La livraison de systèmes russes S-400 à la Turquie pose la question de l’usage de la base d’Incirlik par l’Otan

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a indiqué, le 26 juillet, que les systèmes de défense aérienne S-400 commandés auprès de la Russie, seraient opérationnels en avril 2020. Et la décision américaine d’exclure la Turquie du programme d’avion de combat F-35, dont elle a commandé 100 exemplaires, n’a pas ébranlé la détermination d’Ankara.

« Vous ne nous donnez pas les F-35? Très bien, excusez-moi, mais dans ce cas nous prendrons des mesures à ce sujet et nous tournerons vers d’autres », a même déclaré M. Erdogan, avant de souligner qu’aucune « menace ou sanction » n’empêchera la Turquie « d’assurer sa sécurité ». Voilà qui relancera les spéculations sur un éventuel achat turc d’avions de combat russes, tels le Su-57 Frazor ou le Su-35…

En attendant, cette affaire des S-400 met l’administration américaine dans l’embarras. Membre de l’Otan depuis 1952, la Turquie occupe une position stratégique dans la mesure où elle permet de contrôler l’accès à la mer Noire et/ou interdire éventuellement celui de la Méditerranée à la marine russe. En outre, l’Alliance atlantique dispose de facilités sur le territoire turc : tel est le cas de la base aérienne d’Incirlik qui, outre le fait qu’elle abrite un dépôt d’armes nucléaires tactiques B-61, a joué un rôle important dans les opérations de la coalition anti-jihadiste contre le groupe État islamique. Ou encore celui du radar d’alerte avancé de Kürecik.

« Perdre la Turquie serait une erreur géopolitique monumentale », avait déjà résumé l’amiral James Stavridis, ex-commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR], à l’antenne de la chaîne MSNBC, en août 2018. Aussi, la Maison Blanche a mis les formes en annonçant l’exclusion d’Ankara du programme F-35.

« En tant qu’alliés de l’Otan, nos relations sont à plusieurs niveaux et ne sont pas uniquement axées sur le F-35. Notre relation militaire est solide et nous continuerons de coopérer étroitement avec la Turquie, tout en tenant compte des contraintes liées à la présence du système S-400 », fit en effet valoir l’exécutif américain.

L’exclusion de la Turquie du programme F-35 était le minimum… Maintenant, la question est de savoir si Washington prendra des sanctions à l’égard d’Ankara, comme le prévoit la loi dit CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], laquelle invite à prendre des mesures de rétorsions à l’endroit des entités ayant signé des contrats avec l’industrie russe de l’armement. Certes, ce texte prévoit des dérogations…. mais elles ne peuvent pas s’appliquer, du moins a priori, à la Turquie. Et, au Congrès, nombreux sont les élus qui veulent voir la Maison Blanche faire preuve de fermeté face aux autorités turques.

Cependant, le président Trump n’a pas l’intention, pour le moment, de prendre de telles sanctions. Sans doute estime-t-il que la décision d’exclure la Turquie du programme F-35 est suffisante.

« Si les États-Unis manifestent une attitude hostile à notre égard, nous ferons un pas en avant », a averti Mevlüt Çavuşoğlu, le minsitre turc des Affaires étrangères, lors d’un entretien donné à la chaîne de télévision TGRT Haber, cette semaine. C’est à dire que la Turquie pourrait expulser les forces américaines de la base d’Incirlik et/ou de limiter les activités de la station radar de Kürecik.

La question de la base d’Incirlik est un vrai sujet. Ce n’est pas la première fois que les autorités turques mettent le sort de la base d’Incirlik dans la balance… Elles le font généralement quand il y a des tensions avec les États-Unis ou d’autres alliés de l’Otan. En 2017, alors que ses relations avec Berlin étaient compliquées, Ankara avait interdit son accès à des parlementaires allemands désireux de visiter le détachement de la Luftwaffe qui y était basé pour mettre en oeuvre six Panavia Tornado ECR dans le cadre de la coalition anti-jihadiste.

Pour expliquer l’eclusion de la Turquie du programme Joint Strike Fighter [F-35, ndlr], la Maison Blanche avait avancé que le F-35 ne pouvait « pas coexister avec une plate-forme de collecte de renseignements russe qui sera utilisée pour en apprendre davantage sur ses capacités avancées. »

Or, si l’exécutif américain est dans l’embarras, l’US Air Force l’est aussi… À la question de savoir si elle déploierait des F-35A à Incirlik, compte tenu de la mise en service annoncée des systèmes S-400, son chef d’état-major, le général David Goldfein a fait une réponse… alambiquée.

Nous allons faire « une évaluation de la menace. Et sur la base de cette évaluation des services de renseignement, nous prendrons une décision en fonction de tout ce qui passe dans le monde », a répondu le général Goldfein. « Je ne veux pas potentiellement associer, pour le moment, une évaluation opérationnelle globale à une évaluation technologique », a-t-il ajouté. En clair, il n’en sait rien…

« Il existe une assez bonne solidarité entre les utilisateurs de F-35 et nous sommes sur la bonne voie. Il y a aussi une bonne solidarité qui nous fait espérer que nous allons nous en sortir d’une manière ou d’une autre, la Turquie étant un allié précieux », a ensuite fait valoir le chef de l’US Air Force.

L’embarras américain s’explique surtout par la présence des bombes nucléaires B-61 à Incirlik…

« Bien qu’Incirlik possède probablement plus d’armes nucléaires que la plupart des autres bases de l’Otan, elle n’a pas d’avions adéquats permettant de les délivrer. Les bombes sont donc entreposées dans la base en sous-sol, attendant d’être utilisées ou détournées », s’était inquiété le magazine américain The New Yorker, en 2016.

Cela étant, depuis quelques temps, le Pentagone cherche une alternative à la base d’Incirlik. Celle d’Andravida, située dans l’ouest de la Grèce, pourrait éventuellement lui convenir, si l’on en croit une récente analyse du le centre de recherche Bipartisan Policy Center.

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