La Turquie, la Roumanie et la Bulgarie s’unissent pour lutter contre les mines navales en mer Noire

Fin décembre, deux marins ont été blessés après que le Vyssos, un vraquier battant pavillon panaméen et exploité par un armateur grec, a heurté une mine alors qu’il faisait route vers un port ukrainien pour récupérer une cargaison de céréales. Évidemment, la présence de tels engins dans les eaux de la mer Noire ne peut que perturber le trafic maritime commercial… et donc les exportations des productions agricoles de l’Ukraine.

Pour rappel, en juillet 2023, la Russie n’a pas prolongé l’accord qui, signé un an plus tôt sous l’égide de la Turquie et des Nations unies, était censé permettre à Kiev d’exporter ses céréales via la mer Noire. Aussi a-t-elle fait savoir qu’elle considérerait tout navire se dirigeant vers un port ukrainien comme un « potentiel bateau militaire ». Si elle s’est livrée à plusieurs démonstrations de force [comme, par exemple, en coulant une ancienne corvette ukrainienne lors d’un exercice], la marine russe n’a cependant pas été mesure d’empêcher le trafic commercial. Tel est en effet le constat établi par le centre d’expertise de la Marine nationale dédié à la sûreté maritime [MICA Center] dans son dernier rapport.

« Le trafic maritime commercial, perturbé depuis le début du conflit, a éprouvé de nouvelles difficultés après que l’initiative céréalière de la mer Noire a pris fin, en juillet 2023. L’annonce des forces armées de la Fédération de Russie de vouloir prendre pour cible tous les navires entrant ou sortant des ports ukrainiens n’a toutefois pas été suivie d’effet. […] Aucun incident n’a été signalé dans le golfe d’Odessa et plusieurs navires de commerce ont pu entrer et sortir des ports de l’Ukraine sans être inquiétés », affirme en effet le MICA Center.

Quant aux mines, contrairement à ce que l’on pourrait sans doute penser, elles n’ont pas forcément été mouillées par la marine russe.

« En début de conflit, pour protéger les approches d’Odessa, les forces ukrainiennes ont mouillé des mines navales, dont certaines sont parties à la dérive. En 2023, 14 mines [contre une vingtaine en 2022] ont été détectées le long des côtes de l’Ukraine, de la Roumanie, de la Turquie et de la Géorgie. Cinq d’entre elles ont été neutralisées », lit-on dans le rapport.

En attendant, ces mines ne posent pas seulement des problèmes de sécurité à l’Ukraine ou à la Russie… Tous les pays riverains de la mer Noire sont concernés. D’où l’initiative que viennent de prendre la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie.

En août dernier, Ankara avait annoncé la création d’un « groupe naval de lutte contre les mines en mer Noire » [MCM Black Sea], en réponse à la décision russe de ne pas prolonger l’accord céréalier. Ce 11 janvier, celui-ci vient d’être officiellement rejoint par la Roumanie et la Bulgarie, un accord ayant été signé en ce sens par les ministres de la Défense des trois pays concernés [qui, au passage, font tous partie de l’Otan].

« Nous avons décidé conjointement de signer un protocole entre nos trois pays afin de lutter plus efficacement contre le danger des mines en mer Noire en renforçant notre coopération et notre coordination existantes », a déclaré Yasar Güler, le ministre turc de la Défense, précisant que les négociations sur cet accord avaient été lancées en septembre.

« Cette initiative ne sera ouverte qu’aux navires des trois pays alliés riverains », a ajouté M. Güler. En clair, en raison des restrictions de navigation dans les détroits reliant la Méditerranée à la mer Noire imposées par Ankara en vertu de la Convention de Montreux, aucun chasseur de mines appartenant un membre de l’Otan extérieur à la région ne pourra venir renforcer cette initiative « MCM Black Sea ».

Cependant, dans un communiqué publié la veille, le ministre roumain de la Défense, Angel Tîlvăr, n’avait pas écarté une implication des « groupes maritimes permanents de l’Otan », comme le Standing NATO Mine Countermeasures Group 2 [SNMCMG2]. Mais tant que les combats dureront en Ukraine, un tel renfort ne sera pas possible. En revanche, le déploiement d’avions de patrouille maritime pourra être envisagé. D’ailleurs, la Marine nationale a déjà envoyé des Atlantique 2 en Roumanie pour, justement, repérer les mines susceptibles de représenter un danger pour la navigation maritime.

Reste que cette initiative « MCM Black Sea » pourrait être mal perçue à Moscou. Aussi, les trois pays impliqués ont pris soin de souligner que leur opération conjointe, « totalement pacifique », ne sera « pas dirigée contre un pays quelconque ». Elle vise « à contribuer à la sécurité de la navigation en mer Noire » et elle a été « créée uniquement à des fins défensives », a fait valoir Ankara.

La direction des opérations sera assurée à tour de rôle pour des périodes de six mois. Au niveau capacitaire, la marine turque paraît la mieux lotie dans la mesure où elle aligne onze chasseurs de mines, dont cinq ont été acquis d’occasion auprès de la France à la fin des années 1990 [ceux de la classe Circé]. Plus récents et de conception allemande, les six autres appartiennent à la classe « Aydın ».

La force navale roumaine dispose officiellement de six chasseurs de mines, après l’admission récente au service actif du « Sublocotenent Ion Ghiculescu », utilisé autrefois par la Royal Navy sous le nom de HMS Blyth. À noter que le Lt. Dimitrie Nicolescu [classe Musca] a été endommagé par un mine en septembre 2022.

Enfin, la marine bulgare est dotée de trois chasseurs de mines tripartite [CMT] et de neuf dragueurs de mines d’origine soviétique [six appartiennent à la classe Olia et trois à la classe Sonya]. Mais trois d’entre eux ne seraient plus opérationnels.

Photo : Chasseur de mines TCG Anamur de la marine turque