Ayant renoncé au système antimissile AEGIS Ashore, le Japon songe de nouveau à une capacité de frappe préventive

En 2017, alors que la Corée du Nord enchaînait les tirs de missiles en mer du Japon et afin de faire face à la montée en puissance de la Chine, Tokyo avait approuvé l’acquisition, auprès des États-Unis, de deux systèmes antimissiles AEGIS Ashore qui, dotés de missiles intercepteurs SM-3 Block IIA, devaient être installés dans la région d’Akita [nord de l’archipel] et dans celle de Yamagushi [ouest].

Il s’agissait alors de compléter la défense antimissile nippone, qui repose actuellement sur des 7 destroyers AEGIS et des batteries de défense aérienne Patriot, ainsi que sur deux radars en bande X installés par les États-Unis à Shariki et à Kiogamisaki. Cela étant, s’agissant des moyens de détection et d’alerte, les chaînes de commandement japonaise et américaine sont distinctes afin de « garantir l’indépendance de la boucle de décision nationale », selon une note de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS].

Seulement, en juin, le ministre japonais de la Défense, Taro Kono, a annoncé l’abandon du déploiement des deux systèmes AEGIS Ashore. Et cela pour deux raisons. La première est d’ordre financier, l’achat, la maintenance et les mises à jours de ces dispositifs ayant été évalué à plus de 4 milliards de dollars sur trente ans. En outre, en cas d’interception de missiles, il y avait un risque de voir des débris tomber sur les habitations situées dans les environs des deux sites. Ce dont les autorités japonaises pouvaient se douter au moment d’annoncer l’achat de ces systèmes antimissiles.

Cela étant, depuis 2017, la Corée du Nord a fait de nouveaux progrès dans le domaine des missiles, comme le KN-23, à la trajectoire semi-balistique [et donc avec une capacité de manoeuvrer et de déjouer ainsi les défenses adverses en phase finale]. Quant aux relations avec la Chine, elles demeurent tendues, avec des différends concernant les frontières maritimes et l’archipel Senkaku toujours en suspens.

Aussi, « il ne doit pas avoir de failles dans le système de défense de notre pays », a assuré Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, avant d’évoquer des « discussions » pour trouver des alternatives à l’abandon des sites AEGIS Ashore.

Depuis, il été évoqué l’achat du système américain THAAD [Terminal High Altitude Area Defense], susceptible d’intercerpter des missiles effectuant des manoeuvres terminales dans les basses couches de l’atmosphère comme le SS26 Iskander russe, grâce à son radar de haute précision, d’une portée de 1.000 km. Les États-Unis avaient d’ailleurs déployé un tel système en Roumanie, au moment où le site Aegis Ashore installé à Deveselu pour le compte de l’Otan devait subir une mise à niveau.

Mais une telle solution n’est pas satisfaisante dans la mesure où elle ne réglerait pas la question de la chute d’éventuels débris d’un missile intercepté sur les zones habitées. En outre, il faudrait au moins six batteries pour protéger l’ensemble de l’archipel.

Un autre option consisterait à acquérir davantage de destroyer AEGIS… Mais encore faudrait-il disposer de suffisamment de marins pour mettre en oeuvre des navires supplémentaires… alors que la composante navale des Forces d’autodéfense japonaises peinent à recruter. Aussi, l’idée d’installer des systèmes anti-missiles sur des bases flottantes a été avancée. « Elle dissiperait les inquiétudes quant à la possibilité que des propulseurs de missiles intercepteurs tombent sur des zones résidentielles », écrit le quotidien Japan Times. Mais elle n’est pas plus satisfaisante que les deux autres, pour des questions de vulnérabilité et de moyens qu’il faudrait déployer pour les protéger.

Aussi, l’abandon des systèmes AEGIS Ashore a remis en lumière un débat qui avait cours au moment de l’annonce de leur acquisition. En effet, en 2017, les responsables japonais se demandaient s’il fallait ou non développer une capacité de frappe préventive limitée contre les sites de missiles susceptibles de viser l’archipel. Mais, à l’époque, le contexte politique n’avait pas permis de creuser davantage la question. En outre, les opposants à cette éventualité mirent en avant la Constitution pacifiste du Japon, laquelle interdit aux forces japonaises de frapper en premier. Et, jusqu’à présent, . les administrations américaines successives se sont toujours opposées à une capacité de frappe japonaise indépendante.

Quoi qu’il en soit, le sujet est de nouveau sur la table. Et, durant cet été, il sera examiné par un conseil composé de hauts responsables du Parti libéral-démocrate au pouvoir, avec quatre anciens ministres de la Défense, dont Itsunori Onodera, qui avait approuvé l’achat des deux systèmes Aegis Ashore.

D’ailleurs, rapporte Reuters, ce dernier a expliqué que viser des sites de missile via une attaque préventive serait équivalent à abattre des bombardiers ennemis… Ce qui serait « conforme » à la Constitution japonaise. Ce qui est un peu tiré par les cheveux… « Toute doctrine de première frappe devrait être soigneusement définie avant même d’être examinée par le Conseil de sécurité nationale », a d’ailleurs prévenu Taro Kono.

L’idée de doter les forces japonaises d’une capacité de frappe préventive risque de se heurter à plusieurs problèmes. Le premier sera de savoir comment frapper « préventivement » des rampes de missiles mobiles, comme en disposent la Corée du Nord et la Chine. Cela suppose des moyens importants en matière de renseignement et de surveillance. Sur ce point, le Japon pourra s’appuyer sur son programme IGS [Information Gathering Satellite], qui repose sur plusieurs satellites radars et optiques.

Une autre question porte sur les missiles qui pourraient être utilisés pour de telles frappes, sachant que, jusqu’à présent, la portée des missiles en dotation au sein de forces japonaises ne doit pas excéder les 300 km. Pour autant, on sait que le Japon s’est lancé dans la course aux armes hypersoniques. En mai, Mitsubishi Electric Corp, qui développe une telle arme, a d’ailleurs été la cible d’une cyberattaque au cours de laquelle des données techniques [portée, propulsion, matériaux] ont été dérobées.

Enfin, et ce n’est sans doute pas ce que freinera Tokyo, une éventuelle capacité de première frappe pour les forces japonaises ne manquera pas de susciter l’hostilité de ses voisins, à commencer par la Chine mais aussi la Russie et… la Corée du Sud, avec laquelle les relations sont toujours compliquées.

Photo : Destoyer AEGIS de la classe Maya (c) Ministère japonais de la Défense

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