Selon le chef adjoint de l’opération Sophia, les flux migratoires en provenance de Libye ont fléchi de 90% en trois ans

Faute d’accord sur un système de rotation pour les ports de débarquement des migrants recueillis en Méditerranée centrale, l’opération navale européenne EUNAVFOR Sophia, lancée en 2015, est privée de navires pour mener à bien les missions qui lui ont été assignées. En revanche, ses moyens de surveillance aérienne ont été accrus. Cette issue était la seule possible pour mettre d’accord les États membres de l’UE afin de la prolonger.

Pour rappel, l’objectif initial de l’opération Sophia était de casser le modèle économique des passeurs de migrants opérant depuis les côtes libyennes. Une première phase a consisté à collecter du renseignement. La seconde, plus active, a autorisé l’arraisonnement des navires utilisés par les trafiquants dans les eaux internationales. Quant à la troisième, qui prévoyait d’agir dans les eaux libyennes, elle n’a jamais pu être appliquée pour des raisons à la fois diplomatiques et politiques. Une solution a cependant pu être trouvée avec la formation des gardes-côtes libyens.

En 2016, un rapport parlementaire britannique avait critiqué cette opération européenne, affirmant qu’elle n’avait nullement freiné les flux migratoires et qu’elle traitait les « symptômes » plutôt que les causes du phénomène.

Or, le contre-amiral français Olivier Bodhuin, commandant adjoint de l’opération Sophia [qui est sous commandement italien, ndlr], a dressé un bilan trois ans plus tard.

« Le secours aux naufragés, obligation internationale et responsabilité morale, a toujours fait l’objet de la plus vive attention. L’opération a contribué au sauvetage en mer de près de 45.000 migrants. Ce nombre très élevé ne représente toutefois que 10% des personnes sauvées en Méditerranée centrale durant la même période, ce qui contredit l’idée que Sophia aurait fait le jeu des passeurs », a assuré le contre-amiral Bodhuin, lors d’une audition au Sénat [et dont le compte-rendu a récemment été publié].

En outre, au premier semestre 2019, les « flux de migrants en provenance de Libye ont diminué de plus de 90% par rapport à ceux observés il y a trois ans, les capacités des garde-côtes libyens ont sensiblement progressé et la surveillance des espaces maritimes est assurée de façon quasi continue depuis quatre ans », a également souligné l’officier français.

Et cela vaut aussi pour le nombre de disparus en mer, même si l’actualité récente, avec le naufrage, au large de la ville libyenne de Khoms, d’une embarcation avec une centaine de migrants à bord, peut donner l’impression du contraire.

« Avec les ONG nous n’avons pas la même lecture des chiffres et des pourcentages de réussite en termes de traversée et de morts en mer. Les flux ont diminué de 90 % et le nombre de disparus a lui aussi diminué d’année en année. Mais hélas, lorsque ces grandes embarcations pneumatiques rencontrent une mer un peu formée ou lorsqu’elles se dégonflent, jusqu’à cent personnes à bord peuvent perdre la vie en quelques minutes seulement. Un seul événement de cet ordre peut conduire à un drame terrible », a expliqué le contre-amiral Bodhuin aux sénateurs.

Et d’ajouter : « Quoi qu’il en soit, il y a eu environ 300 décès et disparitions depuis le début de l’année 2019 devant la Tripolitaine, contre 4.500 il y a deux ans. Personne ne peut se satisfaire de tels chiffres, c’est pourquoi nous restons extrêmement motivés pour poursuivre notre surveillance, combattre les trafiquants et aider la marine et les garde-côtes libyens à se développer. »

Justement, s’agissant des trafiquants, le commandant adjoint de l’opération Sophia a précisé que 150 ont été arrêtés et remis aux autorités [italiennes] et que 500 embarcations ont été détruites.

Cela étant, rien ne dit que la tendance à la baisse des flux migratoires va se maintenir… D’autant plus que la situation en Libye est plus qu’incertaine. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations [OIM], il y aurait en Libye plus de 650.000 migrants, dont 200.000 seraient tentés de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. En outre, les passeurs s’adaptent et multiplient leurs modes d’action. Le dernier en vogue consiste à utiliser un bateau de pêche remorquant un canot pneumatique et d’y faire embarquer les candidats à l’émigration à plus de 100 km des côtes libyennes [voir vidéo].

Pour rappel, les membres de l’UE auront à se prononcer sur le sort de l’opération Sophia d’ici au 30 septembre prochain. « Si nous pouvions résoudre la question des ports de débarquement, nous pourrions agir plus efficacement avec toutes les composantes et travailler plus sereinement », a fait valoir le contre-amiral Bodhuin.

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