Pour Paris, l’escalade militaire en Libye est une « menace pour la sécurité de l’Europe »

Lors de sa dernière audition devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Thierry Burkhard, a pris l’exemple de la Libye pour illustrer « l’évolution de la conflictualité ».

« Nous sommes […] passés là-bas d’une guerre de milices à guerre de semi-intensité où chacun amène ses soutiens équipés de moyens de lourds : défense sol-air, blindés, drones, avions capables de conduire des actions de ciblage. Il y a également une guerre de l’information particulièrement féroce », a en effet expliqué le général Burkhard. Pour autant, il s’est gardé de faire un parallèle avec la Syrie, où le régime en place a été contesté par des groupes rebelles, qui ont fini par être débordés par les organisations jihadistes, dont l’État islamique [EI ou Daesh].

En Libye, deux camps s’affrontent. Et chacun peut revendiquer une certaine légitimité. Ainsi, le gouvernement de Tobrouk tire la sienne du Parlement élu en juin 2014 tandis que celui de Tripoli, dit d’union nationale [GNA] à été installé sous l’égide des Nations unies, ce qui fait qu’il est reconnu [du moins officiellement] par la communauté internationale. Ce conflit dure depuis 2015… Et les tentatives de l’État islamique pour en profiter ont tourné court, l’organisation ayant été chassée de Syrte, dont elle avait pris le contrôle.

En Syrie, la Turquie appuie des groupes rebelles, qui servent ses intérêts, face aux forces gouvernementales syriennes, soutenues par la Russie, mais aussi par l’Iran et des milices chiites. Ce qui fait un point commun avec ce que connaît la Libye actuellement.

En effet, Ankara a pris fait et cause pour le GNA alors que, via la société militaire privée [SMP] Wagner, proche du Kremlin, la Russie apporte son soutien – même si elle s’en défend – à l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar, lequel est censé relever du gouvernement de Tobrouk. Comme les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie et même la Syrie…

Le 27 mai, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, a insisté sur l’aggravation de la crise libyenne.

« Je n’ai pas peur du mot, nous sommes devant une ‘syrianisation’ de la Libye », a lancé le ministre, avec d’un côté « le Gouvernement d’union nationale […] appuyé par la Turquie qui importe sur le territoire libyen des combattants syriens qui sont en nombre significatif, [c’est-à-dire] plusieurs milliers » et « d’un autre côté, côté Haftar, dans une moindre mesure parce que les forces sont moins importantes, la présence de la Russie qui importe aussi des combattants syriens mais pas les mêmes. »

Cette escalade militaire laisse craindre que « cette situation va perdurer à 200 km des côtes européennes », a continué M. Le Drian, qui a dit redouter des « manipulations » sur la question migratoire. « C’est une menace à la sécurité régionale et à celle de l’Europe », a-t-il estimé, soulignant de nouveau qu’il « n’y aura pas de solution militaire » à ce conflit. D’où son appel à respecter l’accord de Berlin, conclu en janvier. « Il suffit de le mettre en oeuvre, puis qu’on respecte l’embargo [sur les armes], puis que les forces étrangères se retirent », a-t-il dit.

Justement, s’agissement de l’embargo, le secrétaire général des Nations unies suit avec une « grande préoccupation les informations récentes sur une arrivée massive d’armement, d’équipement et de mercenaires » au profit des belligérants en Libye, a indiqué Stéphane Dujarric, son porte-parole, le 27 mai, alors que les États-Unis venaient de préciser leurs accusations à l’endroit de la Russie, en affirmant que cette dernière avait envoyé 14 avions de combat MiG-29 et Su-24 en Libye.

« Nous appelons tous les membres de la communauté internationale à respecter l’embargo sur les armes et à soutenir sa pleine application », a rappelé M. Dujarric. « Les informations sur des violations ont augmenté de manière significative ces dernières semaines, avec des transferts présumés [d’armement] presque quotidiens par air, terre et mer. […] Cela ne peut conduire qu’à une intensification des combats avec des conséquences dévastatrices pour la population libyenne », a-t-il ajouté.

S’agissant de l’envoi d’avions de combat en Libye, l’US AFRICOM, le commandement américain pour l’Afrique, a réaffirmé qu’il s’agit de MiG-29 et de Su-24 ayant décollé de Russie vers la base de Hmeimim [Syrie]. Là, leurs cocardes russes ont été effacées. Puis, ils ont escortés par des avions russes jusqu’à Tobrouk, ils ont fait le plein, pour ensuite rejoindre la base d’al-Joufrah, où, selon l’imagerie satellite, un radar a été installé.

Cependant, si le minsitère russe de la Défense n’a, pour le moment, pas réagi, Vladimir Dzhabarov, premier vice-président de la commission des affaires internationales de la chambre haute du Parlement russe, a démenti les allégations américaines.

« La Russie n’a pas envoyé de personnel militaire en Libye et la chambre haute du Parlement russe n’a pas reçu de demande d’approbation d’un tel déploiement », a ainsi fait valoir M. Dzhabarov auprès de l’agence Interfax.

En tout cas, cette affaire survient alors que le soutien de la Russie au maréchal Haftar semblait battre de l’aile, après que l’ANL a subi plusieurs revers significatifs face aux troupes du GNA, soutenues par des moyens militaires fournis par la Turquie. L’envoi d’avions de combat en Libye, qui plus est mis en oeuvre par des pilotes et des techniciens russes, est une façon pour Moscou de figer les positions entre les deux belligérants.

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