Le projet de Loi de programmation militaire fait l’impasse sur le renouvellement partiel des Rafale Marine
Dans un entretien accordé au quotidien Ouest France, en novembre dernier, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait affirmé que la Marine nationale devait avoir la dimension de la surface maritime française, l’une des « plus importantes du monde ». Et d’ajouter : « Tout en gardant des instruments qui nous permettent de mener des opérations navales classiques, il nous faut aussi être modernes, en disposant de drones sous-marins, en nous appuyant sur le spatial ».
De tels propos suggéraient que des moyens supplémentaires allaient être accordés à la Marine nationale dans le cadre du projet de Loi de programmation militaire 2024-30 alors en gestation. Finalement, dévoilé le 4 avril, celui-ci prévoit d’étaler certains programmes, comme ceux des nouveaux patrouilleurs océaniques et des frégates de défense et d’intervention [FDI]. Le nombre de navires dits de premier restera à quinze, alors que trois frégates de plus n’auraient pas été de trop.
Cela étant, le renouvellement des frégates de surveillance, affectées outre-Mer, sera engagé, avec la livraison d’un premier navire issu du programme « European Patrol Corvette » d’ici 2030. Et le Porte-avions de nouvelle génération a été confirmé, avec l’objectif de l’admettre au service en 2038.
Quant à l’aéronautique navale, le rapport mis en annexe du projet de LPM ne dit pas grand chose à son sujet. Ainsi, la composante « hélicoptères » n’est pas évoquée… mais il suggère toutefois qu’elle devra patienter pour obtenir ses H160 « Guépard », étant donné que l’armée de Terre devrait être la première servie et que seulement 20 exemplaires seront livrés d’ici 2030 [et 70 en 2035], sur les 169 prévus. La flotte intérimaire composée de six H-160 et de douze Dauphin N3 aura de beaux jours devant elle.
S’agissant des nouveaux avions de surveillance maritime, il est question d’aligner huit Falcon Albatros en 2030 [contre 13 initialement envisagés] aux côtés de quatre Falcon 50M. La cible finale – soit 12 appareils – devrait être atteinte à l’horizon 2035. Échéance à laquelle le remplacement des avions de patrouille maritime Atlantique 2 Standard 6 sera amorcé, avec la réception de trois appareils issus du programme PATMAR futur.
Mais le projet de LPM 2024-30 ne dit rien sur un dossier pourtant crucial pour l’avenir du groupe aérien embarqué [GAé] du porte-avions Charles de Gaulle. S’il confirme l’achat de trois avions de guet aérien E-3D Hawkeye [le processus d’acquisition est d’ailleurs en cours], il ne prévoit cependant pas le renouvellement d’une partie des 41 Rafale Marine. Et cela, malgré es inquiétudes exprimées à au moins deux reprises par l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM].
En effet, la Chasse embarquée a reçu ses premiers Rafale M il y maintenant plus de vingt ans… alors que l’armée de l’Air & de l’Espace a mis les siens en service en 2006. Mais celle-ci obtiendra des appareils neufs, afin de compenser ceux prélevés dans son inventaire pour honorer les contrats signés avec la Grèce et la Croatie.
« La Marine est […] la première à avoir eu à disposition des avions Rafale, elle sera logiquement la première à les perdre par l’usure du temps », fit remarquer l’amiral Vandier, dans les pages de La Tribune, en juillet 2021. Elle « garde ses avions depuis le début de leur mise en service et n’a pas eu d’avions neufs. Toutes la mise à niveau de notre flotte de Rafale s’effectue par retrofit », avait-il ajouté, en mettant en garde contre de possibles « effets de ciseau » à l’horizon 2030/35, la « conjonction des rétrofits et la disparition des avions les plus anciens » pouvant « aboutir à un problème de format qui est de 42 appareils ».
Dans son livre « Le groupe aéronaval depuis la fin de la Guerre Froide« , le capitaine de vaisseau Thibault Lavernhe résume les données du problème.
« Les 41 Rafale Marine [RFM] en parc en 2022 présentent […] un temps de service en moyenne plus avancé que ceux de l’armée de l’Air & de l’Espace, sans compter l’usure liée à leur emploi opérationnel depuis un porte-avions [en environnement agressif et avec des contraintes mécaniques importantes à l’appontage et au catapultage]. Pour rester capable d’aligner 24 RFM sur le Charles de Gaulle [c’est à dire deux flottilles] tout en honorant les exigences d’entraînement et de formation du groupe aérien par ailleurs, un renouvellement partiel du parc des RFM sera donc nécessaire dans un avenir proche. Là aussi, le RFM se trouve dans une position comparable à celle des Super Étendard dans les années 1980 », écrit-il.
Aussi, lors des auditions parlementaire de l’autonme dernier, l’amiral Vandier a plaidé pour que la Marine nationale soit la première à obtenir l’avion de combat de nouvelle génération [New Generation Fighter] issu du programme SCAF [Système de combat aérien du futur]. Si celui-ci a pu passer à la phase 1B après des mois de discussions entre les industriels impliqués, il n’en reste pas moins que sa suite n’est pas assurée. Cela étant, le projet de LPM 2024-30 prévoit la livraison d’un « démonstrateur » d’ici 2030… Mais il ne dit rien pour l’échéance 2035.
Cela étant, peut-être qu’un renouvellement partiel de la flotte de Rafale M passera par l’Inde, qui pourrait en acquérir une vingtaine d’exemplaires pour l’INS Vikrant, son dernier porte-avions. L’avion de Dassault Aviation est en balance avec le F/A-18 Super Hornet de Boeing. Récemment, le chef d’état major de l’Indian Navy, l’amiral R. Hari Kumar, a déclaré que, après des essais et des évaluations, les deux appareils répondaient aux besoins exprimés… et que le choix de l’un ou de l’autre serait avant tout politique.