Pour le moment, la Turquie bloque l’adoption des nouveaux plans défensifs de l’Otan

En 2019, la Turquie avait bloqué l’adoption d’un plan de l’Otan visant à renforcer la défense des États baltes et de la Pologne , au motif du refus de certains alliés de reconnaître la nature « terroriste » des milices kurdes syriennes, qui venaient de tenir un rôle cruciale dans la défaite de l’État islamique [EI ou Daesh] en Syrie, en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK].

En outre, et au-delà de la question syrienne, d’autres contentieux opposaient alors la Turquie à d’autres membres de l’Otan, dont son achat de systèmes russes de défense aérienne S-400 ou encore l’accord qu’elle avait signé avec le gouvernement d’union national libyen au sujet de ses frontières maritimes, avec, en toile de fond, l’exploitation de gaz naturel en Méditerranée orientale.

Finalement, le veto turc fut levé en juin 2020, grâce à un « compromis » trouvé avec Ankara. Compromis au sujet duquel aucun détail ne fut donné à l’époque, le ministre lituanien des Affaires étrangères, qui était alors Linas Linkevicius, ayant seulement salué « l’approche constructive de la Turquie » dans ce dossier.

Quatre ans plus tard, et afin de prendre en compte la nouvelle donne engendrée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Otan s’apprête à adopter ses premiers plans de défense régionaux « à grande échelle » depuis la fin de la Guerre Froide.

« La différence fondamentale entre la gestion de crise et la défense collective est la suivante : ce n’est pas nous mais notre adversaire qui détermine le calendrier. […] Nous devons nous préparer au fait qu’un conflit peut se présenter à tout moment », a ainsi fait valoir l’amiral néerlandais Rob Bauer, le président du Comité militaire de l’Otan, en mai dernier.

Évidemment, il ne s’agit pas de reprendre les plans qui étaient en vigueur avant l’implosion de l’Union soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie étant donné que l’Otan s’est depuis élargie [elle compte désormais 31 membres] et que les « ennemis » d’hier sont les alliés d’aujourd’hui. Et si, par le passé, l’Allemagne était considérée comme devant être la zone principale de confrontation, ce n’est plus le cas maintenant. Désormais, il est surtout question de conflits régionalisés qui nécessiteraient des déploiements rapides de forces.

Comptant plusieurs milliers de pages, ces plans défensifs sont confidentiels. Cependant, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a précisé qu’ils pourraient, le cas échéant, mobiliser jusqu’à 300’000 militaires, « déployables sur court préavis et appuyés par d’importantes capacités aériennes et maritimes ». Il s’agit de « défendre chaque centimètre carré du territoire de l’Alliance face à toute menace », a-t-il dit.

« Pour la première fois depuis la Guerre froide, nous connectons pleinement la planification de notre défense collective avec la planification de nos forces, de nos capacités et de notre commandement et contrôle », a encore précisé M. Stoltenberg.

Normalement, ces nouveaux plans de défense doivent être officiellement adoptés lors du prochain sommet de l’Otan, qui se tiendra à Vilnius, les 11 et 12 juillet. Sauf que, d’après l’agence Reuters, ils ne font pas, pour le moment, l’objet d’un consensus entre les Alliés… puisque la Turquie s’y oppose pour le moment. C’est, en tout cas, ce qui est ressorti de la dernière réunion des ministres de la Défense des pays membres, le 16 juin.

« La Turquie a bloqué l’approbation du libellé des emplacements géographiques, y compris en ce qui concerne Chypre », a expliqué une source diplomatique à l’agence de presse britannique.

La référence à Chypre a de quoi surprendre… Car l’île, coupée en deux depuis l’intervention militaire turque de 1974, ne fait pas partie de l’Otan. Cependant, elle accueille deux bases militaires britanniques [Akrotiri et Dhekelia], lesquelles occupent une position stratégique majeure en Méditerranée orientale.

Par ailleurs, la Turquie a aussi récemment dénoncé le renforcement de la coopération entre l’Union européenne et l’Otan… en raison de considérations politiques sur le dossier chypriote.

En outre, le fait que ces plans défensifs puissent aussi concerner la Suède est sans doute une autre raison du blocage turc… étant donné qu’Ankara s’oppose toujours à son admission au sein de l’Otan.

« La Suède a des attentes, mais cela ne signifie pas que nous les satisferons », a affirmé Recep Tayyip Erdogan, le président turc, le 16 juin. « Pour que nous puissions nous conformer à ces attentes, il faut tout d’abord que la Suède fasse sa part », a-t-il ajouté, dans une allusion à l’attitude des autorités suédoises à l’égard du PKK, du PYD [son équivalent syrien] et du Fetö, accusé d’avoir fomenté une tentative de coup d’État en juillet 2016.

Cela étant, bien que ces plans défensifs n’ont pas été approuvés lors de la réunion du 16 juin, les États-Unis espèrent qu’un accord sera trouvé d’ici le sommet de Vilnius. C’est, en tout cas, ce qu’a confié un haut responsable américain à l’agence Reuters. Cela supposera probablement quelques concessions à la Turquie qui, en raison du contrôle qu’elle exerce sur les détroits reliant la Méditerranée à la mer Noire, reste indispensable à l’Otan même si, ces dernières années, elle a renforcé ses relations avec la Russie… au point de refuser de sanctionner cette dernière pour l’invasion de l’Ukraine, contrairement aux autres alliés.

« Il y a une assez forte dynamique dans la réalisation des projets communs [entre Moscou et Ankara] et nous espérons que cette dynamique sera maintenue, les objectifs sont très, très ambitieux », a d’ailleurs fait valoir Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, au lendemain de la réélection de M. Erdogan, en mai dernier.

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