Le raid contre Ben Laden fait encore parler


Nothomb, Binet ou Dantec n’auront certainement jamais une campagne promotionnelle d’une telle ampleur à l’occasion d’une rentrée littéraire. Depuis deux semaines en effet, il n’est quasiment question que du livre « No Easy Day : The Only First-hand Account of the Navy Seal Mission that Killed Osama bin Laden« , qui, écrit par un ancien Navy Seal, doit sortir aux Etats-Unis le 4 septembre prochain.

La raison pour laquelle la presse mondiale en parle autant est qu’il s’agit du récit d’un membre du commando engagé dans l’opération Nepture Spear, celle au cours de laquelle Oussama Ben Laden, l’ancien chef d’al-Qaïda, a été tué à Abbottabad, au Pakistan, le 2 mai 2011. Et l’auteur, qui s’appelle en réalité Matt Bissonnette (alias Mark Owen), par ailleurs décoré de 5 Bronze Stars et d’une Purple Heart, y remettrait en cause la « version officielle » livrée par Washington.

Que dit cet ancien du DevGru (l’unité qui a participé à l’opération) de nouveau par rapport à tout ce qui a déjà été dit et écrit sur le sujet? Selon le Huffington Post, qui a eu accès aux bonnes feuilles du livre, Ben Laden n’a pas été tué alors qu’il s’apprêtait à se saisir d’une arme pour se défendre.

Ainsi, l’ancien Seal raconte qu’il suivait un autre commando dans les escaliers menant à la chambre de l’ancien chef d’al-Qaïda. Ce dernier a risqué un oeil à l’extérieur de la pièce quand, « à moins de cinq marches du palier », Bissonnette a « entendu des coups de feu tirés avec un silencieux » par son camarade.

« Je ne pouvais pas dire d’où je me trouvais si les tirs avaient touché leur cible ou pas » poursuit-il. En attendant, Ben Laden avait « disparu dans la chambre sombre ». Une fois dans la pièce, Bissonnette dit avoir vu « du sang et de la matière cérébrale » et le corps du chef terroriste secoué par des convulsions. Lui et quatre autres camarades ont alors « pointé leur visée laser sur sa poitrine et tiré plusieurs coups » jusqu’à ce que le corps ne bouge plus.

« Il n’avait même pas préparé sa défense », écrit encore Bissonnette. « Il n’avait pas l’intention de se battre. Il demandait à ses disciples depuis des lustres de porter des vestes suicides ou de précipiter des avions contre des bâtiments, mais il n’a même pas saisi une arme » ajoute-t-il.

Cette version, fournie par un membre du commando, est susceptible d’embarrasser la Maison Blanche, dans la mesure où elle donne l’impression que le raid n’avait pas pour objectif de capturer Ben Laden vivant, comme cela avait été dit et maintes fois répété. Pour autant, cela ne change pas grand chose, le mot d’ordre ayant toujours été de le prendre « mort ou vif » et si l’on osait une pointe de cynisme, cette issue aura évité à Washington la tenue d’un procès qui aurait constitué une tribune politique pour l’ancien chef d’al-Qaïda.

Autre élément pouvant mettre en porte-à-faux Washington, qui a toujours affirmé que la dépouille de l’ex-ennemi public n°1 avait été traitée avec respect : le fait que, comme l’un des deux hélicoptères Blackhawk modifiés s’était écrasé, les commandos ont dû se tasser dans l’appareil restant et l’un d’eux a été contraint de s’assoir sur le cadavre du chef terroriste.

Cela étant, interrogé par l’AFP, un ancien membre troupes d’élite américaines a expliqué qu’il arrivait à « arrivait à des membres des forces spéciales de s’asseoir sur le corps de leurs collègues tués en raison du manque d’espace » et qu’il ne fallait pas y voir un quelconque « manque de respect. »

Quoi qu’il en soit, le livre de Bissonnette n’est pas du goût de tout le monde. A commencer par le Pentagone, qui s’inquiète de voir étaler sur la place publique les modes opératoires des forces spéciales, et cela d’autant plus que le livre n’a pas été préalablement soumis à la censure avant sa publication, comme cela aurait dû être le cas étant donné la clause de confidentialité qui lie Bissonnette à l’armée américaine.

Pas plus enchanté par la publication de ce livre, l’OPSEC (Special Operations Opsec Education Fund), un mouvement qui regroupe d’anciens militaires des opérations spéciales et ex-membres des services de renseignement, a exigé dans un courrier adressé au département de la Justice que soit faire « une injonction de la cour fédéral afin d’empêcher la publication et la distribution » de No Easy Day tant qu’il n’aura pas été visé par la censure.

Campagne électorale oblige, cette association a récemment fait parler d’elle en accusant le président Barack Obama d’avoir déjà donné trop d’informations au sujet du raid mené contre Ben Laden, ce qui aurait mis en danger la vie de militaires et d’agents liés à cette opération. Cette préoccupation était déjà celle de Robert Gates, qui, encore secrétaire à la Défense en mai 2011, déplorait le manque de discrétion de l’entourage du locataire de la Maison Blanche.

Cela étant, les accusations de l’OPSEC ne sont pas totalement infondées. Ainsi, l’observatoire, certes proche du Parti républicain, Judicial Watch a publié des documents de la CIA et du Pentagone montrant que l’administration Obama a donné un coup de main à la réalisatrice Kathryn Bigelow (oscarisée en 2010 pour « Démineurs« ), dont le prochain film, Zera Dark Thirty, porte sur le raid mené contre Ben Laden.

Selon un courriel adressé à un reporter du New York Times par une porte-parole de la CIA et diffusé par Politico, l’on apprend que la Maison Blanche « compte sur le film de Kathryn Bigelow et Mark Boal sur la mort de Ben Laden pour répondre à la réputation d’inefficacité montante d’Obama ». Seulement, ce sera peine perdue. Un temps prévu pour sortir le 12 octobre prochain (idéal avant l’élection en novembre), le film sera disponibles dans les salles qu’à la fin de cette année.

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