Guyane : Les indemnités versées aux militaires de l’opération Harpie vont-elles être reconsidérées?

Ce 20 janvier, les quatre membres d’une délégation parlementaire récemment envoyée en Guyane ont fait un compte-rendu de leur déplacement devant leur collègues de la commission de la Défense nationale. Évidemment, l’opération Harpie, qui vise à lutter contre l’orpaillage illégal, a été largement évoquée, en particulier par le député André Chassaigne, qui en a donné le bilan pour l’année 2020.

Tout d’abord, le parlementaire a rappelé les conséquences économiques, environnementales, sanitaires et sécuritaires de l’orpaillage clandestin en Guyane, dont il estimé qu’il concerne 10.000 « garimpeiros » venus du Brésil et du Surinam voisins.

Ainsi, entre 10 et 12 tonnes d’or seraient extraits illégalement chaque année, contre une production déclarée [c’est à dire légale] de 1 à 2 tonnes. Cela ne vas pas sans provoquer des problèmes tant au niveau sanitaire qu’environnemental, en raison des rejets de mercure pour amalgamer les paillettes de métaux précieux. Qui plus est, pour 1 kg produit, il faut compter la consommation 1.000 à 2.000 litres de carburant [et donc, une logistique lourde]. Enfin, ces activités illégales encouragent la criminalité [prostitution, délinquance, trafics de drogue et d’armes].

Toujours selon le député, il y aurait 400 sites d’orpaillage illégaux. Et lutter contre ce phénomène, sauf à identifier précisément les réseaux qui permettent d’écouler l’or illégalement extrait,  reviendrait presque à tenter de vider l’océan avec une cuillère à dessert… étant donné que les Forces armées en Guyane [FAG] ne disposent que de 400 militaires pour quadriller un territoire aussi vaste que la Suisse, qui plus en difficile d’accès.

Qui plus est, avec l’effet de la crise sanitaire et économique provoquée par l’épidémie de covid-19, le cours de l’or est monté en flêche… Et 1 kg d’or illégalement extrait se négocie entre 18.000 et 37.000 euros [contre 49.000 euros au cours officiel]. Soit quatre fois plus qu’il y a 20 ans. Enfin, un site d’orpaillage illégal produit entre 3 et 4 kg d’or tous les 20 jours. C’est dire si une telle activité peut-être lucrative…

Après un bilan contrasté depuis son lancement, en 2008, l’opération Harpie a été repensée il y a trois ans, en associant à l’action militaire des efforts diplomatiques avec les pays voisins, économiques et sociaux. Mais c’est au niveau judiciaire que les choses se compliquent. Et elles le sont d’autant plus que les transmissions sont compliquées dans la jungle.

« Il est difficile de sortir un garimpeiros de la forêt pour un traitement judiciaire, compte-tenu des distances et des moyens de déplacement. Certes, il existe des adaptations de procédure, pour tenir compte des conditions particulières d’intervention en forêt guyanaise mais elles sont perçues comme trop restrictives », a rapporté M. Chassaigne. « Dans les cas courants, faute de pouvoir transférer rapidement dans les locaux de garde à vue les personnes interpellées, celles-ci font l’objet, dans la plupart des cas, d’une obligation de quitter le territoire français exprimée verbalement », a-t-il poursuivi.

Par ailleurs, a-t-il continué, la « faiblesse des moyens de communication ne permet pas souvent de s’assurer de la réalité de l’identité d’une personne, ce qui rend difficile la délivrance d’un ordre à comparaître ».

Quoi qu’il en soit, les FAG ne ménagent pas leurs efforts pour lutter contre l’orpaillage illégal, en se concentrant sur les responsables des chantiers clandestins et, surtout, sur leur logistique.

D’après M. Chassaigne, l’opération Harpie mobilise 75 à 80% du potentiel de la base aérienne 367 de Cayenne, que ce soit pour des missions de renseignement, d’appui ou de ravitaillement. Et, durant l’année 2020, les FAG ont effectué, avec la Gendarmerie, 986 patrouilles conjointes au cours desquelles elles ont saisi 197 kg de mercure, 950 moto-pompes, 169 pirogues [pouvant transporter jusqu’à 6 tonnes de matériels], 283.000 litres de carburant et 162 tonnes de vivres. Au total, le montant des avoirs criminels saisis a atteint les 19,6 millions d’euros.

Les conditions d’intervention sont des plus éprouvantes… avec le risque des maladies infectueuses [paludisme, dengue, chikungunya, zika, etc]. Le commandant supérieur des forces armées en Guyane [COMSUP FAG] a ainsi confié aux députés de la délégation que, en terme d’engagement, Harpie se « situait à mi-chemin entre les opérations Sentinelle et Barkhane ».

Aussi, pour le député Chassaigne, il serait sans doute « opportun de reconsidérer les indemnités opérationnelles versées dans le cadre de cette mission et de reconsidérer leurs règles d’assujetissement à l’impôt sur le revenu, comme cela a été fait pour l’opération Sentinelle. »

Effectivement, les militaires engagés dans l’opération Barkhane [et toutes les autres opérations extérieures] perçoivent une « indemnité de sujétions pour service à l’étranger » [ISSE], qui n’est pas soumise à l’impôt sur le revenue. Cette ISSE ne concerne évidemment pas l’opération Harpie puisqu’elle se déroule sur le territoire national.

Quant à ceux déployés sur le territoire national dans le cadre de Sentinelle, il leur est versé une « indemnisté de sujétion spéciale d’alerte opérationnelle – S » [AOPER-S, 10 euros par jour] ainsi qu’une « Indemnité pour services en campagne – Sentinelle » [ISC-Sentinelle]. Initialement, ces deux primes étaient imposables, mais il en fut décidé autrement en 2016. Cependant, le régime n’a pas changé pour celles octroyés dans le cadre des autres missions et opérations intérieures. Reste à voir si le député Chassaigne sera entendu…

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]