La taille des arsenaux nucléaires continue de diminuer… sauf en Asie

Ce 15 juin, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [Sipri] a publié son rapport annuel relatif aux armements nucléaires dans le monde. Dans les grandes lignes, les conclusions de ce dernier sont identiques à celles énoncées l’an passé, à savoir que les pays qui en possèdent continuent de les moderniser, alors que les traités de désarmerment, en particulier ceux concernant les États-Unis et la Russie, tombent les uns derrière les autres. Ce qui laisse présager une relance de la course aux armements entre ces deux puissances.

Mais la réalité est, comme souvent, plus compliquée qu’il n’y paraît. Après la fin du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires [FNI], en 2019, celui relatif à la réduction et à la limitation des armes stratégiques [New START], qui fixe à 1.550 le nombre maximum d’armes nucléaires pouvant être déployées par les forces américaines et russes, a du plomb dans l’aile : expirant en 2021, les discussions visant à la prolonger sont au point mort.

« Cela est dû en partie à l’insistance de l’administration américaine pour que la Chine se joigne à toutes les futures négociations sur la réduction des armes nucléaires – ce que la Chine a catégoriquement exclu », rappelle le SIPRI.

« L’impasse sur New Start et l’échec en 2019 du traité soviéto-américain de 1987 sur l’élimination des missiles de portée intermédiaire et de portée plus courte [Traité FNI], suggèrent que l’ère des accords bilatéraux de contrôle des armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis pourrait toucher à sa fin », estime Shannon Kile, directrice du programme Désarmement nucléaire, contrôle des armements et Non-prolifération de l’institut suédois.

En outre, poursuit-elle, « la perte des canaux de communication clés entre la Russie et les États-Unis, qui visaient à promouvoir la transparence et à empêcher les perceptions erronées de leur position et capacité respectives en matière de forces nucléaires, pourrait potentiellement conduire à une nouvelle course aux
armements nucléaires. »

Cependant, d’après les données du SIPRI, qu’il faut prendre avec précaution étant donné l’opacité qui entoure les programmes nucléaires [et certains pays sont moins transparents que d’autres dans ce domaine…], la taille des arsenaux [ogives déployées et « autres ogives »] détenus par les États-Unis et la Russie ont continué à diminuer.

Ainsi, le nombre d’ogives que possèdent les forces américaines est passé de 6.185 à 5.800 [dont 1.750 déployées]. La réduction a été moins marquées par leurs homologues russes, qui comptent 6.375 ogives [contre 6.500 en 2019], dont 1.570 déployées.

« La diminution du nombre total d’armes nucléaires en 2019 est principalement due au démantèlement des armes nucléaires retirées par la Russie et les États-Unis qui, à eux deux, détiennent toujours plus de 90 % des armes nucléaires dans le monde », écrit le SIPRI.

Seulement, si les arsenaux américains et russes diminuent, en raison du traité New START, ce n’est pas le cas pour ceux détenus par l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et la Chine.

En 2019, le SIPRI estimait que les forces indiennes disposaient de 130 à 140 ogives. Depuis, il a revu son évaluation à la hausse : selon lui, l’Inde en posséderait 150. Le Pakistan a probablement suivi le mouvement. En 2018, ce pays comptait entre 140 et 150 ogives, contre 160 deux ans plus tard.

Le cas de la Corée du Nord est intéressant… En 2018, Pyongyang avait annoncé un « moratoire » sur ses activités nucléaires et amorcé un rapprochement qualifié « d’historique » [le troisième annoncé en 20 ans…] avec Séoul, avec la promesse d’oeuvrer à la dénucléarisation de la péninsule. Ce qui donna lieu à des négocations avec les États-Unis qui ne donnèrent rien. Dans le même temps, les services de renseignement [notamment américains] mais aussi les instances internationales [AIEA, ONU] avaient mis en garde contre la poursuite des activités nucléaires nord-coréennes.

La Corée du Nord a « continué de renforcer ses programmes d’armement nucléaire et de missiles, même si elle n’a procédé à aucun essai nucléaire ni tir de missile balistique intercontinental tout en déjouant les sanctions internationales », n’a ainsi cessé d’affirmer le groupe d’experts de l’ONU, mis en place pour assurer le suivi des sanctions prises à l’égard de Pyongyang.

Fin mai, la Corée du Nord a annoncé qu’elle allait « renforcer sa dissuasion nucléaire », qui constitue « l’assurance-vie » du régime qui est à sa tête. Si l’on en croit le SIPRI, c’est déjà chose faite. En 2019, il avait estimé la taille de l’arsenal nord-coréen à 20-30 ogives. Dans son rapport, il l’évalue à 30-40.

« Bien que la Corée du Nord ait adhéré à son moratoire auto-proclamé sur les essais d’armes nucléaires et de missiles balistiques à longue portée en 2019, au cours de l’année elle a effectué plusieurs essais en vol de missiles balistiques à courte portée, y compris plusieurs nouveaux types de systèmes », explique le SIPRI.

S’agissant de la Chine, et c’est sans doute la raison pour laquelle les États-Unis veulent l’inclure dans les négociations sur le désarmement, l’institut de Stokholm estime qu’elle porté à 320 le nombre d’ogives dans son arsenal, qui en comptait 290 l’an passé [et 280 en 2018].

« La Chine est en train de moderniser considérablement son arsenal nucléaire. Elle développe pour la première fois ce qu’elle appelle une triade nucléaire, composée de nouveaux missiles terrestres et maritimes ainsi que d’avions à capacité nucléaire », relève le SIPRI.

Cela étant, le plus inquiétant est l’évolution de la politique nucléaire de certains pays. Récemment, le Washington Post a fait état d’un débat au sein de l’administration américain sur l’opportunité d’une reprise des essais nucléaires, près de trente ans après celui qui fut réalisé lors de l’opération « Julin » [septembre 1992].

L’été dernier, l’Inde a évoqué une possible révision de sa doctrine nucléaire de « non-emploi en premier ». Un tel glissement est perceptible en Russie, qui a publié, début juin, une nouvelle doctrine nucléaire, laquelle précise quatre situations susceptibles de conduire Moscou à utilser l’arme nucléaire.

« Sur ces quatre contextes, trois font référence à des actions hostiles menées contre la Russie [et/ou contre ses alliés] qui n’impliquent pas nécessairement l’emploi d’armes nucléaires. Autrement dit, la Russie se réserve la possibilité d’un emploi en premier du feu atomique », souligne ainsi Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe [.pdf]

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