Pour M. Lecornu, les armements air-sol modulaires seront plus utiles à Kiev que les Mirage 2000D

En janvier 2022, alors que les mouvements de troupes russes s’accentuaient aux abords de l’Ukraine, l’Estonie demanda à l’Allemagne d’autoriser l’envoi à Kiev de 42 obusiers D30 d’origine soviétique. Ces pièces d’artillerie avaient été récupérées par la Bundeswehr après la réunification avec la République démocratique allemande [RDA], avant d’être revendues par la suite. Seulement, Berlin opposa un refus catégorique… et donna 5000 casques à l’armée ukrainienne.

Depuis, même s’il s’est montré réticent pour livrer certains types d’armements [comme les chars], le gouvernement allemand, dirigé par Olaf Scholz, se veut à la pointe de l’aide militaire consentie à l’Ukraine, tout en appelant les autres pays européens à accroître la leur.

Le 26 février, à l’issue d’une conférence internationale sur l’Ukraine organisée à l’Élysée, le président Macron a clairement fait une allusion à l’attitude allemande, après avoir dit que, « en dynamique », l’envoi de « troupes au sol » sur le territoire ukrainien ne devait pas être exclu, tout en admettant qu’il n’y avait pas de consensus à ce sujet parmi les pays occidentaux. « Je n’ai absolument pas dis que la France n’y était pas favorable », a-t-il ajouté. Mais « je ne lèverai pas l’ambiguïté des débats de ce soir en donnant des noms. Je dis que ça a été évoqué parmi les options », a-t-il affirmé.

Mais il ne s’en est pas tenu là. « Beaucoup de gens qui disent ‘Jamais, jamais’ aujourd’hui étaient les mêmes qui disaient ‘Jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée’ il y a deux ans. Je vous rappelle qu’il y a deux ans, beaucoup […] disaient : ‘nous allons proposer des sacs de couchage et des casques’. Et aujourd’hui, [ils] disent : ‘il faut faire plus vite et plus fort pour avoir des missiles et des tanks », a lancé le locataire de l’Élysée. Difficile d’y voir autre chose qu’une allusion à l’attitude adoptée par l’Allemagne en janvier 2022.

Le propos de M. Macron a cependant fait consensus… mais contre lui. « Ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l’avenir », à savoir « qu’il n’y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les États européens, ni par les États de l’Otan sur le sol ukrainien », a rétorqué M. Scholz. Cette position est partagée par le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, la Suède, les Pays-Bas [dont le Premier ministre, Mark Rutte, a assuré que cette question n’avait été à l’ordre du jour de la conférence], la Pologne ou encore la République tchèque. « Il n’y a aucun projet de troupes de combat de l’Otan sur le terrain en Ukraine », a soutenu un responsable de l’Alliance.

Plus tard, lors de la séance des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné a tenté de rectifier le tir. « Nous devons envisager de nouvelles actions de soutien à l’Ukraine. Celles-ci doivent répondre à des besoins très précis, je pense notamment au déminage, au cyber, à la production d’armes sur place, sur le territoire ukrainien », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Certaines de ces actions pourraient nécessiter une présence sur le territoire ukrainien, sans franchir le seuil de belligérance. Rien ne doit être exclu. C’était et c’est toujours la position aujourd’hui du président de la République ».

Une telle hypothèse a été catégoriquement exclue par Washington. Interrogé sur un éventuel envoi de troupes en Ukraine pour la production d’armes, des opérations de déminage ou des missions liées à la cyberdéfense, John Kirby, le porte-parole du Conseil de la sécurité nationale de la Maison-Blanche, a été limpide. « Le président [Biden] a été clair : il n’y aura pas de troupes américaines sur le terrain en Ukraine », a-t-il répondu.

Quoi qu’il en soit, comme cela a pu être souligné, les autorités ukrainiennes n’ont jamais réclamé, du moins publiquement, le renfort de troupes occidentales sur leur sol. En revanche, elles voudraient que l’aide militaire promise soit livrée plus rapidement. « Sur un million d’obus que l’Union européenne nous a promis, ce n’est pas 50 % mais malheureusement 30 % qui ont été livrés », a ainsi déploré Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, le 26 février.

Sur ce point, la France se veut irréprochable. « Nous, depuis le début, on n’est pas pris en défaut de décalage entre ce qu’on dit et ce qu’on livre », a fait valoir, le même jour, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale. « Alors ça vaut ce que ça vaut, c’est moins spectaculaire. On aurait pu faire du tam-tam avec des milliards, etc. Mais à aucun moment, il n’y a un décalage entre ce qui est promis et livré », a-t-il insisté.

« Mieux que ça. […] Parfois, il est arrivé au président de la République d’annoncer des équipements militaires sensibles qui [avaient été] déjà livrés. On a attendu que la logistique soit faite pour les annoncer. On est les seuls à faire ça. Jusqu’à présent, ça a fait notre réputation de gens fiables […], en tout cas à Kiev », a expliqué le ministre.

Un autre point qu’il a souligné est la volonté de fournir des capacités « utiles » et « efficaces » aux forces ukrainiennes. C’est la raison pour laquelle il n’est pas question de leur livrer des Mirage 2000D.

« Sur la question de l’aviation, de manière globale, on cherche là aussi à faire de l’utile. Pour être transparent, je ne l’ai jamais dit publiquement, à la livraison de Mirage 2000, dont on en a peu et dont le MCO [maintien en condition opérationnelle] présenterait des défis terriblement compliqués, on a préféré démarrer la formation généraliste de pilotes », a développé M. Lecornu.

« Mais on ne s’est pas arrêté là », a-t-il poursuivi. « On a préféré mettre de l’argent et de l’ingénierie sur l’adaptation de bombes dites A2SM [Armement Air Sol Modulaire] sur des générations d’avions soviétiques Sukhoï [Su-24 « Fencer »] et MiG [MiG-29 « Fulcrum »] que les Ukrainiens ont déjà plutôt que de faire un coup uniquement autour des Mirage », a détaillé M. Lecornu.

Le dossier « Mirage 2000 » est-il clos, alors que certains responsables militaires ukrainiens ont récemment explicitement évoqué une possible livraison de ce type d’avion de combat ?

« Est-on complétement fermé à la question des Mirage ? Le président a toujours dit : ‘il n’y a pas de tabou’. […] J’essaie, à chaque fois, de faire des propositions qui sont, en mauvais français, des ‘game changers’ sur le terrain militaire. Les cinquante bombes A2SM, [livrées] tous les mois et désormais compatibles avec des avions de classe soviétique, ça, pour le coup, c’est un ‘game changer’. Après, sur l’aviation, on a des discussions. Mais ce n’est jamais le point central sur lequel nous sommes attendus », a conclu M. Lecornu.

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