La Russie cherche à dissuader le trafic maritime en mer Noire en coulant l’ex-corvette ukrainienne « Ternopil »

Depuis le 17 juillet, l’accord qui avait été négocié l’an passé sous l’égide de la Turquie et des Nations unies afin de permettre à l’Ukraine d’exporter ses céréales via ses ports de la mer Noire n’est plus en vigueur. Après avoir accepté de le prolonger pour une durée de deux mois en mai dernier, la Russie a décidé de ne pas le reconduire à nouveau. Du moins tant que ses revendications n’auront pas été satisfaites.

« Nous examinerons la possibilité de retourner [à l’accord], mais à une condition : si tous les principes de la participation de la Russie à cet accord sont pris en compte et réalisés sans exception et dans leur totalité », a en effet affirmé Vladimir Poutine, le président russe.

Ainsi, Moscou exige notamment que ses exportations agricoles ne soient plus entravées par les sanctions, que la banque Rosselkhozbank, spécialisée dans l’agriculture, soit reconnectée au système bancaire international Swift et que le pipeline reliant la ville russe de Togliatti au port ukrainien d’Odessa et utilisé pour exporter de l’ammoniac [essentiel à la production d’engrais] soit remis en service.

Grâce à cet accord, l’Ukraine a pu exporter 33 millions de tonnes de denrées alimentaires vers 45 pays, grâce à plus de 1000 cargos. Aussi, au-delà des aspects sociaux liés à la hausse du prix du quintal de blé, l’une des conséquence de son non-renouvellement est que, désormais, la Russie considère tous les navires se dirigeant vers un port ukrainien de la mer Noire comme de « potentiels bateaux militaires », quel que soit leur pavillon. En outre, la ville portuaire d’Odessa est depuis régulièrement prise pour cible par les forces russes.

Et c’est donc dans ce contexte que la marine russe a effectué une démonstration de force en menant des manoeuvres navales impliquant des tirs réels en mer Noire.

« Au cours de l’exercice conjoint, les navires et l’aviation de la flotte [de la mer Noire] se sont entraînés à isoler une zone temporairement fermée à la navigation et ont également pris un ensemble de mesures pour appréhender un faux navire intrus », a fait savoir le ministre russe de la Défense, le 21 juillet.

La zone en question était située entre les côtes ukrainiennes et celles de la Crimée [annexée par la Russie]. Quant au « faux navire intrus », il s’agissait de la corvette de lutte anti-sous-marine ukrainienne « Ternopil », capturée en 2014 par la marine russe alors qu’elle avait été admise au service actif huit ans plus tôt. Et celle-ci a donc fait l’objet d’un « SINKEX », c’est à dire qu’elle a servi de cible à la corvette Ivanovets [classe Tarantul-III].

Ainsi, selon des images diffusées par le ministère russe de la Défense, la corvette Ternopil a été touchée par des missiles anti-navires, présentés comme étant des P-270 Moskit [code Otan : SS-N-22 « Sunburn »]. D’une portée pouvant aller jusqu’à 160 km [selon les versions], ces engins à guidage inertiel et radar [en phase d’approche] peuvent voler à Mach 3, à 20 mètres au-dessus de la surface de l’eau. Ils peuvent emporter une charge conventionnelle ou nucléaire.

Cela étant, et comme l’a souligné une note du Centre d’études stratégiques de la Marine [CESM], la Russie ne peut pas imposer à l’Ukraine de blocus « au sens des conditions fixées par le droit de la guerre navale » puisqu’elle dit mener une « opération militaire spéciale » [et non pas une guerre]. En outre, elle n’en a pas les moyens car « ce mode d’action se révèle contraignant [permanence de navires de guerre pour contrôler des zones étendues, nécessité
d’arraisonner chaque contrevenant pour envoyer une équipe de visite inspecter sa cargaison, etc.] » et ses unités seraient exposées au contre-mesures ukrainiennes [mines, batteries côtières, drones].

Aussi, poursuit le CESM, la Russie a « une autre tactique ». En considérant comme « une menace terroriste tout navire marchand navigant dans [une] zone déclarée interdite, elle aurait fait un usage indiscriminé de la force à leur encontre dès le début du conflit sans assumer officiellement leur ciblage systématique », explique-t-il. Et d’ajouter : « Ces attaques se sont révélées limitées [une douzaine de navires touchés en mer et à quai] mais leur effet dissuasif sur le trafic commercial a été très important ».

De son côté, accusant Moscou d’avoir « transformé la mer Noire en zone dangereuse », Kiev n’a pas beaucoup d’options pour faire face à cette situation. Le 20 juillet, son ministère ukrainien de la Défense a prévenu à son tour que « tous les navires naviguant dans les eaux de la mer Noire en direction des ports maritimes de la Russie et des ports maritimes ukrainiens situés sur le territoire temporairement occupé par la Russie pourront être considérés par l’Ukraine comme transportant des marchandises militaires avec tous les risques associés ».

Par ailleurs, Kiev a demandé un mandat des Nations unies pour établir des « patrouilles navales militaires avec la participation de pays frontaliers de la mer Noire tels que la Turquie et la Bulgarie ».

Mais cet appel risque de rester sans suite : membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie a les moyens de s’y opposer… Et, conformément à la convention de Montreux, le trafic militaire dans les détroits turcs reliant la Méditerranée à la mer Noire est suspendu jusqu’à nouvel ordre.

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