Syrie/Kurdes : Plusieurs pays européens suspendent leurs ventes d’armes à la Turquie

Parce qu’il est estimé que son offensive, lancée le 9 octobre contre les milices kurdes syriennes qu’elle considère comme terroristes, va faciliter la résurgence de l’État islamique, la Turquie est la cible de critiques adressées par la plupart des pays de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.

Si ces derniers se défendent d’avoir donné un blanc-seing à Ankara, il n’en reste pas moins que l’opération turque n’a pu qu’être confortée par la décision du président Trump de retirer les forces spéciales américaine des secteurs où elle devait avoir lieu.

Cependant, le chef de la Maison Blanche a assuré qu’il dévasterait l’économie de la Turquie si l’offensive en cours dépassait les limites. Reste à voir où il place le curseur… Pour rappel, certaines capacités des forces turques reposent sur du matériel militaire américain, notamment dans les domaines de l’aviation de combat et de l’artillerie.

La Russie a quant à elle adopté une approche attentiste dans cette affaire. Certes, le président Poutine a estimé que l’initiative turque risquait de favoriser la résurgence de l’État islamique. Son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a ainsi expliqué que Moscou chercherait à établir un dialogue entre la Syrie et la Turquie, tout en oeuvrant à un rapprochement entre Damas et les Kurdes. « Nous allons utiliser nos bonnes relations avec toutes les parties prenantes au conflit pour renouer le dialogue et trouver une solution politique à cette nouvelle crise », a-t-il dit, le 10 octobre.

En outre, les tensions suscitées par l’offensive lancée par Ankara risquent de fragiliser l’Otan, ce dont le Kremlin ne peut que se réjouir…

Ainsi, membre de l’Otan, la Norvège a décidé de suspendre toute nouvelle exportation d’armements vers la Turquie. « Étant donné que la situation est complexe et change rapidement, le ministère des Affaires étrangères, par mesure de précaution, ne traitera pas de nouvelles demandes de licences d’exportation de matériels de défense et de matériels à usages multiples […] vers la Turquie jusqu’à nouvel ordre », a expliqué, à l’AFP, Ine Eriksen Søreide, la ministre norvégienne des Affaires étrangères.

Les Pays-Bas ont pris une décision similaire. « Nous appelons les autres pays membres de l’Union européenne à faire de même », a déclaré Hugo de Jonge, le vice-Premier ministre néerlandais. « Nous sommes très préoccupés par les conséquences humanitaires possibles de cette opération », qui risque « d’entraver le combat contre l’Etat islamique et la stabilité dans la région », a-t-il ajouté.

En Belgique, seule la Flandre a fait savoir qu’elle suspendait l’examen de quatre demandes de licence d’exportation vers la Turquie de matériels pouvant avoir un usage civil et militaire. Et cela, parce qu’elle « juge particulièrement cynique l’attaque lancée contre les forces kurdes en remerciement de leur travail formidable contre l’État Islamique ».

Cependant, au niveau fédéral, le gouvernement belge semble hésiter sur la conduite à tenir. « Nous essayons d’avoir une position commune au niveau de l’Union européenne. Ce n’est pas encore le cas », a fait valoir Didier Reynders, le ministre belge de la Défense et des Affaires étrangères.

Mais à la suite de la Norvège, d’autres pays ont aussi pris des sanctions à l’égard de la Turquie. Tel est le cas de l’Allemagne, où, malgré une politique se voulant officiellement restrictive en matière de ventes d’armes, une polémique avait éclaté au sujet de l’utilisation de chars Léopard 2A4 par les forces turques lors d’une offensive contre les YPG dans le canton d’Afrin, en janvier 2018.

Depuis, les livraisons d’armes de facture allemande à la Turquie ont représenté près de 250 millions d’euros en 2018… Et le montant des ventes sur les quatre premiers mois de l’année 2019 a dépassé les 180 millions d’euros… Sur lesquels Berlin est prêt à tirer un trait… « Dans le contexte de l’offensive militaire turque dans le nord-est de la Syrie, le gouvernement ne délivrera aucun nouveau permis [de vente] pour tous les équipements militaires qui pourraient être utilisés en Syrie par la Turquie  », a en effet indiqué Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères.

Très en pointe contre l’offensive turque dans le nord de la Syrie, la France a également restreint ses ventes d’armes à destination de la Turquie.

« Dans l’attente d’une cessation de cette offensive, la France a décidé de suspendre tout projet d’exportation vers la Turquie de matériels de guerre susceptibles d’être employés dans le cadre de l’offensive en Syrie. Cette décision est d’effet immédiat », ont fait savoir les ministères des Armées et des Affaires étrangères, via un communiqué commun publié le 12 octobre. « Le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne qui se réunira lundi 14 octobre à Luxembourg sera l’occasion de coordonner une approche européenne en ce sens », ont-ils ajouté.

Par le passé, la France a vendu des missiles MILAN et Eryx ainsi que des hélicoptères Cougar à la Turquie. Ces dernières années, les flux avec la Turquie ont été modestes, avec 600 millions de prises de commandes entre 2009 et 2018.

Si seul le matériel susceptible d’être utilisé contre les YPG est concerné, alors cela veut dire que la mesure française ne s’appliquera pas, par exemple, au domaine naval ou à la défense aérienne. Or, en janvier 2018, la Turquie avait choisi le consortium franco-italien Eurosam [Thales et MBDA] pour développer un système anti-missile dans le cadre du programme LORAMID [Long-Range Air and Missile Defense System].

« L’activité de développement conjointe devrait soutenir le propre programme de la Turquie tout en ouvrant des perspectives d’export et de coopération à long terme entre la Turquie, l’Italie et la France », fit valoir Eurosam, à l’époque.

Ce programme turc concerne donc également l’Italie, qui a d’ailleurs déployé des batteries SAMP/T [Sol Air Moyenne Portée – Terrestre] en Turquie, dans le cadre de la mission « Active Fence », approuvée par l’Otan en décembre 2012 afin de témoigner sa solidarité avec Ankara face à la menace de tirs de missiles depuis la Syrie.

Si le Premier ministre italien, Giuseppe Conte et son ministre des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, ont exprimé leur « inquiétude » au sujet de l’opération turque menée en Syrie, en évoquant une « action unilatérale risquant nuire aux résultats obtenus dans la lutte contre la menace terroriste et l’État islamique », Rome n’a pas remis en cause, pour le moment du moins, sa participation à la mission « Active Fence ».

Cependant, le Mouvement Cinq Étoiles [M5S], qui fait partie de la coalition gouvernementale, a dit vouloir suspendre les livraisons d’armes italiennes à la Turquie… sachant que, l’an passé, Rome a accordé à Ankara des licences d’exportation d’un montant de 362 millions.

Enfin, l’Espagne, qui participe aussi à la mission « Active Fence » avec des batteries antimissile Patriot, a, dans un premier temps, affirmé que la présence de son détachement militaire en Turquie dépendrait de l’évolution de la situation. Mais d’après le quotidien El Confidential, Madrid aurait notifié à Ankara son intention de ne pas prolonger sa participation à la mission Active Fence.

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