Le Mirage 2000N prend sa retraite, après 30 ans passés au service de la dissuasion nucléaire

Au début des années 1980, la dissuasion nucléaire française reposait sur trois composantes : les missiles balistiques sol-sol S-3 du plateau d’Albion, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe « Le Redoutable », emportant des missiles M20 [puis M4] et les Mirage IV des Forces aériennes stratégiques [FAS], dotés de la bombe AN-22. Mais pas seulement.

En effet, la Force aérienne tactique [FATAC] a également été un acteur clé de la posture de dissuasion française [tout comme l’aéronautique navale, avec les Super Étendard des flottilles 11F, 14F et 17F], l’une de ses missions prioritaires ayant été mener des attaques nucléaires contre des objectifs militaires ennemis.

Pour cela, la FATAC disposait de deux types d’appareils, armés de la bombe ANT 52 [arme nucléaire tactique 52, ndlr] : le Mirage IIIE qui, en service au sein des escadrons 1/4 Dauphiné et 2/4 La Fayette, avait le défaut de ne pas être ravitaillable en vol, et le Jaguar, utilisé par les escadrons 1/7 Provence, 3/7 Languedoc et 4/7 Limousin.

Pour mener à bien leur mission, les escadrons « nucléaires » de la FATAC devaient se préparer à mener des raids à très basse altitude contre des objectifs militaires, ce qui nécessitait le soutien d’autres appareils spécialisés (Jaguar dotés de brouilleurs offensifs « Boa » et de missiles antiradar « Martel », avions de reconnaissance, etc).

Seulement, de par sa nature, l’ANT-52, d’une puissance nominale de 20 kilotonnes, exigeait d’être larguée selon la procédure dite LADD (Low Altitude Drop Delivery). En clair, il fallait aux avions de la FATAC s’approcher au plus près de leur(s) cible(s), ce qui, avec l’amélioration des défenses aériennes et des systèmes de contre-mesures du Pacte de Varsovie, allait devenir de plus en plus compliqué. Et cela valait aussi pour les Mirage IV des FAS.

D’où le lancement, en 1978, du programme du missile de croisière Air-Sol Moyenne Portée (ASMP), dont la genèse remontait alors au début des années 1960, avec le concept du missile Gamma, développé par la « Générale Aéronautique Marcel Dassault » et MATRA [Mécanique Aviation TRAction, ndlr].

Dans le même temps, soit trois ans après l’abandon de « l’Avion de combat futur » [ACF] pour des raisons budgétaires, une « fiche programme » de l’état-major de l’armée de l’Air définissait les caractéristiques d’un appareil devant être capable de mettre en oeuvre cet ASMP.

À l’origine, il était question d’un avion monoplace devant s’appeler Mirage 2000 ASMP. Finalement, le choix d’un appareil biplace, doté s’un Système de navigation et d’armement (SNA, basé sur un radar de suivi de terrain et de navigation Antilope V conçu par Thomson CSF s’imposa. Et tout naturellement, il fut décidé de développer ce futur bombardier, alors désigné Mirage 2000P (P pour pénétration) à partir du Mirage 2000B, c’est à dire la version biplace du chasseur qui allait entrer en service en 1984 au sein de l’escadron 1/2 Cigognes.

Le 3 février 1983, le premier des deux prototypes du Mirage 2000P [rebaptisé 2000N, N pour « nucléaire »] effectua son vol inaugural, avec Michel Porta aux commandes. Avec une structure optimisée pour le vol à basse altitude (200 pieds à la vitesse de 600 kt), cet appareil allait permettre un saut capacitaire majeur, grâce à son radar Antilope V, couplé à des centrales de navigation et un calculateur de missions, ainsi qu’à ses systèmes d’autoprotection (détecteur Serval, brouilleurs et lance-leurres) intégrés à sa cellule. Évidemment ravitaillable en vol, il pouvait alors emporter un missile ASMP, 2 missiles Magic 2 d’autodéfense et 2 réservoirs de 2.000 litres pour accroître son autonomie.

Cependant, il fut initialement décidé de ne pas équiper le futur Mirage 2000N de canon (le Mirage 2000B en étant d’ailleurs dépourvu), ni de nacelle de désignation laser. Et cela pour une bonne raison : il n’était à l’époque pas prévu de l’utiliser pour des missions d’attaque au sol « classiques ».

