La Lune (re)devient un sujet de rivalité entre les grandes puissances

Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin débarquaient du LEM « Eagle » et marchaient sur la Lune, pendant que Michael Collins, resté dans le vaisseau Apollo 11 les attendaient sur une orbite lunaire. L’objectif fixé par le président John F. Kennedy, dans un célébre discours prononcé seulement sept ans plus tôt, était alors atteint.

« Nous avons choisi d’aller sur la Lune. Nous avons choisi d’aller sur la Lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile. Parce que cet objectif servira à organiser et à offrir le meilleur de notre énergie et de notre savoir-faire, parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de remporter, tout comme les autres », avait en effet assuré M. Kennedy.

En 1962, l’Union soviétique était en train de distancer les États-Unis dans la conquête spatiale, avec la mise sur orbite du satellite Sputnik [4 octobre 1957], l’envoi dans l’espace du premier être vivant |la chienne Laïka, novembre 1957], du premier homme dans l’espace [Youri Gagarine, 12 avril 1961] et de la première femme [Valentina Terechkova, 16 juin 1963], ainsi que de la première sortie extravéhiculaire en orbite [Alexeï Leonov, mars 1965].

Mais l’URSS visait également à conquérir la Lune. Dès janvier 1959, elle lança la première sonde lunaire, Luna 1. Puis, sept ans plus tard, la sonde Luna 9 réussit à s’y poser. Puis plusieurs projets de lanceurs [Proton, N1-L3] et de vaisseaux spatiaux [Soyouz 7K-L1, LOK/Train lunaire L3] furent mis à l’étude.

Mais, à partir de 1965, les Soviétiques accumulèrent les déconvenues… Et les Américains reprirent la main [programmes Saturn V, Gemini, Apollo] et furent donc les premiers à se poser sur la Lune [pour l’anecdote, Armstrong et Aldrin y laissèrent un paquet contenant le patch de la mission Apollo 1 avec les noms de Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee, morts en 1967… et deux médailles en souvenir de Youri Gagarine et de Vladimir Komarov [premier tué lors d’une mission spatiales, en 1967, mission Soyouz-1, ndlr].

Puis, l’intérêt pour les missions lunaires se délita, malgré les bons technologiques qu’elle aura permis … En partie pour des raisons budgétaires et politiques. Et la dernière phrase qu’un homme a prononcé sur la Lune résume tout. « Ok, Jack, arrachons-nous d’ici », lança Eugene Cernan à Harrison Schmidt [surnommé Jack], le 14 septembre 1972. « Le succès du programme Apollo est d’avoir réussi à marcher sur la Lune, son échec, de ne pas avoir donné à l’humanité l’envie d’y rester », estime Pierre Barthélémy, dans une série d’articles publiés par Le Monde.

L’humanité n’a sans doute pas eu envie d’y rester au début des années 1970… Mais elle a désormais l’envie d’y retourner. Ou, plutôt, certains pays en font un objectif dans un contexte marqué par le retour des rivalités entre puissances.

Ainsi en est-il des États-Unis, qui, pour le moment, n’ont plus les moyens d’envoyer des hommes et des femmes dans l’espace par leurs propres moyens, les navettes spatiales ayant été retirées du service. Pour les remplacer, le président George W. Bush annonça, en 2004, la mise au point d’un nouvel engin spatial dont la vocation serait « d’emporter des astronautes au-delà de notre orbite, vers d’autres mondes », précisant qu’il s’agirait du « premier vaisseau de ce type construit depuis le module Apollo. » Et il donna son feu vert au programme « Constellation », qui devait permettre aux États-Unis de reconquérir la Lune en 2020.

Seulement, en 2010, le président Obama mit un terme à ce projet pour se concentrer sur Mars. « Nous commencerons en envoyant des astronautes sur un astéroïde pour la première fois dans l’histoire. Vers le milieu des années 2030, je pense que nous pourrons envoyer des hommes en orbite autour de Mars et les faire revenir sains et saufs sur Terre », avait-il expliqué.

Puis, son successeur à la Maison Blanche, Donald Trump, a refait de la Lune une priorité, en signant à cette fin une directive présidentielle en 2017. En mars, il a même été demandé à la Nasa d’accélérer le mouvement, en prévoyant un retour sur la Lune en 2024 [au lieu de 2028].

« Nous sommes engagés dans une course spatiale tout comme dans les années 1960, mais les enjeux sont plus importants. […] Nous sommes en course contre nos pires ennemis », a-t-il ainsi lancé en mars dernier… avant de semer le doute.

« Avec tout l’argent que l’on dépense, la Nasa ne devrait PAS parler d’aller sur la Lune – nous l’avons fait il y a 50 ans. Ils devraient se concentrer sur les choses plus grandes que nous faisons, y compris Mars (dont la Lune fait partie), la Défense et la Science! », en effet affirmé, en juin, M. Trump, via Twitter…

« Pour être clair : la première femme et le prochain homme sur la Lune seront tous les deux des astronautes américains, envoyés par une fusée américaine depuis le sol américain », a cependant assuré Mike Pence, le vice-président des États-Unis.

