Pour la mémoire du lieutenant de la Bâtie
23 octobre 1983. Il est un 6h24 du matin quand l’immeuble « Drakkar », qui abrite la 3e compagnie du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (RCP), est détruit par une violente explosion, quelques minutes à peine après que le poste des Marines, situé près de l’aéroport de Beyrouth, ait été lui aussi frappé par un attentat.
Les militaires français, déployés au Liban dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité de l’ONU, comptent 58 morts dans leurs rangs. L’attaque, revendiquée par un « groupe islamique » alors inconnu, aurait été selon toute vraisemblance préparée avec l’aide des services secrets syriens, même si jamais aucune preuve de cette implication n’a pu être fournie à ce jour. Cependant, son organisation a été attibuée à Imad Mougnieh, un dirigeant militaire du Hezbollah, tué par un attentat à la voiture piégée à Damas en février dernier.
Il y a près de 25 ans, l’affaire du Drakkar avait suscité une vive émotion en France. Le président Mitterrand n’avait d’ailleurs pas hésiter à se rendre à Beyrouth, dès le lendemain de l’attentat, pour témoigner son soutien aux militaires français endeuillés mais aussi aux marines américains.
Quelques jours plus tard, et sous un ciel gris et froid de novembre, les 58 cercueils recouverts du drapeau tricolore étaient alignés dans la cour des Invalides pour un hommage national, diffusé d’ailleurs à la télévision. L’air encore vibrant des notes du Requiem de Gounod, le chef de l’Etat décora à titre posthume ces paras non seulement morts pour la France mais aussi pour la paix. On se souviendra de la dignité et de la douleur de ces familles qui venaient de perdre un des leurs.
Le lieutenant Antoine de la Bâtie était un de ces militaires tués au Liban. Né le 20 septembre 1955 dans une famille de militaires, le jeune Antoine est attiré par le métier des armes. Il a 20 ans quand il intégre un bataillon d’élève officier de réserve (EOR) à Coëtquidan. Après avoir effectué son service militaire en qualité d’aspirant au 1er Régiment d’Infanterie, il s’engage comme sous-officier au 67e Régiment d’Infanterie. Après trois années de service et de préparation, il est admis à l’Ecole Militaire Interarmes (EMIA) qui permet notamment aux sous-officiers de l’armée de Terre ayant réussi un concours interne d’accèder à l’épaulette.
Classé 40e sur 262 à l’issue de sa formation à l’EMIA, le jeune officier intégre l’Ecole d’application de l’Infanterie de Montpellier. Sorti au 7e rang de sa promotion en 1981, il choisit de servir au sein du 1er RCP de Pau. D’avril à octobre 1982, il effectue un premier séjour au Liban. Au cours de cette période, il obtient une citation à l’ordre du régiment avec l’attribution de la Croix de la Valeur Militaire avec étoile de bronze, pour être parvenu, entre autre, à conduire « son convoi lourd, destiné à porter secours aux populations de la ville (ndlr :de Tyr), à travers la zone de combats, sous les tirs d’artillerie et de chars. »
En septembre 1983, alors qu’il vient d’avoir 28 ans, le lieutenant de la Bâtie revient au Liban avec la 3e Compagnie du 1er RCP, dans le cadre de la mission « DIODON IV ». La suite est malheureusement connue. Enseveli sous les décombres et encore vivant, Antoine va montrer l’exemple à ses hommes jusqu’à son dernier souffle de vie. Il tente de les rassurer. A mesure que le temps passe, ses forces l’abandonnent. Avec le peu qui lui reste, il parvient à murmurer la prière des Paras qui se termine par « donnez moi ce dont les autres ne veulent pas mais donnez-moi aussi le courage, et le force et la Foi ».
De courage, de force et de foi, le lieutenant de la Bâtie n’en a pas manqué. Décrit par ses supérieurs comme étant « enthousiaste, souriant, sociable et d’excellente éducation », il suscitait l’adhésion et la sympathie de ses hommes « grâce à ses qualités humaines. » Officier exemplaire et ancien élève de l’EMIA, le lieutenant de la Bâtie a ainsi été désigné parrain de la 46eme promotion de cette école, qui porte désormais son nom et veille à son souvenir.
Bien évidemment, au moment du baptême de cette promotion, nul ne pouvait savoir que le projet de l’Union pour la Méditerranée (UPM) allait être lancé la veille du défilé du 14 juillet auquel l’EMIA participe tous les ans. Seulement, la présence dans la tribune officielle de l’héritier d’un régime soupçonné d’avoir participé à l’attentat contre le Drakkar a de quoi susciter une légitime émotion, voire une réelle indignation, étant donné que la promotion « Lieutenant de la Bâtie » sera obligée de saluer le représentant d’un Etat fortement soupçonné d’être le responsable de la mort de son parrain et de ses 57 autres camarades. Le fils du bourreau présumé recevra ainsi l’hommage de sa victime.
Pour dénoncer ce que Laurent Attar-Bayrou, le président de l’association internationale des soldats de la paix, appelle « un scandale et une atteinte à la mémoire », une manifestation devait être organisée sur les Champs-Elysées. Seulement, la préfecture de police de Paris l’a interdite.
Un rumeur prête aux élèves de l’EMIA l’intention de défiler avec un brassard noir en guise de protestation, une autre indique qu’ils auraient l’intention de tourner la tête au moment de leur passage devant la tribune officielle. Il est néanmoins peu probable que ce genre de gestes, aussi forts et louables soient-ils, ne se produise.
Quoi qu’il en soit, au moment où la 46e promotion de l’EMIA passera devant les officiels, celles et ceux pour qui la droiture, le courage, l’honneur et le don de soi ne sont pas de vains mots auront certainement une pensée émue pour le lieutenant de la Bâtie, mais aussi pour ses 57 autres camarades qui ont perdu la vie, un matin d’octobre 1983 à Beyrouth.