Des tranchées à l’aviation, l’héroïque parcours d’un sous-officier âgé de… 18 ans

carre-20160815À la déclaration de guerre, le 3 août 1914, l’esprit de revanche aidant après la défaite de 1870, de nombreux furent les adolescents de 14-15 ans qui tentèrent de rejoindre les rangs de l’armée. Si la valeur n’attend pas le nombre des années, comme aurait dit le dramaturge Pierre Corneille, il était hors de question de les enrôler. Pourtant, quelques uns réussirent à s’engager, le plus souvent en trichant sur leur âge ou « empruntant » les papiers d’identité d’un autre.

Certains sont connus (enfin presque…), comme François Ratto, incorporé à la 2e compagnie du 27e Bataillon de chasseurs alpins, Gustave Chatain, caporal avec 2 citations à 15 ans, ou encore Jean-Corentin Carré.

Ce dernier, né le 9 janvier 1900 au Faouët (Morbihan) dans une famille d’ouvriers agricoles, n’a qu’une seule chose en tête au déclenchement des hostilités : rejoindre son père mobilisé au front et se battre. L’adolescent passe pour être intelligent et débrouillard. Deux ans plus tôt, il avait en effet obtenu son certificat d’études avec les félicitations du jury avant de devenir commis de perception à 14 ans.

Évidemment, sa demande d’engagement est rejetée. Mais il en faut plus pour le décourager. Le 27 avril 1915, il se rend au bureau de recrutement de Pau en se présentant sous le nom d’Auguste Duthoy, né en 1897, et en ayant l’idée de se présenter comme étant un réfugié des territoires occupés par les Allemands. Le subterfuge fonctionne : Jean-Corentin Carré est incorporé au 410e Régiment d’Infanterie.

Passé rapidement caporal après avoir suivi le peloton des élèves gradés, l’adolescent monte au front avec son régiment en octobre 1915, dans le seceur de Mesnil-les-Hurlus. Dans ses carnets, il raconte :

« Je sors tout seul, baïonnette au canon et cartouches dans les poches. Je traverse des tranchées démolies et pleines de  cadavres que je suis obligé de piétiner. […] Je vois un Boche à cinquante mètres de moi courir dans la direction de ses  lignes. Je tire, l’ombre continue à courir puis s’évanouit à mes yeux. […] Je rentre vivement et je vais rendre compte de ma
mission au capitaine, qui me félicite. »

Le jeune caporal ne tarde pas à s’illustrer et se faire ainsi remarquer par ses supérieurs. Cité à l’ordre du corps d’armée, il obtient la Croix de guerre puis il est promu sergent. Il a alors 16 ans.

Toutefois, le poids du mensonge devient lourd à porter. Fin décembre 1916, il décide de révéler sa véritable identité. « Je vous écris pour vous demander s’il me serait possible ayant l’âge réglementaire de reprendre mon véritable nom. […] Je ne suis pas plus patriote qu’un autre, mais je considère qu’un Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’arrière », écrit-il à sa hiérarchie.

Il lui sera demandé de démissionner et de se réengager en tant que simple soldat. Par pour longtemps car il retrouvera rapidement son grade grâce à l’appui de son chef de corps. Dans le même temps, la presse a eu vent de son histoire (ce qui a pu aider) et il passe alors pour « le plus jeune Poilu de France ». Ce qui n’est pas tout à fait exact…

En juin 1917, promu adjudant, Jean-Corentin Carré obtient une seconde citation, cette fois à l’ordre de la division : « Sous-officier d’une admirable bravoure, s’est engagé à quinze ans sous un nom d’emprunt pour aller plus tôt au feu (…) Toujours volontaire pour les missions les plus périlleuses, qu’il exécute avec un sang-froid et un courage admirable. »

Par la suite, le jeune adjudant, qui a été plusieurs fois blessé au feu, se porte volontaire pour servir dans l’aviation. Il commence ainsi à apprendre à piloter à l’école d’Étampes avant de rejoindre celle d’Avord, spécialisée dans le bombardement et la reconnaissance.

À l’automne 1917, il obtient le brevet de pilote militaire n°8449, devenant ainsi probablement le plus jeune aviateur de la Première Guerre Mondiale. Il ne lui reste alors plus qu’à connaître sa prochaine affectation… qui sera Lemmes (Meuse), où est installée l’escadrille S.O 229, qui, équipée d’avions Sopwith SOP 1 A 2, est notamment spécialisée dans la reconnaissance et le réglage des tirs d’artillerie.

Malheureusement, après une courte permission chez ses parents, l’adjudant Jean-Corentin Carré est abattu en mars 1918, au cours d’une mission dans le secteur de Verdun, en compagnie de son mitrailleur, le soldat Joseph Perrin. Il décédera quelques jours plus tard, des suites de ses blessures, à l’hôpital de Souilly.

« Adjudant Carré Jean Corentin, du 410e régiment d’infanterie, pilote à l’escadrille SO 229 attaqué par trois avions ennemis, le 18 mars, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse », dira le texte de sa troisième citation, décernée à l’ordre de l’Armée.

C’est ainsi que Jean-Corentin Carré deviendra un héros non seulement pour la Bretagne mais aussi pour la France entière. Et le ministère de l’Instruction publique fera accrocher, dans les salles de classe, une affiche à la mémoire de ce très jeune sous-officier au destin peu commun, aujourd’hui oublié du plus grand nombre…

Plus : Une bande dessinée sur la vie de Jean-Corentin Carré a été publiée en trois tomes par les éditions Paquet : Jean Corentin Carré, l’enfant-soldat Tome 1 : 1915-1916

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