Le dernier missile intercontinental à combustion solide nord-coréen a-t-il été conçu grâce à une aide russe?

Malgré les sanctions économiques prises à son égard par le Conseil de sécurité des Nations unies [et donc avec l’assentiment de la Chine et de la Russie, qui n’ont pas fait usage de leur droit de veto], la Corée du Nord a accompli des progrès significatifs au cours de ces dernières années dans le développement de ses missiles balistiques, au point de disposer désormais des Hwasong-17 et Hwasong-18, deux engins intercontinentaux.

Cela étant, ayant déjà fait l’objet de deux tirs [en avril et en juillet], ce qui a permis d’avoir une idée de ses performances, le Hwasong-18 marque une avancée majeure puisqu’il s’agit d’un engin à combustion solide. Or, jusqu’à présent, la Corée du Nord ne maîtrisait pas une telle technologie, tous ses missiles balistiques étant alors à combustion liquide.

Or, un missile à combustion solide présente quelques avantages par rapport à ceux utilisant du propergol liquide : il nécessite une logistique beaucoup moins lourde et permet ainsi de gagner en réactivité, son temps de lancement étant considérablement réduit . En outre, le combustible solide peut être stocké pendant de longues périodes sans s’altérer.

Les premiers rapports ayant fait état des efforts de la Corée du Nord pour développer un missile à combustion solide furent publiés en 2018. Cette année-là, l’imagerie satellitaire avait permis de déterminer que Pyongyang menait des travaux en vue de produire « un et peut-être deux missiles balistiques intercontinentaux [ICBM] à combustible solide dans le centre de recherche de Sanumdong ».

Et il fut également avancé que la chantier d’une usine de fabrication de missiles balistiques à combustible solide et de véhicules d’entrée pour les ogives, était sur le point de s’achever à Hamhun.

Pour autant, la question est de savoir si le développement du Hwasong-18 a bénéficié ou non d’une aide extérieure. Lors d’une récente audition au Sénat, le directeur des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables [DAM/CEA], Vincenzo Salvetti, a déclaré que si la Corée du Nord « a la capacité à concevoir une charge nucléaire », elle « ne le fera probablement pas seule ». Cela vaut-il aussi pour les missiles?

Professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology [MIT], Theodore Postol s’est dit convaincu que la mise au point du missile Hwasong-18 avait bénéficié d’une « coopération technique avec la Russie ». C’est en effet la conclusion à laquelle il est arrivé dans un rapport publié le 18 août par le Centre d’études stratégiques et internationales [CSIS], basé à Washington.

« L’apparition soudaine » de telles capacités avancées en Corée du Nord est « difficile à expliquer sans la coopération du gouvernement russe et de ses scientifiques », estime en effet le professeur Postol. Et l’examen du profil du Hwasong-18 suggère, selon lui, que Moscou a « peut être décidé » de transferer un missile balistique intercontinental [ICBM] à propergol solide de 50 tonnes, à savoir le Topol-M [code Otan : SS-27 « Sickle B1 »]. Celui-ci a été le premier missile sol-sol développé par la Russie après l’implosion de l’Union soviétique.

« Les dimensions et les données de trajectoire de vol rapportées du Hwasong-18 sont presque identiques à celles de l’ICBM russe Topol-M. Ce missile est équipé de contre-mesures pour pénétrer les défenses antimissiles balistiques américaines existantes et viser des cibles sur le continent américain avec des armes thermonucléaires », résume le rapport du CSIS. Et de souligner qu’un transfert d’un tel missile ou de sa technologie connexe de la Russie vers la Corée du Nord « violerait un protocole international non écrit visant à la fois à s’abstenir et à empêcher le transfert de capacités de frappe nucléaire à d’autres parties ».

Un autre élément qui plaiderait en faveur de cette hypothèse est le taux de réussite des essais de 100 % du Hwasong-18, ce qui suggère que ce missile repose sur une technologie éprouvée. Et, visiblement, la Corée du Nord était très confiante au moment du premier tir… dans la mesure où si celui-ci avait échoué, des débris seraient tombés sur le Japon, avec toutes les complications diplomatiques que cela aurait engendré.

Cependant, les conclusions de ce rapport sont contestées par d’autres analystes, dont ceux du Center for Non-proliferation Studies [CNS], rapporte l’agence Reuters. Selon eux, le Hwasong-18 présenterait plusieurs différences notables par rapport au Topol-M. Toutefois, le missile nord-coréen « s’inspire clairement » du modèle russe, « tout comme de nombreux autres engins nord-coréens ».

« Nous n’excluons pas la possibilité que des entités russes aient aidé Pyongyang dans le développement de ce missile », affirment les chercheurs du CNS. Mais « certains des systèmes du Hwasong-18, en fait, ressemblent davantage aux armes chinoises, et la Corée du Nord développe publiquement des missiles à combustible solide depuis au moins 2017 », ont-ils ajouté.

Reste que le Hwasong-18 n’est pas le premier missile nord-coréen à présenter des similitudes troublantes avec un modèle russe. Tel est en effet le cas du KN-23, qui ressemble étrangement au 9K720 Iskander russe [code Otan : SS-26 Stone], avec la même capacité à suivre une trajectoire semi-balistique, ce qui permet de le manoeuvrer pour déjouer les défenses aérienne adverses.

Si la Russie et la Corée du Nord parlent de renforcer leurs relations bilatérales jusqu’à éventuellement établir un « partenariat stratégique« , il n’est pas impossible que les ingénieurs nord-coréens aient bénéficié de savoir-faire clés grâce à l’espionnage informatique.

Ainsi, la semaine passée, Reuters a avancé que des pirates nord-coréens avaient réussi à s’introduire dans le réseau informatique du bureau d’étude russe NPO Mashinostroyeniya [ou NPO Mash], spécialiste de la conception de missiles. « Dans les mois qui ont suivi l’effraction numérique, Pyongyang a annoncé plusieurs développements dans son programme de missiles balistiques interdits, mais il n’est pas clair si cela était lié », a relevé l’agence de presse britannique.

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