Un rapport parlementaire britannique critique sévèrement l’intervention en Libye de 2011
« On a envoyé les soldats français au Mali. Peut-être était-ce nécessaire mais sur un espace grand comme trois fois la France, envoyer 3.000 soldats français pour rétablir l’ordre… Je me demande encore quelle est leur mission », a affirmé l’ex-président Sarkozy, lors de l’Émission politique de France2, le 15 septembre.
Eh bien la mission des soldats français dans la bande sahélo-saharienne (BSS), qui encore plus large que le Mali, est de perturber les mouvements des groupes jihadistes qui opérent dans cette zone et qui, pour la plupart, ont trouvé refuge dans le sud de la Libye, qualifié de « hub terroriste » par Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense.
Et si M. Sarkozy, candidat à un nouveau mandat, s’était intéressé à la question, il aurait pu prendre connaissance des propos tenus en décembre 2014 par Idriss Déby Itno, le président tchadien. « La Libye est devenue le terreau du terrorisme et de tous les malfaiteurs. Le Mali, c’est la conséquence directe de la destruction et du désordre libyen, Boko Haram aussi », avait-il lâché lors du premier Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique. Et d’insister : « Ce qu’il n’y a pas eu, c’est le service après-vente. »
Cela étant, sur le plateau de France 2, M. Sarkozy a vivement défendu l’intervention militaire en Libye, lancée en mars 2011 alors que le pays était de basculer dans la guerre civile. Pour cela, à l’initiative de la France et du Royaume-Uni, le Conseil de sécurité des Nations unies avait voté la résolution 1973, laquelle donnait le feu vert pour instaurer une zone d’exclusion aérienne. Cette opération, appelée Unified Protector après que son commandement fut confié à l’Otan, apporta finalement un soutien direct aux rebelles libyens. La suite est connue : le 20 octobre, le colonel Kadhafi fut tué à Syrte, ce qui ouvrit la voie à un nouveau régime.
Précisément, cette intervention militaire commença le 19 mars 2011, avec une première frappe effectuée par des Rafale dans le secteur de Benghazi, principale ville rebelle sur laquelle pesaient, avait-il été dit à l’époque, de lourdes menaces. C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé M. Sarkozy : « Nous sommes intervenus pour défendre la ville de Benghazi, que Khadafi menaçait de détruire. J’ai vu pour la première fois les jeunes Arabes nous dire ‘merci’ aux Français et non pas ‘mort aux juifs’ ou mort aux Américains. »
Pour l’ancien président, ne pas intervenir aurait été « une erreur diplomatique ». Et d’ajouter : « En 2012, il y a eu des élections législatives en Libye avec plus de 60% de participations. Au final, les modérés ont gagné. C’était une victoire. Mais après, nous avons laissé tomber la Libye pour s’occuper d’autre chose alors qu’il fallait continuer à les aider. »
Il est vrai que, en 2012, la Libye est sortie des écrans radars… Et que la menace jihadiste au Mali a pris le dessus. Pour autant, avec des « si » on mettrait Paris en bouteille et la situation libyenne s’est considérablement dégradée, avec l’existence de deux gouvernements rivaux et la présence de groupes jihadistes, dont l’État islamique.
Aussi, pour un rapport de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des communes britanniques [.pdf], dominée par les conservateurs (donc, issus du même parti que David Cameron, qui était aux affaires en 2011), le mieux aurait été de ne pas intervenir en Libye.
Ainsi, ce rapport, très sévère, accuse l’ancien Premier ministre britannique de ne pas avoir eu de « stratégie cohérente » et d’être le « responsable final » de la situation en Libye. D’autant plus, estiment ses auteurs, qu’un « engagement politique aurait pu permettre de protéger la population, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye. » Et d’ajouter que Londres « n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires. »
Cela étant, cette intervention militaire a été lancée pour protéger les civils libyens d’une menace imminente. Ce que le rapport parlementaire britannique met en doute.
« Une analyse ultérieure a suggéré que la menace immédiate contre les civils était surestimée publiquement et que la reconquête des villes n’a pas donné lieu à des pertes civiles massives », affirme le rapport, avant de souligner « l’incapacité » britannique à « analyser la nature de la rébellion en Libye », à cause de « renseignements incomplets », d’une « connaissance institutionnelle insuffisante » et du fait d’avoir été « pris dans l’enchaînement des évènements ».
En outre, il est aussi reproché à l’ex-locataire du 10 Downing Street de ne pas avoir suffisamment pris en compte le fait que de nombreux Libyens avaient pris part aux combats en Irak et en Afghanistan dans les rangs d’al-Qaïda. En clair, il aurait dû se douter que des groupes jihadistes allaient profiter de la rébellion libyenne pour avancer leurs pions.
Cependant, il convient de nuancer cette accusation. Nul ne peut dire comment les choses auraient tourné sans l’intervention militaire de 2011. Il est possible qu’il y ait eu une situation – moins complexe – comparable à celle que l’on voit actuellement en Syrie
Si David Cameron en prend pour son grade, l’ex-président Sarkozy n’est pas non plus ménagé par ce rapport parlementaire. « D’autres facteurs, en plus de la protection civile, ont semblé influencer la politique française. Des exilés libyens basés en France ont exercé une influence en suscitant des craintes au sujet d’un massacre possible à Benghazi », relève-t-il.
Le document rapporte en outre des propos de Sidney Blumenthal, un proche d’Hillary Clinton, qui dirigeait la diplomatie américaine à l’époque, qui a eu accès à une conversation entre des responsables des services de renseignement français et la secrétaire d’État.
Et il en ressort que les motivations du président Sarkozy étaient « d’obtenir une plus grande part de la production de pétrole en Libye, d’accroître l’influence française en Afrique du Nord, d’améliorer sa situation politique intérieure en France, de fournir aux armées françaises l’occasion de réaffirmer leur position dans le monde et de répondre à la préoccupation de ses conseillers sur les projets à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante dans les pays africains francophones. »