La Russie précise les conditions qui pourraient la conduire à utiliser l’arme nucléaire

Ces dernières années, les dispositifs visant à limiter la course aux armement et à éviter les « erreurs de calculs » aux conséquences potentiellement dévastatrices tombent les uns après les autres. Après le Traité sur les forces conventionnelles en Europe, dénoncé par la Russie en 2015, le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires [FNI] a pris fin en août 2019, après la décision des États-Unis de s’en retirer, Washington ayant accusé Moscou d’en avoir violé les dispositions.

Par ailleurs, conclu en 2010, le traité New Start [Strategic Arms Reduction Treaty], dont la raison d’être est de réduire et de limiter les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie, ne se porte pas très bien non plus. Arrivant à échéance en février 2021, les discussions pour son renouvellement sont au point mort, Washington voulant y intégrer la Chine… Ce que Pékin refuse évidemment. En mai dernier, un éditorialiste du quotidien Global Times, qui s’inscrit dans la ligne du Parti communiste chinois, a même plaidé pour porter rapidement à 1.000 le nombre de têtes nucléaires en dotation au sein de l’Armée populaire de libération [APL].

Quoi qu’il en soit, on est bien loin d’un monde sans arme nucléaire, que le président Obama avait esquissé en avril 2009, lors d’un discours à Prague. D’autant plus que, depuis, la Corée du Nord a fait son entrée dans le club des pays possédant de telles armes… que la Chine et la Russie ont modernisé leurs forces stratégiques [la France et le Royaume-Uni s’apprêtent à en faire autant, de même que les États-Unis] et que l’Inde et le Pakistan cherchent à les développer.

En 2018, le Pentagone a levé le voile sur une nouvelle posture nucléaire [NPR], laquelle a notamment mis en avant la nécessité de doter les forces américaines d’armes nucléaires de faible puissance afin d’être en mesure de répondre à la doctrine russe, affirmant qu’elle reposait en partie sur le concept « escalade-désescalade ».

Selon ce concept, il est prêté à Moscou la tentation de faire usage en premier d’une arme nucléaire tactique en cas de conflit avec l’Otan, en faisant le pari que les États-Unis ne seraient pas en capacité de riposter de manière appropriée avec leurs seules armes stratégiques. En outre, comme le souligne Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], il « laisse entendre que, si la Russie se trouvait dans une situation de défaite, l’usage limité d’armes nucléaires pourrait viser à une fin prématurée du conflit en rétablissant la dissuasion. »

« La stratégie et la doctrine russes mettent l’accent sur les utilisations coercitives et militaires potentielles des armes nucléaires. Elle évalue à tort que la menace d’une escalade nucléaire ou d’un premier usage effectif des armes nucléaires servirait à ‘désamorcer’ un conflit à des conditions qui seraient favorables. Ces perceptions erronées augmentent les risques d’erreur de calcul et d’escalade », était-il résumé dans la NPR américaine.

Mise à jour en 2010, la doctrine nucléaire russe vient d’être une nouvelle révisée. Approuvée par le président Poutine, elle a été publiée – pour la première fois – par le Kremlin.

Ainsi, notant que Moscou avait jusqu’alors toujours nié ce concept de « d’esacalade/désescalade », le quotidien russe Kommersant a noté qu’un passage de cette doctrine revue et corrigée allait être susceptible de « susciter des débats » étant donné qu’il indique que, « en cas de conflit militaire, la politique de l’État dans le domaine de la dissuasion nucléaire visera à empêcher l’escalade des hostilités et y mettre fin dans des conditions acceptables pour la Fédération de Russie et [ou] ses alliés ».

« Prise au sens large, note Kommersant, cette phrase peut être interprétée comme une confirmation officielle que les autorités russes considèrent qu’il est possible d’utiliser des armes nucléaires à une échelle limitée pour obtenir une percée dans le cadre de conflits utilisant des armes classiques. »

Cependant, le docume indique aussi que la Russie « considère que l’arme nucléaire est uniquement un moyen de dissuasion dont l’emploi ne peut être que forcé et considéré comme une mesure extrême. Elle déploie les efforts nécessaires pour réduire la menace nucléaire et empêcher la dégradation des relations interétatiques qui pourrait provoquer des conflits militaires, notamment nucléaires. »

Cela étant, cette doctrine revisitée réaffirme le principe selon lequel Moscou « se réserve le droit d’utiliser son arsenal nucléaire en réponse à l’utilisation d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive contre elle et [ou] ses alliés, ainsi que dans le cas d’une agression contre la Fédération de Russie avec des armes conventionnelles, dès lors que l’existence même de l’État serait menacée. »

D’après Kommersant, le document détaille, pour la première fois, les conditions précises pour lesquelles Moscou pourrait avoir recours à l’arme nucléaire, dont « la réception d’informations fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant le territoire de la Russie et [ou] de ses alliés », « l’utilisation d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive par l’ennemi et ses alliés », « l’impact d’une attaque ennemie sur les installations critiques et militaires du pays au point que la capacité de riposter avec des armes nucléaires est perturbée » et une « agression avec des armes classiques susceptible de menacer l’existence même de l’État. »

Parmi les menaces potentielles, la doctrine russe cite la détention par d’autres pays d’armes nucléaires et d’autres types d’armes de destruction massive, la prolifération incontrôlée d’armes nucléaires, le déploiement d’armes nucléaires offensives dans d’autres pays qui n’en sont initialement pas dotés, l’installation de moyens de défense anti-missiles et de systèmes de frappe depuis l’espace ainsi que l’accroissement de forces près des frontières de la Russie.

Photo : Topol-M – Vitaly V. Kuzmin via WikiMedia Commons

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