Budget/Défense : Un rapport très critique sur les sociétés de projet
En 2015, le budget de la Défense doit bénéficier de 2,4 milliards de recettes exceptionnelles (REX) pour atteindre les 31,4 milliards d’euros, soit le même montant depuis 2012.
Seulement, et comme l’on pouvait s’en douter compte tenu de la nature de ces ressources exceptionnelles, par essence incertaine, ce ne sera pas possible, la vente aux enchères des fréquences 700 MHZ ne pouvant avoir lieu dans les délais. Et encore, rien de garanti que les recettes attendus par cette opération soient au rendez-vous étant donné que le secteur des télécommunications français traverse quelques turbulences et que la 4G se déploie à peine.
Comment faire alors? Vendre des actifs publics pour abonder le budget des armées? La loi organique aux lois de finances (LOLF) l’interdit, sauf cas de force de majeur. L’on pourrait considérer que, justement, la situation budgétaire du ministère de la Défense en est un. Seulement, le gouvernement a estimé qu’une telle opération ménerait à un appauvrissement de l’État… Et d’autres solutions avancées, comme le changement de statut de la Direction générale de l’armement (DGA) ont aussi été écartées.
Restait donc l’idée des sociétés publiques de projet (SPP). Il s’agit de créer de nouvelles structures, dotées de capitaux publics (via la cession de partications de l’État dans certains entreprises) et/ou privés, destinées à racheter et/ou à acquérir des matériels pour ensuite les louer au ministère de la Défense.
C’est ainsi qu’il est question de créer, d’ici l’été prochain, deux sociétés de projet : l’une pour les avions de transport A400M, l’autre pour les frégates multimissions (FREMM).
Cela étant, ce concept de SPP est loin de faire l’unanimité (mais certains parlementaires s’y sont ralliés, faute de mieux). Et les critiques ne manquent pas. Selon l’hebdomadaire économique Challenges, un rapport confidentiel, co-signé par la Direction générale de l’armement, le Contrôle général de armées et l’Inspection des Finances, a émis un avis plus que défavorable au sujet de ce financement qui se veut « innovant ».
Que dit ce rapport? D’après Challenges, l’idée de ces SPP n’a rien de la pierre philosophale… Elle relève d’un montage « aléatoire, complexe, risqué et coûteux » et sa réalisation serait de « nature à faire courir de grands risques financiers au ministère de la Défense sans que les objectifs soient nécessairement atteints ». En outre, s’agissant des comptes publics, cette opération ne sera pas neutre, l’INSEE et Eurostat devant très probablement inclure les dépenses de ces sociétés de projet dans le déficit public.
Le ministère de la Défense aura à prendre en charge des « surcoûts substantiels » étant donné qu’il faudra bien s’aquitter de la TVA sur les loyers et des assurances des matériels loués. Et c’est sans oublier que les intérêts seront plus élevés que ceux des emprunts d’État. Enfin, la participation d’investisseurs privés (les industriels de l’armement seront sollicités) « risquerait de faire perdre au ministère de la Défense la pleine maîtrise des équipements concernés ». On ne peut donc pas dire que cette idée soit idéale…
Qui plus est, au niveau juridique, il risque il y avoir des complications. Ces sociétés de projet font l’objet d’un amendement déposé en urgence par le gouvernement dans le cadre de l’examen de la loi pour la croissance et l’activité (dite loi Macron). Car il faut en plus aller vite sur ce dossier.
« Avec un tel véhicule juridique ad hoc qui sera recapitalisé par de l’argent public, et suite à la cession de certaines participations de l’État, nous pourrons acheter des matériels militaires et répondre à nos engagements budgétaires. C’est pourquoi le texte sur la croissance et l’activité comportera la création d’une telle société de projets, car c’est une nécessité au regard de nos engagements budgétaires! », a ainsi répondu Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, en réponse à une question posée par le député François Cornut-Gentille, qui qualifie ces sociétés de projet d' »alambic juridique original se rapprochant du crédit-bail ».
Mais d’après Challenges, les services juridiques de Bercy sont circonspects au sujet de la procédure. L’hebdomadaire souligne que l’article en question « a toutes les chances d’être censuré par le Conseil constitutionnel étant donné qu’il « déroge au code de la propriété des personnes publiques, au code monétaire et financier, ainsi qu’à la loi de programmation des finances publiques ».
Le montage de ces SPP « peut susciter des interrogations de la part du Conseil constitutionnel sur la conformité du dispositif à l’objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics, dès lors que la location à long terme des matériels peut s’avérer moins rentable que leur utilisation en tant que propriétaire par le ministère de la Défense », a ainsi estimé la direction des Affaires juridiques de Bercy, dans une note datée du 12 janvier.