Sécurité intérieure : Le gouvernement change de braquet face à la menace terroriste

Depuis 2012, les 28 attentats revendiqués ou inspirés par la mouvance jihadiste ont fait 267 victimes en France. Et cela, sans compter les tentatives ayant échoué, comme par exemple celle ayant visé un train Thalys en août 2015.

Pour contrer cette menace terroriste, le gouvernement instauré l’État d’urgence après les attentats de janvier 2015 et lança l’opération intérieure [OPINT] Sentinelle avec le concours des forces armées. Dans le même temps, la législation fut modifiée à plusieurs reprises afin de renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Au moins 9 lois furent votées en l’espace de quatre ans, dont celle relative au renseignement.

Cela étant, depuis le début de l’année 2020, cinq nouvelles attaques d’inspiration jihadiste ont été commises : Villejuif en janvier [1 tué], Colombes et Romans-sur-Isère [2 tués] en avril, Paris [2 blessés devant les anciens locaux de Charlie Hebdo] en septembre, et Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre.

Lors de cette dernière, un professeur d’histoire-géographie de 47 ans, Samuel Paty, a été décapité par Abdoullakh Anzorov, un Russe tchétchène de 18 ans s’étant vu accorder le statut de réfugié en mars. Peu après avoir assassiné sa victime, il a été abattu par des policiers de la Brigade anti-criminalité [BAC].

Quelques jours avant les faits, l’enseignant avait été désigné à la vindicte par le père de l’une de ses élèves sur les réseaux sociaux, ce dernier exigeant son renvoi pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. « La demi-soeur de cet homme [le parent d’élève, ndlr] avait rejoint l’organisation État islamique en 2014 en Syrie et elle fait, à ce titre, l’objet d’un mandat de recherche par un juge d’instruction antiterroriste », a par ailleurs indiqué Jean-François Ricard, le procureur de la République antiterroriste.

Mais ce parent d’élève alla encore plus loin en se rendant au collège de l’enseignant avec le prédicateur islamiste radical Abdelhakim Sefrioui pour exiger son renvoi auprès de la principale « sous peine de manifestations ». Et les commentaires des vidéos diffusées via la réseaux sociaux précisaient l’identité du professeur et l’adresse du collège.

Quoi qu’il en soit, quelques heures à peine après l’assassinat de Samuel Paty, le président Macron s’est montré implacable. « Il n’y a pas de hasard si, ce soir, c’est un enseignant que ce terroriste a abattu, parce qu’il a voulu abattre la République dans ses valeurs, les Lumières, la possibilité de faire de nos enfants, d’où qu’ils viennent, qu’ils croient ou qu’ils ne croient pas, quelle que soit leur religion, d’en faire des citoyens libres », a-t-il dit. Et d’assurer : « Tous et toutes nous ferons bloc. Ils ne passeront pas. Ils ne nous diviseront pas. C’est ce qu’ils cherchent et nous devons nous tenir tous ensemble. »

Deux semaines après avoir donné les grandes lignes d’un projet de loi pour lutter contre le séparatisme, le chef de l’État a réuni, le 18 octobre, un conseil de Défense pour décider de mesures immédiates à prendre contre la menace terroriste inspirée par la mouvance jihadiste.

« La priorité est le renforcement de la sécurité de l’espace scolaire », a fait savoir l’Élysée à l’issue de la réunion. Mais pas seulement. « Le président souhaite également que l’on engage très rapidement des actions concrètes, qui permettront d’entraver les structures ou les personnes qui encouragent, directement ou indirectement, [les terroristes] », a précisé l’entourage de M. Macron, selon l’AFP.

Et, à cette fin, les ministres de l’Intérieur et de la Justice [Gérald Darmanin et Éric Dupont-Moretti] auront à préparer un plan comprenant « des actions concrètes contre des structures, des institutions, des associations voire des personnes proches des milieux radicalisés, et qui propagent des idées [séparatistes]. »

Le lendemain, à l’antenne d’Europe1, M. Darmanin a précisé les mesures décidées. Ainsi, dans un premier temps, le minsitre a indiqué que « depuis l’assassinat de ce professeur, 80 requêtes ont été ouvertes contre la haine en ligne, contre tout ceux qui de façon apologique ont expliqué d’une façon ou d’une autre que ce professeur l’a bien cherché », avant de préciser « des interpellations ont déjà eu lieu depuis dimanche » et que depuis ce lundi, des « opérations de police ont lieu et auront lieu. » Et d’ajouter : « Elles sont très nombreuses et concernent des dizaines d’individus. »

Plus précisément, ces opérations de police sont des « contrôles administratifs et judiciaires qui concernent des personnes déjà dans les radars des services de renseignement, présentant notamment ‘des signaux faibles' », comme des prêches et/ou des messages sur les réseaux sociaux, a expliqué le ministre de l’Intérieur.

En outre, et conformément à ce qui a été décidé lors du Conseil de défense, une « cinquantaine de structures associatives verront toute la semaine un certain nombre de visites des services de l’État. » Et M. Darmanan a l’intention de proposer la dissolution de plusieurs d’entre-elles, dont le Collectif contre l’islamophobie en France [CCIF] et l’ONG Barakacity.

« Je le souhaite parce que voilà une association manifestement impliquée puisque le père qui a lancé une ‘fatwa’ contre ce professeur fait référence clairement à cette association, c’est une association qui touche des subventions d’État, des déductions fiscales et qui dénonce l’islamophobie d’État. Je le souhaite car un certains nombres d’éléments nous permettent de penser que c’est un ennemi de la République. Je souhaite aussi que Barakacity soit proposée à la dissolution du Conseil des ministres », a détaillé M. Darmanin.

Pour le ministre, « on voit bien comment l’islam politique se joint à l’islam radical pour finalement mener au terrorisme […]. Il faut combattre l’islam politique avec la même force que le terrorisme. »

Enfin, une mesure qui était déjà dans l’air depuis plusieurs jours [et par ailleurs défendue depuis longtemps par certains partis politiques] devrait être rapidement mise en application. Ainsi, 231 ressortissants étrangers expulsables et figurant dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste [FSPRT] seront expulsés dans les jours qui viennent. Dans le détail, 180 d’entre-eux sont actuellement en prison, les 51 autres devraient être arrêtés dans les « prochaines heures ».

« Il y a 22.000 personnes qui sont fichées pour islamisme radical, suivies par nos services. Toutes ne sont pas en France, il n’y a que 8.000 fiches actives sur ces 22.000. Beaucoup de gens ont déjà été expulsés. Sur ces 8.000 fiches actives, il y a 600 étrangers en situation irrégulière. Beaucoup sont déjà en prison et seront expulsés à la fin de leur peine. Et d’autres ne sont pas expulsables : il y a des Libyens, des Syriens. On ne peut pas expulser dans un pays en guerre des personnes sur notre sol », a expliqué M. Darmanin sur les ondes d’Europe1.

Photo : ©️ Jacques Paquier Flickr

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