Le développement du Mirage 2000N ne mit pas immédiatement un terme à la mission nucléaire du Mirage IV (devenu Mirage IVP), étant donné que le missile ASMP entra en service en 1986. Il fallut donc attendre 1988 pour voir arriver les premiers des 75 exemplaires de série commandés à l’escadron 1/4 Dauphiné, où ils remplacèrent les Mirage IIIE.

Puis les escadrons 2/4 La Fayette, en 1989 et 3/4 Limousin (ex-4/7 Limousin), en 1990, reçurent ensuite leurs Mirage 2000N, dotés du missile ASMP-A. À cette occasion, ces trois unités passèrent sous l’autorité des Forces aériennes stratégiques.

Si certains choix techniques avaient été initialement décidés parce que les missions conventionnelles n’étaient pas considérées comme prioritaires pour les Mirage 2000N, un nouveau standard de cet appareil – le N K2 – fut cependant développé pour justement lui permettre de mener des attaques au sol « classiques » (cependant limitées). L’escadron 2/3 Champagne en fut alors équipé, en attendant l’arrivée de ses futurs Mirage 2000D, en 1996.

D’où la perte, en opération, d’un premier Mirage 2000N (le n°346, 3-JD), abattu par les Serbes de Bosnie, le 30 août 1995, près de Pale. L’équipage fut fait prisonnier, puis libéré grâce à la médiation de Jean-Charles Marchiani et Arcadi Gaydamak.

En 1996, le Mirage 2000N devint l’unique appareil des FAS capable de mettre en oeuvre une arme nucléaire, les Mirage IVP ayant été exclusivement assignés à des missions de reconnaissance. Et il le restera jusqu’en 2008, année d’un nouveau tournant.

Le président Sarkozy ayant annoncé une réduction de l’arsenal nucléaire français, l’escadron 1/4 Dauphiné en fit les frais : il fut dissous deux ans plus tard, suivi peu après par le 3/4 Limousin. Dans le même temps, et alors que l’ASMP-A (Amélioré) commençait à entrer en dotation, les Rafale B de l’escadron 1/91 Gascogne prirent l’alerte nucléaire depuis la base aérienne de Saint-Dizier. Et, en 2015, le 2/4 La Fayette commença à se préparer à en faire de même. Le sort du Mirage 2000N était alors scellé, l’objectif étant, pour les FAS, de passer au « tout Rafale ».

Le Mirage 2000N a pris part à la plupart des opérations extérieures conduites par la France (Crécerelle, Harmattan, Serval, Barkhane, Chammal). En 2018, cet appareil a connu un dernier déploiement à N’Djamena, au titre de l’opération Barkhane. C’est d’ailleurs au cours de l’un d’eux que l’escadron 2/4 La Fayette a récemment perdu un appareil, lequel s’est écrasé lors de la phase de décollage.

Au moins une quinzaine d’accidents graves ont affecté la carrière du Mirage 2000N. Pour la plupart, ils furent causés par la nature même des missions menées par cet appareil [le vol à très basse altitude, ndlr]. On relève ainsi 8 collisions (avec des volatiles, des ULM et entre deux appareils) et deux éjections consécutives à un incident lors d’une phase de ravitaillement en vol. L’on compte également Trois incidents mécaniques (dont 2 ont provoqué la perte de l’appareil) : problème de moteur pour le n°324/4-CL en 1996, rupture d’une pompe d’alimentation en carburant pour le n°347/4-BT en 1998 et souci de débit de caburant pour le n°363/4-BK en 2008.

À mesure de la montée en puissance du couple Rafale B / ASMP-A et de la réduction du format de la composante aéroportée de la dissuasion à seulement deux escadrons de chasse, il ne restait plus que 22 Mirage 2000N en service au 1er juillet 2017.

Et, ce 21 juin, une cérémonie présidée, à Istres, par le chef d’état-major de l’armée de l’Air (CEMAA), le général André Lanata, marquera définitivement la fin de la carrière du Mirage 2000N, après 30 ans de service. Enfin, pas tout à fait… car la page ne sera définitivement tournée qu’après le survol, par un Mirage 2000N, des Champs-Élysées, à l’occasion du prochain défilé du 14-Juillet.

Quant au 2/4 La Fayette, il va définitivement quitter Istres pour s’installer sur la base aérienne de Saint-Dizier, d’où il prendra l’alerte nucléaire avec ses nouveaux Rafale B.

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