En mai, la Nasa a dévoilé les grandes lignes de son programme Artemis, avec une première mission – non habitée – vers la Lune en 2020, laquelle sera suivie d’une seconde qui placera des astronautes en orbite lunaire. Enfin, une troisième devrait rééditer l’exploit d’Apollo 11 en 2024. Ce projet reposera sur le lanceur SLS [Space Launch System], dont le développement a déjà pris beaucoup de retard, et la capsule Orion. Il prévoit également la construction d’une mini-station [appelée « Lunar Orbital Platform-Gateway »], qui sera placée sur une orbite lunaire. Les astronautes s’y amarreront, avant d’alunir à bord d’un module. L’idée est de pérenniser l’accès à la Lune, en vue de préparer la suite, c’est à dire Mars.

Ces projets américains répondent notamment à ceux lancés par Pékin et Moscou.

Le 3 janvier, la Chine a réalisé une première : faire poser une sonde – appelée Chang’e-4 – sur la face cachée de la Lune. Une première étape dans son ambitieuse planification de ses opérations spatiales… Cette dernière prévoit le développement de lanceurs réutilisables de plus en plus lourds pour aboutir à la fusée Longue Marche 9… laquelle devrait permettre d’envoyer un « taïkonaute » sur la Lune en 2036… et d’installer une base lunaire permanente.

Dans le même temps, la Chine continuera d’envoyer des sondes sur la Lune, afin d’y chercher des ressources potentiellement exploitables, comme les métaux rares.

La Russie ne tient pas à se laisser distancer. Elle compte envoyer des sondes lunaires au début de la prochaine décennie et elle s’est donné l’échéance de 2031 pour qu’un Russe pose le pied sur la Lune. Puis, un projet de base est aussi dans les cartons. Le succès de ce programme dépendra du développement d’un lanceur lourd, appelé Yenisei. Un premier vol d’essai est prévu en 2028.

En retard par rapport aux trois premiers, l’Inde vise surtout à ne pas laisser trop d’avance à son rival chinois. Pour commencer, l’agence spatiale indienne compte lancer des sondes lunaires [dont celle appelée Chandrayaan-2, dont le lancement a été reporté à plusieurs reprises… une prudence qui s’explique sans doute par l’échec d’une première mission], d’envoyer trois Indiens en orbite en 2022, et de construire une station spatiale.

Et l’Union européenne dans tout ça? Si, par le passé, les Européens avaient nourri quelques ambitions [programme de navette spatiale Hermes] et ont été à l’origine de quelques exploits techniques [sonde Rosetta, Mars Express], la capacité à envoyer par leurs propres moyens des hommes et des femmes dans l’espace semble moins prioritaire que la taille des carottes ou du calibre des pommes de terre… alors qu’un tel projet serait fédérateur…

Pour autant, l’Agence spatiale européenne [ESA] a quelques projets, comme celui consistant à mettre au point un robot lunaire pour exploiter le régolithe [un minerai « duquel il est possible d’extraire eau et oxygène, permettant ainsi d’envisager une présence humaine autonome sur la Lune, et aussi de produire le carburant nécessaire à des missions d’exploration plus lointaine
robot sur la Lune pour y exploiter le régolithe »]. Une étude de faisabilité a été confiée à ArianeGroup.

Nettement plus ambitieux [ce qui laisse un doute sur ses chances d’aboutir], le projet de construire un « village lunaire » à partir de 2030 est aussi dans les cartons de l’ESA. Pour y arriver, cette dernière mise sur la coopération internationale, qui devrait être le maître mot de la conquête spatiale, au-delà des rivalités terrestres. Un partenariat avec le Japon pourrait être noué à cette fin, la JAXA [l’agence spatiale nippone] ayant l’ambition de voir un Japonais marcher sur la Lune dans les années 2030… justement dans le cadre d’une coopération.

Enfin, l’apparition d’acteurs privés dans un domaine jusqu’ici réservés aux agences étatiques peut changer la donne. En Israël,
la société SpaceIL créée pour tenter de remporter le Google Lunar X Prize, a ainsi connu une déconvenue, en avril, avec l’échec de sa sonde lunaire « Beresheet », lancée par une fusée Falcon 9 de l’américain SpaceX. Si cette sonde ne s’était pas écrasée sur la surface de la Lune, l’État hébreu serait devenur la quatrième puissance à avoir envoyé un engin sur le satellite de la Terre.

À propos de SpaceX, son fondateur, Elon Musk, a l’ambition de conquérir Mars… mais aussi de développer le tourisme lunaire [un premier client s’est déclaré en septembre 2018…] grâce à son lanceur Big Falcon Rocket [BFR].

Quant à Jeff Bezos, le patron d’Amazon et de Blue Origin, il a présenté, en mai, « Blue Moon », un « atterrisseur » de plusieurs tonnes pouvant transporter quatre véhicules autonomes vers le pôle sud de la Lune, où se trouve de l’eau… et donc de l’hydrogène qui pourrait servir de carburant pour explorer le système solaire.

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