Exclu de l’alliance « AUKUS », le Canada peut-il envisager d’acquérir des sous-marins à la France?

En juillet dernier, le porte-parole de la Marine royale canadienne [MRC] a confirmé que des études étaient en cours afin de pouvoir « éclairer la prise de décision gouvernementale en temps opportun au sujet d’une classe potentielle de sous-marins de remplacement et éviter toute lacune dans la capacité des sous-marins ». Et d’ajouter que les Forces armées canadiennes [FAC] avaient demandé le lancement d’un programme à cette fin dans le courant de l’année.

Cette annonce n’était pas surprenante… Dans un document stratégique intitulé « Point de mire 2050″, la Marine royale canadienne avait estimé que les  » les sous-marins resteraient probablement la plateforme maritime dominante dans un avenir prévisible et dont donc un éléments essentiel d’une marine efficace au combat et équilibrée ». Et le comité sénatorial de la Défense du Parlement canadien plaida, en 2017, pour l’acquisition de 12 nouveaux sous-marins « à propulsion anaérobie » afin de pouvoir en déployer dans le Pacifique, dans l’Atlantique et, en cas de besoin, dans l’océan Arctique.

Cette « cible » de 12 sous-marins était celle qui avait été avancée dans le Livre blanc canadien de la Défense publié en 1987. En effet, ce document proposa l’acquisition de 12 navires de ce type… mais à propulsion nucléaire, l’un des enjeux étant de pouvoir être en mesure de faire respecter la souveraineté du Canada dans l’Arctique [plus précisément dans le passage du Nord-Ouest]. Ce que de tels bâtiments permettaient pour leur capacité à naviguer sous la glace.

Pour financer un tel programme, la Marine royale canadienne renonça à 8 nouvelles frégates… Et, finalement, elle dût tirer un trait sur ces dernières…. ainsi que sur son projet de sous-marins, pour lequel la France et le Royaume-Uni firent des propositions, basées respectivement sur les classes Rubis et Trafalgar.

Seulement, les opposants donnèrent de la voix pour critiquer cet achat éventuel de sous-marins à propulsion nucléaire [en feignant d’ignorer qu’il n’était nullement question d’armes nucléaires…]. En outre, les États-Unis se montrèrent sceptiques… Et la chute du Mur de Berlin fit le reste, avec les compressions budgétaires qui suivirent.

La Marine royale canadienne dut attendre 1998 pour renouveler ses sous-marins de type Oberon. Et la solution vint du Royaume-Uni, qui cherchait à revendre quatre navires appartenant à la classe « Upholder ». Et un contrat fut signé pour un montant de 750 millions de dollars.

Ce qui semblait être une bonne affaire fut en réalité un désastre, les quatre sous-marins ainsi acquis n’ayant que très peu navigué par la suite, en raison d’une succession de problèmes techniques. En 2017, un rapport établit en effet que ces navires n’avaient passé qu’une vingtaine de jours en mer en 17 ans, qu’ils furent à quai ou cale sèche pendant 91% du temps et leurs coûts de maintenance avaient depassé les 3 milliards de dollars canadiens.

Ainsi, par exemple, le NCSM Corner Brook est retourné en mer en juin 2021, après avoir passé plus de six ans en cale sèche et connu un incendie en 2019. Ces répérations avaient dû être programmées après que le sous-marin a heurté le fond de l’océan au large de la Colombie-Britannique en 2011. Et lors de ses essais effectués avant sa remise en service, a révélé Radio Canada, l’un de ses principaux réservoirs de ballast s’était rompu…

Quoi qu’il en soit, et outre le fait qu’il ne peuvent pas opérer dans l’Arctique, ces quatre sous-marins ne sont d’aucune utilité à la Marine royale canadienne, si ce n’est à lui siphonner une partie de son budget. D’où sa volonté de les remplacer au plus tôt. Mais par quel modèle? Et auprès de qui?

Son appartenance au Commonwealth, sa proximité avec les États-Unis dans le domaine militaire [via, notamment le NORAD] et sa présence au sein de l’alliance dite des « Five Eyes » font que le Canada a tendance à privilégier le monde anglo-saxon en matière d’armement. Et il est une sorte de « terre de mission » pour la base industrielle et technologique de défense française, malgré les liens avec Québec, la « Belle Province » francophone.

Cela étant, l’annonce du partenariat stratégique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis [alliance « AUKUS »] risque de changer la donne… le Canada, pays appartenant aussi à l’espace Indo-Pacifique, ayant été mis sur la touche [au même titre, d’ailleurs, que la Nouvelle-Zélande]. Aussi, la France a-t-elle une carte à jouer en proposant à Ottawa les sous-marins de type Shortfin Barracuda que Canberra ne veut plus?

« Il s’agit d’un accord pour des sous-marins nucléaires, pour lesquels le Canada n’est actuellement pas actuellement ou de sitôt sur le marché », avait commenté Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, au sujet de l’alliance « AUKUS » qui, pour rappel, vise à doter l’Australie de SNA [sous-marins nucléaires d’attaque], dans le cadre d’un partenariat avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Mais telle n’est pas la seule dimension de ce partenariat puisque celui-ci concernera également le renseignement, l’intelligence artificielle et la cyberdéfense. Domaines dont le Canada sera exclu. Et le président français, Emmanuel Macron, a l’intention se saisir la balle au bond, selon la Presse canadienne.

« M. Macron souhaite entendre le point de vue de M. Trudeau sur l’alliance formée le mois dernier entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie », a en effet confié Kareen Rispal, Mme l’ambassadeur de France au Canada, selon des propos rapportés par le média canadien.

« Il est très important de se réunir et de tenir une réunion à Paris ou à Ottawa très bientôt, et de discuter de questions stratégiques. Nous sommes impatients de renforcer notre lien transatlantique », a ajouté la diplomate. « Les deux pays sont très préoccupés par les défis croissants dans l’Indo-Pacifique, en particulier l’influence militaire et politique croissante de la Chine » et « je pense que le Canada, comme la France, est très conscient que la Chine est un concurrent – elle pourrait être une partenaire sur certains sujets, et peut être une menace militaire ou stratégique », a-t-elle conclu.

Cette rencontre entre MM. Macron et Trudeau sera-t-elle l’occasion de mettre le sujet des sous-marins sur la table? Sans doute… Mais il serait surprenant qu’une annonce soit faite à l’issue. À moins qu’Ottawa ait décidé d’augmenter significativement ses dépenses militaires [qui représentent 1,3% du PIB], alors que d’autres programmes militaires importants restent à financer [renouvellement des frégates, des chasseurs-bombardiers CF-18, par exemple]. D’ailleurs, si le Canada a été écarté de l’alliance AUKUS, c’est sans doute aussi à cause de la faiblesse de ses forces armées.

En attendant, le dossier qui a le plus de chances d’aboutir pour Naval Group est le projet P75-I, qui vise à doter la marine indienne de six nouveaux sous-marins d’attaque. Si trois autres concurrents sont en lice [dont le S-80+ espagnol, le DSME-3000 russe et le Lada russe, ndlr], le Shortfin Barracuda français paraît le mieux placé pour l’emporter.

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