Les États-Unis maintiennent l’ambiguïté sur la possibilité de lancer une frappe nucléaire « en premier »

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La doctrine nucléaire américaine, révisée en 2010, indique que les États-Unis ne solliciteront leurs forces stratégiques qu’en cas de « circonstances extrêmes » pour défendre leurs intérêts vitaux ainsi que leurs alliés et uniquement contre un adversaire doté d’armes nucléaires. En revanche, le document se garde de bien préciser si Washington serait susceptible de frapper ou non en premier.

Or, cet été, il a été prêté au président Obama l’intention de modifier encore cette doctrine nucléaire afin justement de préciser que les États-Unis n’utiliseraient jamais en premier leurs armes nucléaires. Et cela a donné lieu à un débat au sein de l’administration américaine. Visiblement, ceux qui y étaient hostiles, notamment au Pentagone, ont su être convaincants.

« Les Etats-Unis ne veulent pas s’interdire de dégainer les premiers l’arme nucléaire en cas de conflit », a en effet affirmé, le 27 septembre, Ashton Carter, le secrétaire américain à la Défense, lors d’une visite sur base aérienne de Kirtland (Nouveau-Mexique), qui abrite un centre de recherches.

« Parmi les puissances nucléaires, la Chine par exemple a pris l’engagement de ne jamais utiliser l’arme atomique en premier. Mais les Etats-Unis, et leurs alliés de l’Otan, ne veulent pas renoncer à cette option », a fait valoir le chef du Pentagone, pour qui cela « a été notre politique depuis longtemps et fait partie de nos plans pour l’avenir. »

Sur ce point, les États-Unis ne sont pas les seuls. S’il privilégie la notion d’ultime recours pour son arsenal nucléaire, le Royaume-Uni [.pdf] n’exclut pas un » usage sous-stratégique ou pré stratégique, y compris en première frappe, contre des Etats nucléaires et non nucléaires qui menaceraient ses intérêts vitaux. »

La doctrine russe, révisée en 2010 et en 2014, indique que la Russie « se réserve le droit de se servir de son arme nucléaire en riposte à une attaque à l’arme nucléaire ou à une autre arme de destruction massive, réalisée contre elle et/ou ses alliés, ainsi qu’en cas d’une agression massive à l’arme conventionnelle mettant en danger l’existence même de l’État. »

Quant à la France, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 rappelle que la « dissuasion nucléaire a pour objet de nous protéger contre toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. (…) L’emploi de l’arme nucléaire ne serait concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. »

Cela étant, cette idée de renoncer à frapper en premier avait suscité quelques réserves chez certains responsables américains, comme Deborah Lee James, la secrétaire à l’US Air Force. « Avoir un certain degré d’ambiguïté n’est pas nécessairement mauvais. Il faut bien sûr communiquer certaines choses aux alliés et aux adversaires potentiels à traver le monde, mais il ne faut pas tout le temps dévoiler toutes ses cartes », avait-elle plaidé.

Cependant, le débat n’est pas fini outre-Atlantique. Ainsi, deux parlementaires démocrates – le sénateur Edward Markey et le représentant Ted Lieu – ont déposé une proposition de loi visant à interdire le président américain à ordonner une première frappe nucléaire sans une déclaration de guerre préalablement faite par le Congrès.

« Le risque d’une guerre nucléaire menace gravement la survie de l’espèce humaine. Malheureusement, en n’excluant pas d’être les premiers à utiliser l’arme atomique, les Etats-Unis augmentent le risque d’une escalade nucléaire involontaire », a fait valoir le sénateur Markey. « Le président ne devrait pas utiliser les armes nucléaires, sauf en réponse à une attaque nucléaire », a-t-il continué.

Quoi qu’il en soit, après des années de sous-investissement, Washington a entrepris de moderniser ses forces stratégiques. « Nous n’avons rien conçu de nouveau pendant les 25 dernières années, mais d’autres l’ont fait, y compris la Russie, la Corée du Nord, la Chine, l’Inde, le Pakistan et pendant un certain temps l’Iran », a justifié Ashton Carter.

Reste à voir si le Pentagone aura les moyens de ses ambitions. Déjà, le remplacement des missiles balistiques sol-sol Minuteman III par un nouveau modèle semble très compliqué, alors qu’il devient compliqué de trouver des pièces pour ceux qui sont déployés, beaucoup de fournisseurs ayant disparu depuis leur entrée en service.

En outre, il faudra également financer la rénovation des centres de recherche (88 milliards, selon une estimation de 2012), la modernisation de la bombe B-61 ainsi que le développement d’un nouveau bombardier stratégique (le B-21 Raider) et celui de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de nouvelle génération.

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