Pour le chef d’état-major des armées, l’application TikTok est une « arme informationnelle »

À l’Assemblée nationale, lors d’une récente audition sur la contribution des armées à une nouvelle politique africaine de la France » [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr], le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, a soutenu que « l’environnement stratégique global » était « caractérisé par un mouvement de désalignement, balisé par quatre marqueurs principaux ».

« Parmi ceux-ci, le CEMA a évoqué le dérèglement climatique, dont les effets auront une importance croissante dans les années à venir, ainsi qu’une « manœuvre de désoccidentalisation », qui vise à contester les « acquis de l’ordre actuel » et donc à créer un « ordre alternatif ». La « Russie est en première ligne » de ce mouvement, a-t-il dit.

Les deux autres marqueurs évoqués par le général Burkhard sont la « dynamique de la force » et la « puissance de l’information », lesquelles peuvent être liées, dans la mesure où la conflictualité se développe aussi dans les champs immatériels, comme le cyber. D’ailleurs, le CEMA a parlé « d’arme informationnelle » à ce sujet.

Cela renvoie au concept de « guerre cognitive » qui, pour schématiser à grands traits, vise à manipuler des groupes d’individus afin d’obtenir un effet tactique, voire stratégique quand l’objectif est de déstabiliser un pays sur le long terme.

Si ce n’est pas vraiment nouveau, le développement technologique et la numérisation des usages, associés à l’évolution des connaissances dans le domaine des neurosciences, donnent à « l’information une valeur stratégique exceptionnelle », a dit le CEMA. « En se déployant sous le seuil de l’engagement armé, cette arme très efficace est l’arme principale des stratégies hybrides. Elle porte une large part de l’expression de la compétition, qui est l’état normal de la relation entre grandes puissances », a-t-il ajouté,

Pour le général Burkhard, « l’emploi de la force » s’étend donc aussi au « champ informationnel ». Et de prendre un exemple. « L’application TikTok […] est une arme informationnelle. Elle agit massivement sur les perceptions, récupère des données et sature les systèmes informatiques et électroniques, de sorte que même celui qui ne l’utilise pas en subit les conséquences ».

Faut-il comprendre que le réseau social chinois est une menace pour la sécurité nationale ? Aux États-Unis, il pourrait être interdit pour cela, Washington estimant en effet que cette application permettrait à Pékin de manipuler, voire d’espionner, les citoyens américains. Au Canada, le ministre de l’Innovation et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a fait savoir, le 14 mars, que TikTok était en train de faire l’objet d’un « examen de sécurité nationale » pour les mêmes raisons.

En juin dernier, au Sénat, une commission d’enquête sur « l’utilisation de TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence » a rendu un rapport dans lequel étaient soulignés des « risques évidents » posés par ce réseau social.

« Les entreprises de l’économie numérique, TikTok en étant le dernier fleuron, sont des acteurs essentiels des stratégies d’influence menées par la Chine. Le Parti communiste chinois exerce sur elles un contrôle étroit par divers moyens, de la création de cellules au sein de ces entreprises à l’achat de ‘golden shares’, et a développé une stratégie de ‘guerre cognitive' », a ainsi souligné le sénateur Claude Malhuret, le rapporteur de la commission d’enquête.

Le document a aussi dénoncé « une large collecte de données [personnelles] dont l’utilisation demeure opaque », si ce n’est pour permettre à TikTok de « dresser un profil psychologique de ses
utilisateurs à des fins commerciales ou pour d’autres finalités indéterminées », une « lutte contre la désinformation pour le moment inefficace » et une « captation de l’attention poussée à l’extrême », ce qui en fait un « enjeu de santé publique au regard des inquiétudes sur les effets psychologique » que cela peut induire.

« Le fait que l’application reste dans l’orbite des autorités chinoises pourrait permettre à celles-ci, par exemple, de reconstituer, via les données collectées, l’organigramme d’une organisation, administration ou entreprise, afin d’en identifier les éléments pertinents en vue d’initier des actions d’espionnage ; d’identifier les habitudes de ces personnes pour faciliter ces mêmes actions ; de collecter des informations précises sur une personne pour construire un e-mail personnalisé pertinent dans le cadre d’une cyberattaque ; d’identifier certains lieux particulièrement stratégiques pour l’État et les personnes qui les fréquentent de manière habituelle ; de lancer une campagne de désinformation lors d’une crise internationale au profit de la Chine ou de ses alliés ; de favoriser, lors d’élections nationales ou locales, certains candidats », avait détaillé le rapport.

Pour garantir la cybersécurité de nos administrations et de nos agents publics, le @gouvernementFR a décidé d’interdire les applications récréatives comme TikTok, sur les téléphones professionnels des fonctionnaires d’État. @jnbarrot pic.twitter.com/avxtpKZ6uu

— Stanislas Guerini (@StanGuerini) March 24, 2023

Aussi, les sénateurs avaient alors proposé de suspendre TikTok en France à partir du 1er janvier 2024 pour des « raisons de sécurité nationale », à moins que, d’ici cette échéance, il fasse preuve de transparence, notamment au sujet de ses relations avec les autorités chinoises. Pour le moment, la seule décision prise par le gouvernement a été de bannir le réseau social [ainsi que d’autres applications « récréatives »] des téléphones professionnels des 2,5 millions d’agents de la fonction publique afin de « garantir la cybersécurité » des administrations et de leurs agents.