La ministre allemande de la Défense s’attire les foudres de la Russie pour ses propos sur la dissuasion nucléaire

La semaine passée, lors d’une réunion des ministres de la Défense de ses pays membres, l’Otan a adopté un nouveau « plan directeur » visant à parer toute attaque simultanée potentielle dans les régions de la Baltique et de la mer Noire, ce qui passe, selon Jens Stoltenberg, son secrétaire général, par une amélioration « significative » des défenses aériennes, un renforcement des capacités conventionelles, avec des avions de cinquième génération, un meilleur état de préparation et une dissuasion nucléaire « efficace ».

Évidemment, de telles mesures, décrites comme constituant un « ensemble équilibré », visent à répondre à la menace « croissante » des systèmes de missiles russes, comme les Novator 9M729 [ou SSC-8] ou les Iskander. « Nous n’imiterons pas le comportement déstabilisateur de la Russie. Et nous n’avons aucune intention de déployer de nouveaux missiles nucléaires terrestres en Europe », a insisté M. Stoltenberg.

Si elle a renforcé sa présence militaire dans les pays baltes et la Pologne, avec notamment des bataillons multinationaux, afin de dissuader la Russie, l’Otan a en fait de même en mer Noire.

Cette région « est d’une importance stratégique pour l’Otan. Trois Alliés sont des États riverains [la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie] et nous avons deux partenaires très proches, la Géorgie et l’Ukraine. Et nous avons vu l’annexion illégale de la Crimée et nous avons vu le comportement agressif de la Russie? Nous y avons donc accru notre présence, dans les airs, sur terre et en mer, et nous évaluons constamment ce que nous pouvons faire de plus, en partie en augmentant notre présence mais aussi en partie en augmentant notre capacité à déployer rapidement des forces si nécessaire », a expliqué M. Stoltenberg.

Ces mesures ont été adoptées alors que les relations entre l’Otan et la Russie sont au plus bas, Moscou ayant décidé de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, sa représentation auprès de l’Alliance à Bruxelles. Une décision prise après le retrait de l’accréditation de huit de ses membres, accusés d’être des « agents de renseignement non déclarés ».

C’est donc dans ce contexte qu’Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande [sortante] de la Défense, a affirmé que l’Otan serait prête à recourir à la dissuasion nucléaire en cas d’attaque russe contre l’un des membres de l’Otan.

« Nous devons faire comprendre très clairement à la Russie que, en fin de compte – et c’est aussi la doctrine de dissuasion – nous sommes prêts à utiliser de tels moyens pour que cela ait un effet dissuasif en amont et que personne n’ait l’idée, par exemple, dans les zones des États baltes ou en mer Noire, d’attaquer les partenaires de l’Otan », a en effet déclaré Mme Kramp-Karrenbauer, lors d’un entretien donné à la radio Dlf.

« C’est l’idée principale de l’Otan, de cette alliance, et elle sera adaptée au comportement actuel de la Russie. Nous constatons notamment des violations de l’espace aérien au-dessus des États baltes, mais également une augmentation des attaques autour de la mer Noire », a encore fait valoir la ministre allemande.

Les propos de Mme Kramp-Karrenbauer ont d’abord suscité la controverse dans son propre pays. Chef des sociaux-démocrates [qui dirigeront la prochaine coalition gouvernementale] au Bundestag, Rolf Mützenich les a ainsi qualifiés d' »irresponsables ». Et d’ajouter : « Je ne sais pas si la ministre a également pensé aux armes nucléaires encore stockées en Allemagne ».

Pour rappel, Berlin fait partie des plans nucléaires de l’Otan, des bombes nucléaires tactique B-61 étant stockées à Büchel. C’est d’ailleurs pour cette raison que des chasseurs-bombardiers F/A-18 Super Hornet doivent être acquis pour remplacer les PANAVIA Tornado de la Bundeswehr, affectés à cette mission.

Cela étant, la coalition gouvernementale allemande qui se dessine réunira le Parti social-démocrate, Die Grünen [écologistes] et le FDP [libéraux]. Les discussions en cours entre ces trois formations visent notamment à trancher la question du partage nucléaire ainsi que celle de la relation de l’Allemagne à l’égard de la Russie.

Déjà, Annalena Baerbock, la cheffe de file des écologistes allemands, a fait savoir que le « désarmement doit également inclure les armes nucléaires américaines ici en Allemagne et dans toute l’Europe ».

Quoi qu’il en soit, les propos de Mme Kramp-Karrenbauer ont été mal accueillis en Russie, comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre. La réaction russe s’est faite en deux temps.

D’abord, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a mis en avant le poids de l’histoire, renvoyant l’Allemagne à son rôle durant la Seconde Guerre Mondiale.

« Dans le contexte d’appels à la dissuasion militaire de la Russie, l’Otan rassemble conséquemment ses forces à nos frontières. Or, un ministre allemand de la Défense se doit de savoir par quoi des opérations semblables se sont terminées pour l’Allemagne et l’Europe », a lancé M. Choïgou, le 23 octobre. « La sécurité en Europe ne peut être que commune, sans préjudice aux intérêts de la Russie », a-t-il aussi fait valoir.

En outre, la veille, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait estimé qu’il était « inutile de dialoguer dans de telles conditions », en évoquant la déclaration de la ministre allemande. « Cela ne fait que confirmer de la manière la plus éclatante la justesse des décisions prises par la Russie quelques jours plus tôt concernant la rupture du dialogue officiel avec l’Otan. Il n’est tout simplement pas nécessaire. Le dialogue n’est pas nécessaire en de telles circonstances, et ces conceptions de l’Otan le confirment une fois de plus », insista-t-il.

Et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Grouchko, y est allé aussi de son couplet. « Nous observons une activité accrue en Bulgarie et en Roumanie, et elle [l’Alliance] mène à la transformation aussi de la mer Noire en une arène de confrontation militaire; la mer Baltique ils l’ont déjà transformée en une arène de rivalité militaire. […] C’est une voie extrêmement dangereuse, pleine de risques d’incidents militaires », a-t-il dit.

Puis, le 25 octobre, l’attaché militaire allemand en poste à Moscou a été convoqué par le ministère russe de la Défense.

« Aujourd’hui, l’attaché militaire auprès de l’ambassade d’Allemagne en Russie a été convoqué au département principal pour la coopération militaire du ministère russe de la Défense. Nous avons attiré son attention sur les propos de la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer portant sur la dissuasion nucléaire de la Russie et lui avons remis une note », a en effet indiqué le gouvernement russe.

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