Un rapport parlementaire déplore le manque de « culture militaire » au sein des administrations civiles françaises

Selon la loi et plusieurs textes réglementaires, les forces armées ne peuvent effectuer des missions intérieures [MISSINT] que lorsqu’elles ont été réquisitionnées à cette fin par l’autorité civile, leur mission prioritaire étant de garantir l’intégrité du territoire ainsi que la protection de la population contre les agressions extérieures, la sécurité civile relevant du ministère de l’Intérieur.

Pour autant, les armées interviennent régulièrement sur le territoire national, comme le montrent les opérations Sentinelle [anti-terrorisme], Harpie [lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane] et Héphaïstos [lutte contre les incendies], ou encore les missions ponctuelles lors de catastrophes naturelles.

Ces interventions obéissent à la règle dite des « 4 i », c’est à dire que les armées peuvent être sollicités si les moyens civils sont « inexistants, insuffisants, inadapatés ou indisponibles » pour faire face à une crise. Étant donné la nature des missions et opérations généralement menées par les armées sur le territoire national, les ministères des Armées et celui de l’Intérieur ont donc l’habitude de coopérer, notamment via l’Organisation territoriale interarmées de défense [OTIAD], dans le cadre de laquelle s’organise la coordination des moyens civils et militaires pour faire face à des crises.

L’opération Résilience s’est démarquée des autres dans la mesure où, cette fois, le ministère des Armées a dû travailler en relation avec celui de la Santé et des Solidarités, voire avec d’autres, comme par exemple celui de l’Éducation.

Si il a beaucoup été dit sur les transferts de malades de la covid-19 vers des hôpitaux en capacité de les prendre en charge par des vols d’avions A330 MRTT et d’hélicoptères, ainsi que sur l’installation, en un temps record, d’un hôpital de campagne à Mulhouse, d’autres actions ont suscité moins d’attention, comme celles ayant consisté à surveiller et à protéger des centres hospitaliers ainsi que des fabricants de produits médicaux ou à transporter des médicaments et des masques.

Dans le rapport qu’ils viennent de rendre dans le cadre d’une « mission flash » sur les « relations civilo-militaires à la lumiére de l’épidémie de covid-19 » [.pdf], les députés Pierre Venteau et Joaquim Pueyo estiment que les « services de l’État se sont mobilisés efficacement face à la pandémie » et rappellent que « les forces armées ont été force de proposition, mettant leurs moyens à disposition avec une grande réactivité. » Cependant, relativisent-ils, la « crise sanitaire a mis en lumière des axes de progrès dans les relations civilo-militaires. »

Ainsi, relèvent les deux rapporteurs, « entre le ministère des Armées et celui des Solidarités et de la Santé, les échanges semblent peu fluides et emprunts d’un certain formalisme. » Et, poursuivent-ils, « au niveau local, les agences régionales de santé n’avaient manifestement pas l’habitude de travailler en coordination et avec d’autres moyens que les leurs. » Et cela vaut aussi pour l’Éducation nationale, « dont les services n’ont pas toujours su exprimer clairement des besoins recevables par les autorités militaires et n’ont pas toujours été en mesure d’accepter leurs offres de service,
notamment de désinfection de locaux. »

« De l’aveu de certaines autorités civiles, les forces armées étaient, avant cette crise sanitaire, perçues comme un ‘un monde à part’ et ‘le seul point de rencontre entre le monde de la sécurité civile et celui des forces armées était l’opération Sentinelle' », a rapportent MM. Pueyo et Venteau. « Un axe d’effort est désormais, pour les acteurs de l’OTIAD, de développer des contacts avec les recteurs d’académie, les agences régionales de santé et les pôles hospitaliers », ajoutent-ils.

Mais plus généralement, les deux députés ont surtout fait le constat que la « méconnaissance des forces armées avait pu porter atteinte à la réactivité des administrations civiles, peu habituées à travailler avec des militaires ».

Et de prendre l’exemple de la région Auvergne-Rhône-Alpes, où l’état-major de zone de défense [EMZD] a fait part à la préfecture du Rhône des moyens qu’il pouvait mettre rapidement à sa disposition en cas de besoin.

Or, selon le rapport, « cette initiative spontanée des forces armées, inédite dans le cadre d’une crise à dimension civile et antérieure au lancement de l’opération Résilience, a suscité des réticences de la part des services de la préfecture, à tel point qu’un délai de 48 heures s’est écoulé entre le moment où l’EMZD a fait cette proposition et celui où lesdits services de la préfecture ont accepté cette aide, le temps de solliciter le secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur [SGAMI] et d’identifier des missions pouvant être dévolues aux forces armées. »

Par ailleurs, indiquent les députés, les Délégations Militaires Départementales [DMD] des départements devenus, au fil des réformes du ministère des Armées, des « déserts militaires », c’est à dire sans base ou caserne, « semblent avoir été impliqués plus tardivement que les autres dans les réunions d’échange d’informations organisées par les autorités préfectorales,
réunions qui auraient précisément permis d’anticiper les besoins et de demander des moyens à l’échelon zonal. » Qui plus est, soulignent-ils,  » tant sur la forme que sur le fond, les demandes formulées par les autorités civiles aux militaires étaient généralement moins recevables dans ces départements. »

Pour les rapporteurs, le problème d’un « manque de culture militaire » au sein des administrations civiles. « Dans un contexte où une part croissante des décideurs civils n’aura pas fait de service
militaire, le développement d’une meilleure connaissance des armées est un enjeu majeur, ce dont les militaires ont conscience », écrivent-ils.

Lors de l’examen du rapport en commission, M. Pueyo est revenu sur cette question. « La culture militaire tend à disparaître de nos esprits si nous n’y prenons pas garde », a-t-il prévenu. « La crise de la Covid-19 nous fait prendre conscience qu’il faut réarmer tous les dispositifs qui permettent de renforcer le lien armées-nation. Cette crise a été déterminante dans la prise de conscience à cet égard. Peut-être qu’il faudrait avoir recours à la contrainte pour ce faire, et par ailleurs, le service national universel permettra sûrement de répondre en partie à ces problématiques », a-t-il conclu, après avoir estimé nécessaire d’encourager une meilleure connaissance des forces armées, en particulier dans les « déserts militaires », via une politique de « rayonnement ».

Photo : État-major des armées

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