ont une relation étroite aussi bien avec des groupes criminels impliqués dans la production et le trafic de drogues, notamment en provenance d’Amérique Latine qu’avec des groupes jihadistes dont ils financent directement ou indirectement les activités », a ainsi récemment souligné le contrôleur général de police Boubacar Issaka Oumarou, de l’Office Central de Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants [OCRTIS] du Niger.

Par ailleurs, le Hezbollah libanais a trouvé un moyen de financer ses opérations en s’impliquant dans le trafic de produits stupéfiants, grâce à une diaspora libanaise bien implantée en Amérique latine.

« Si dans le passé, le Hezbollah a couvert des trafics de drogue, en particulier issus de la plaine de la Bekaa, en prélevant une dîme au passage, sa nouvelle orientation qui consiste désormais à y participer directement, notamment en s’associant à des cartels sud-américains », relevait Alain Rodier, dans une note publiée en avril 2009 par le Centre français de recherche sur le renseignement. Ce qui avait motivé le lancement de l’opération « Cassandra » par les autorités américaines. Mais la volonté du président Obama d’arriver à un accord sur le programme nucléaire iranien y mit un terme.

Quoi qu’il en soit, la décision de renforcer l’US SOUTHCOM aurait été prise en relation avec les objectifs de la nouvelle stratégie de défense nationale des États-Unis, laquelle vise, en priorité, à contrer la Chine et la Russie. Or, ces deux pays cherchent à accroître leur influence sur le continent sud-américain. Et, à ce titre, le Venezuela du président Nicolas Maduro, en est un exemple.

Il aura fallu attendre environ trois semaines pour en savoir un peu plus sur les intentions de Washington. Le 1er avril, en ouverture d’une conférence de presse presse portant sur les mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19, le président Trump a annoncé le lancement d’une vaste opération anti-drogue en Amérique du Sud.

« Aujourd’hui, les États-Unis annoncent des opérations antidrogue renforcées sur le continent sud-américain pour protéger le peuple américain du fléau mortel des drogues illégales », a en effet déclaré le chef de la Maison Blanche. « Alors que les gouvernements et les nations se concentrent sur le coronavirus, il existe une menace croissante que les cartels, les criminels, les terroristes et d’autres acteurs malveillants tentent d’exploiter la situation pour leur propre profit », a-t-il expliqué. « Nous ne devons pas laisser cela se produire », a-t-il conclu.

Le chef d’état-major interarmées américain, le général Mark Milley, a ensuite prévenu que le Covid-19 n’empêcherait pas les États-Unis de se défendre en prenant des mesures « agressives » contre le trafic de drogues. « Vous ne passerez pas. Ce n’est pas le bon moment d’essayer de pénétrer le territoire américain. Nous sommes l’armée américaine. Nous défendrons notre pays, quel que soit le prix à payer », a-t-il lancé, à l’adresse des narco-trafiquants.

De son côté, le chef du Pentagon, Mark Esper, a précisé que les renforts mis à la disposition de l’US SOUTHCOM permettraient à ce dernier de « quasiment doubler » ses capacités à « mener des opérations antidrogue dans la région », que ce soit dans les Caraïbes ou dans le Pacifique. Et d’ajouter que M. Trump avait ordonné l’envoi de navires de combat et d’avions de surveillance supplémentaire, sans en donner le détail, et que cette opération seraient « soutenues par 22 pays partenaires. »

Mais M. Esper s’en est surtout pris à Nicolas Maduro, le président vénézuélien, lequel a, la semaine passée, été inculpé avec une quinzaine de ses proches pour « narcoterrorisme » par la justice américaine. Et le tout assorti d’une prime de 15 millions de dollars promise pour son arrestation.

« Des acteurs corrompus comme le régime illégitime [du président] Maduro au Venezuela dépendent du trafic de drogue pour maintenir leur régime oppressif au pouvoir », a ainsi dénoncé M. Esper.

Pour rappel, le Venezuela fait toujours face à une crise politique. Reconnu et soutenu par les États-Unis [ainsi que par une soixantaine de pays] le chef de l’opposition, Juan Guaido, s’est autoproclamé président par intérim en janvier 2019, estimant que Nicolas Maduro, réélu quelques mois plus tôt après avoir pris soin d’écarter ses principaux opposants. Qui plus est, le pays est confronté à une grave crise économique, laquelle a provoqué une émigration massive qui a destabilisé ses voisins. Et la situation ne risque pas de s’arranger de sitôt à cause de la chute des cours du pétrole. Ce marasme, marqué par une inflation galopante, a conduit Caracas à demander des secours financiers auprès de Moscou et de Pékin.

Outre M. Maduro, la justice américaine soupçonne plusieurs hauts responsables des forces armées vénézuéliennes d’avoir créé, dès 1999, le « cartel de los soles » [le cartel des « soleils »] en référence à l’écussion porté par les militaires du pays. Et elle les accuse de s’être associés « à une organisation terroriste extrêmement violente, les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC], dans un effort pour inonder les États-Unis de cocaïne. »

L’annonce de cette opération « anti-drogue » a été faite au lendemain d’une proposition américaine visant à débloquer la situation politique à Caracas. Ainsi, le département d’État a suggéré de confier la direction du pays à un « conseil d’État » qui, formé de quatre membres [deux de l’opposition, deux du régime], aurait la mission d’organiser de nouvelles élections, « libres » et « justes ». En échange, les États-Unis léveraient les sanctions qui frappent le Venezuela. Ce que M. Maduro a refusé.

Cela étant, le Venezuela n’est pas le seul pays d’Amérique latine concerné par le trafic de drogue. Par exemple, la Colombie, par ailleurs alliée des États-Unis, abrite des cartels puissant. Enfin, on peut avoir une idée de l’importance des flux avec les saisies effectuées par les forces navales régionales [et la Marine nationale en fait régulièrement état aux Antilles] ainsi qu’avec le nombre de submersibles artisanaux qui, utilisés par les trafiquants, sont repérés chaque année. L’an passé, 36 ont été détectés, dont un en… Espagne. Seulement 11% de ces « sous-marins » transportant de la drogue seraient interceptés, par les gardes-côtes américains.

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